Yehia Houry, directeur exécutif de Flat6labs
C’est bien connu, seul on va plus vite, ensemble on va plus loin ! En marge de notre exploration des différents instruments de financement et d’appui à l’innovation, nous sommes allés à la découverte du programme Flat6Labs, lancé en 2016. Rencontre avec son directeur exécutif, Yehia Houry qui nous a fait découvrir, au fil de l’interview, la synergie d’une alliance incubateur/accélérateur/fonds d’amorçage.
Parlez-nous un peu de Flat6Labs. Quels sont les secteurs concernés par le programme ? Pouvez-vous nous citer quelques résultats depuis le démarrage ?
Flat6Labs, c’est deux choses à la fois: un accélérateur de startup et un fonds d’investissement. C’est une compagnie régionale qui a été lancée en Egypte en 2012, et maintenant, nous sommes basés dans six régions: Tunis, Beyrouth, Abu Dhabi, Djeddah, Le Caire. Le bureau de Bahreïn est le nouveau-né de la semaine dernière. Nous avons des investisseurs locaux. Il s’agit de Meninx holding, appartenant à la famille Tamarziste, du TAEF, et de la Biat. Ce ne sont pas seulement des investisseurs, mais des partenaires.
Le programme est doté de 20 millions de dinars pour une durée de 5 ans. Nous envisageons d’investir dans 90 startups. Trois niveaux d’investissements font la particularité du programme Flat6Labs. D’abord, nous avons un programme d’accélération, doté de 150 000 dinars (la moitié accordée en cash et l’autre en services). Le deuxième niveau varie de 200 000 à 400 000 dinars. Et le troisième va de 400 000 à 600 000 dinars.
Flat6Labs est un Programme de soutien de 4 mois. Nous investissons dans le capital de l’entreprise avec le premier niveau d’investissement, soit les 150 000 dinars, en prenant des parts de la compagnie, de 10 à 15%. Pour le déroulement du cycle: le premier mois, nous travaillons sur le produit, le deuxième mois, sur le marché, le troisième mois, sur les ventes et la croissance, le quatrième mois est consacré au pitch.
A la fin du cycle, nous organisons un demo day. Nous misons beaucoup sur cet évènement, puisque c’est là où nous abordons les clients potentiels de la startup. Au dernier demo day, nous avons rassemblé pas moins de 19 fonds d’investissement, dont la moitié est venue de l’extérieur. Sur cinq années, notre objectif est de clore 10 cycles. Actuellement, nous sommes à 6 -8 startup par cycle.
Etes-vous des investisseurs directs ou des intermédiaires ?
Nous sommes les deux à la fois. Au premier tour, nous sommes les seuls à investir. Nous intégrons les startup à un stade assez avancé, celles qui ont un prototype, éventuellement, un ou deux clients, une équipe. On améliore ces prototypes pour former un produit prêt pour la commercialisation. Nous intervenons également dans le développement des marchés.
En fonction du produit et des services, nous pouvons multiplier le nombre de clients pour aller jusqu’à 10, 20, ou même 50 clients. Nous leur apprenons également comment structurer leur boîte pour qu’ils aient des investissements plus importants. Par exemple, la plupart des SARL qui intègrent notre programme, ont investi à tous les niveaux pour qu’elles deviennent des SA. Pourquoi? Parce que nous savons que les investisseurs optent pour les SA, car elles sont mieux structurées. Nous sommes donc les premiers à investir. Au deuxième et troisième tour, c’est plutôt l’approche “follow-on funding”.
Nous “suivons” d’autres investisseurs. Nous avons un réseau très vaste d’investisseurs, pas seulement en Tunisie mais dans le monde arabe. Et c’est nous qui assurons la mise en relation. Sur les six startup que nous avons eu au premier tour, nous en avons envoyé plusieurs en Egypte et au Bahreïn pour des compétitions de pitchs et pour rencontrer des investisseurs. Deux des trois sont revenus avec des promesses d’investissement. Pour le 2ème et 3eme tour, nous participons au financement, mais nous ne prenons pas le lead. Nous aidons aussi les startup à négocier.
Flat6Labs réussit-il autant en Tunisie que dans les autres régions? A quels niveaux se situent les différences ?
D’une manière générale, au Maroc ou en Jordanie, le mouvement s’est plutôt enclenché du “top down”. En Tunisie, c’était l’inverse, ce sont les jeunes qui ont amorcé la dynamique entrepreneuriale, dans une logique bottom up. Grâce à ce qu’on appelle familièrement: “ La Grinta” ! D’ailleurs, ceux qui opèrent au niveau du siège n’arrêtent pas de dire que c’est de loin le bureau le plus dynamique! Il n’y a pas autant d’activité ailleurs. La particularité du bureau de Tunis, c’est aussi la synergie qui s’opère entre les startup elles-mêmes ! C’est important aussi de souligner qu’en Tunisie, l’activité entrepreneuriale innovante n’est pas seulement basée dans la capitale. A Sousse, il y a des choses formidables qui se passent dans l’intelligence artificielle, la mécatronique, le big data, la réalité augmentée. Au Liban ou en Jordanie, vous sortez de la capitale, il n’ y a plus rien.
Mais le revers de la médaille ici, c’est qu’il y a des challenges d’ordre juridique. En matière de contrôle de la devise par exemple. C’est vrai qu’il y a la carte technologique, mais elle permet de retirer 10 000 dinars par an seulement. Sauf que certaines startup , notamment dans le web hosting et les services de l’internet, dépensent souvent les 10 000 dinars par mois.
Pensez-vous élargir les programmes de financement à d’autres phases du cycle de l’entreprise ?
Pour le moment, nous préférons rester focalisés sur l’amorçage. Par contre, nous avons des partenariats avec des incubateurs. C’est là que BiatLabs intervient dans notre pipeline. En fait, ces partenaires sont des relais importants. Sur les 250 candidatures reçues, environ 10% ont un fort potentiel. Mais nous n’avons pu en choisir que six. Ce sont celles qui correspondent aux critères de sélection du programme. Les autres ont un très bon profil mais ne sont pas encore prêtes pour le cycle d’accélération. Dans ce cas, nous les recommandons à des partenaires incubateurs. Nous les accueillons après lorsqu’elles seraient prêtes à venir chez nous. Au niveau de notre bureau, nous sommes en communication avec des fonds d’investissement pour s’assurer que les startup qui ont suivi le cycle d’accélération aient des investisseurs potentiels.
En quoi le programme Flat6Labs appuie t-il l’innovation en Tunisie? En quoi vous vous distinguez des autres programmes de financement et d’appui à l’innovation?
Le plus important en matière d’innovation et de financement, c’est de s’assurer que le soutien se fait sur toute la chaîne. Même pour avoir l’idée, il y a des composantes qui interviennent: des espaces qui aident à créer l’idée pour aller jusqu’à l’investissement et la commercialisation plus tard. En Tunisie, on remarque qu’il y a encore des gaps importants entre les niveaux de financement. C’est pour ça qu’à Flat6Labs, les investissements se font par échelle. Nous travaillons en synergie avec plusieurs acteurs: Cogite, BiatLabs, Réseau entreprendre, Africinvest, Bloommasters. Les startup peuvent exploiter les six bureaux, avoir accès aux équipes. Aussi, les startup que nous prenons doivent avoir l’ambition de l’international. Elles ont besoin d’un réseau international. C’est ce que nous offrons également.
Pouvez-vous nous citer des exemples de réussite ?
Toutes nos startup ont des exemples de partenariat ou de croissance réussis. Naviacom en est un bel exemple. Ils ont inventé un appareil GPS que l’on met dans un véhicule pour la gestion de flotte. La boite est présente dans quatre pays en Afrique. Dabchy.com est une deuxième réussite. Ils font l’achat et la vente d’habits usagés en ligne. Ici, ils ont pu solutionner un blocage de logistique au niveau des livraisons. Ils sont passés de quelques clients à des centaines de clients et 300 000 utilisateurs ! Avec une augmentation conséquente du chiffre d’affaires de dix fois entre le début et la fin du programme d’accélération.
Quels sont les projets futurs de Flat6Labs ?
En Egypte, en partenariat avec l’organisme de coopération anglais, nous avons développé des Flat6Labs “lights”. Nous travaillons sur l’ensemble du territoire, avec des “mini-programmes” pour préparer les startup au cycle d’accélération plus tard. Nous essayons de dupliquer ce schéma en Tunisie. Nous sommes en train de travailler sur des success stories, pour changer l’image de la Tunisie ,davantage perçue comme une destination “plage” et “huile d’olive” ! Pour ce qui est du choix des régions, la philosophie du programme, c’est d’aller en “profondeur” et pas nécessairement de sortir de la région. On croit vraiment que chaque ville, et c’est surtout vrai en Tunisie, a ses particularités. Notre prochaine cible, c’est le Maroc et la Jordanie.
Un dernier mot ?
Un message destiné aux entrepreneurs. L’aventure est une suite de challenges. Mais le parcours est excitant. Ayez du courage, et don’t give up ! Un message aux entreprises: faites confiance au jeune, qui arrive en jean et casquette pour vous proposer un service ou un produit, il peut vous surprendre! Les jeunes startup sont généralement plus flexibles, plus innovantes. Elles customisent le produit en fonction du besoin.