La Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao avec 40% de la production mondiale, ne produit presque pas de chocolat ! En Tunisie, moins de 10% de la production d’huile d’olive est conditionnée dans le pays, le reste étant exporté en vrac. L’absence de transformation pour les produits agricoles impose un lourd tribut à l’Afrique.
Quels enseignements et quelles bonnes pratiques tirer à partir des diverses expériences africaines en matière d’aménagement et de mise en œuvre des Zones de transformation agroalimentaire (ZTA) ? La thématique soulevée lance un coup de projecteur sur l’inévitable nécessité de se concentrer sur le développement de l’industrie agroalimentaire.
Bien que le taux de transformation des produits agricoles dépasse les 60% selon une déclaration faite par Hamida Belgaied, directrice générale des industries agroalimentaires au ministère de l’Industrie et des PME dans le cadre de sa participation à un séminaire organisé par la Banque Africaine de Développement, la Tunisie ne garantit pas encore son autosuffisance alimentaire, et plusieurs secteurs de production agricole restent totalement tributaires des conditions climatiques.
Imaginer le paysage: ce n’est déjà pas une mince affaire !
Samia Maamer, directrice générale au ministère de l’Agriculture a présenté les cinq clés pour la mise en place des ZTA: un environnement politique propice, la participation du secteur privé, l’identification des chaînes de valeur, et le développement des mécanismes de financement. Elle s’est focalisée sur la 5ème roue du carrosse: la promotion du développement rural rapide à travers une infrastructure intelligente pour l’agro-industrialisation.
Pour faire vite, selon l’intervenante, il faut un mix entre les énergies renouvelables, du matériel et des technologies qui préservent l’environnement et la santé, profiter des expériences d’autres pays, aider à investir dans les infrastructures et équipements locaux et surtout innover à tous les niveaux!
Les ZTA requièrent essentiellement trois conditions: des zones de production denses nécessitant une activité de transformation. “A-t-on les filières propices?”, des Centres de transformations agricoles, qui forment le relais entre les zones de production et les parcs agroalimentaires, qui sont la troisième condition.
Se pose alors la nébuleuse question des infrastructures. Ainsi, en marge de cette triade, il s’agit aussi et surtout d’équiper ce paysage par des fondations administratives, sociales et économiques adaptées à la dynamique de ces zones. En d’autres termes, “nous avons besoin de guichets uniques, de centres de formation, de maintenance, de laboratoires d’essais, de certification, de traitement des déchets, de complexes d’affaires, d’installations sociales, il faut aussi penser au développement durable”.
Elle a interpellé la salle, mais aussi les acteurs absents sur la nécessité d’imaginer “tout ce monde industriel” qui se profile dans ces zones. L’air rassurant, Samia Maamer précise que l’on ne part jamais de zéro! Il s’agit de miser sur l’existant, en pointer les manquements, valoriser les spécificités régionales, mener les études d’impacts écologiques qui s’imposent, le tout pour bien choisir les sites d’implantation.
Un benchmark africain
Un tour de table nous a permis de cerner les différentes expériences en la matière. Au Maroc, avance le représentant marocain présent dans la salle, ils se sont plutôt appuyés sur une stratégie sectorielle.
Le schéma étant une grande production agricole qui crée un besoin de transformation, rendant nécessaire la formation d’agropoles spécialisés, pilotés par une gouvernance indépendante et interconnectée. Leur positionnement est un facteur clé de succès (sites accessibles, administration simplifiée, mobilisation des différents acteurs locaux). Au Burkina Faso, les ZTA sont placées sous la tutelle du Premier ministère, où la limitation de ces zones s’exerce à travers la promulgation de lois.
Le premier défi étant de compléter l’infrastructure et les équipements. Ibrahima Kane, directeur général du Fonds souverain sénégalais (FONSIS), avance pour sa part que le challenge majeur au Sénégal est de s’éloigner du spectre du “trop public”, en alliant le privé à la mise en oeuvre des ZTA. “Nous avons enregistré quelques réussites” dit-il. Le FONSIS est un instrument innovant, bras armé privé de l’Etat, pour faire fructifier son patrimoine et relancer l’économie. A travers ce fonds, l’Etat du Sénégal utilise le puissant levier du capital-investissement, en jouant un rôle de fédérateur des investisseurs nationaux et étrangers autour de projets stratégiques.
Fait méritant d’être souligné: la Tunisie se révèle bien avancée en matière de transformation agricole, comparée à la majorité des pays africains, où l’agro-industrie se trouve encore à un stade embryonnaire. Alors que le modèle marocain repose sur les zones à forte densité de production, le modèle tunisien repose davantage sur l’innovation; le technopôle de Bizerte en est un exemple phare. Mamadou Kane, représentant sénégalais de la Banque, agrège les enseignements tirés des interventions en quelques clés de succès: la primordialité de la participation du secteur privé, l’association avec les universités et centres de recherches, construire sur l’acquis, identifier les filières, privilégier le dialogue.
Quant à la question de la gouvernance, souvent remise sur le tapis, Samia Maamer insiste sur la sécurisation de l’environnement des affaires : “ Il faut développer des modèles pilotes, tester et extrapoler”, précise-t-elle.
Le secteur privé : moteur des ZTA ou acteur à convoiter ?
Noureddine Agrebi, à la tête du technopôle de Bizerte, s’est attelé à la présentation du technopôle, réservoir d’infrastructures industrielles et technologiques, rassemblant des centres techniques et d’appui au secteur, des groupements professionnels, des zones de production, qui s’érige comme un modèle pilote jetant les bases d’une véritable zone de transformation agroalimentaire tunisienne; alors à quand des suiveurs ? Ibrahima Kane avise, dans son intervention, qu’il faut trouver un équilibre entre attractivité du site et avantages octroyés au secteur privé.
Au Sénégal, par exemple, le secteur privé est un “promoteur développeur”, des groupes privés se chargent de l’infrastructure commerciale des zones de production, de ce fait, ils ont tout intérêt à attirer les opérateurs privés sur ces sites afin de rentabiliser leurs investissements, puisqu’il s’agit d’un “deal de privé à privé”. Au Togo, le modèle est tout autre, mais non des moins intéressants. Les terres appartiennent aux collectivités territoriales, et c’est l’Etat qui s’engage à accompagner les entreprises pour les négociations avec les collectivités, à travers des contrats-conventions. Duncan Mwesige, head of business de la Banque en Ouganda, conclut que le rôle du secteur privé est primordial, qu’il n’existe pas de modèle parfait, les expériences sont enrichissantes mais chaque pays, en fonction de ses spécificités territoriales, devra se frayer un chemin. Bémol: nous avons tout de même été surpris par l’absence de représentants du secteur privé parmi les participants.
Le rôle clé du financement
Dressée en phrase culte de la journée, laissant pour sentiment la découverte d’un véritable adage, “ La valeur d’une chaîne de valeur est égale à la valeur du maillon le plus faible!”, a été prononcée par Nomathemba Mhlanga, PhD et spécialiste en agrobusiness, au Food and Agriculture Organization des Nations unies, en clôture de la séance qui a porté sur le financement des entreprises dans les ZTA.
En d’autres termes, la solidité d’une chaîne de valeur dépend de la solidité des différents intervenants et en particulier les plus faibles. A l’unanimité, les expériences se rejoignent sur un fait: avant toute initiative visant la mise en place de ZTA, il faut impérativement faire un mapping des chaînes de valeur et identifier les différents intervenants.
Au Maroc, les contrats-programmes entre le gouvernement et les professionnels sont de mise pour le développement et la mise à niveau des chaînes de valeur, ils sont accompagnés par une adaptation du cadre institutionnel et juridique. Au Sénégal, le plan “Sénégal Emergent” a pour vision des chaînes de valeur inclusives, en liant les différents maillons du système. L’Etat, lui, se positionnant comme régulateur : l’exemple célèbre est celui de la mangue, fruit identifié comme une des chaînes de valeur du secteur horticole disposant d’un fort potentiel sur les marchés internationaux.
La question du financement se mélange à toutes les sauces. Elle a mobilisé les esprits durant les deux dernières sessions. Qu’il s’agisse des différents maillons de la chaîne de valeur ou d’entreprises au sein même des ZTA, le financement conditionne la réussite de toute entreprise.
Ainsi, se sont étalées un ensemble d’expériences en la matière, le tout convergeant vers la nécessité du partage des risques. Assurances, banques, fonds de crédit, institutions de financement du développement, tous doivent se prêter au jeu pour créer des facilités de partage des risques et exercer un effet de levier sur les financements agricoles.
L’Etat devra impulser ces efforts, en veillant notamment à l’inclusion des plus petits dans les maillons de la chaîne. Nomathemba Mhlanga a exposé l’exemple éthiopien, où le gouvernement a procédé au mapping des institutions de microfinancement, pierre angulaire du secteur agricole, particulièrement dans les zones éloignées.
Ce mapping s’avère précieux, puisque ces institutions seront en contact direct avec les plus petits exploitants, et ne manqueront pas de dynamiser ces zones. Au Nigeria, des fonds de garantie des crédits agricoles ont connu un large succès. Des institutions de soutien évaluent les risques de la chaîne de valeur, l’objectif étant d’augmenter les flux de financement de 3 à 10 % d’ici 2020.
D’un autre côté, un index d’assurance a été mis en place, permettant aux petits agriculteurs de disposer d’une assurance, nécessaire pour les banques. Au Togo, le Fonds national pour la finance inclusive (Agricef), directement rattaché au ministère du Développement, se focalise sur l’identification et le développement des incubateurs, pour appuyer les petites entreprises.