Une scène réelle ce week-end dans un quartier bien réputé à Tunis.
Un monsieur qui passe une petite commande de 23 dinars chez le boucher et sort sa carte bancaire de son portefeuille pour payer. «Non, monsieur, veuillez accepter mes excuses. Nous n’acceptons plus les paiements par carte bancaire depuis le 1er janvier 2023. Il y a un distributeur juste derrière la boucherie, vous pouvez retirer de l’argent et me rembourser». Et c’est ce qui s’est passé.
La raison de ce comportement est claire: l’obligation de passer du régime forfaitaire au régime réel pour cette activité, récemment décidée par le ministère des Finances. Pour se protéger, il faut veiller à ne pas laisser de traces de son chiffre d’affaires. Toutes les transactions seront désormais en liquide pour pouvoir déclarer des recettes bien inférieures à la réalité. C’est tout à fait possible du moment que tout le processus peut être effectué en dehors des circuits réglementés: des éleveurs dans des fermes loin des yeux de l’administration fiscale, qui approvisionnent les boucheries hors des abattoirs contrôlés et qui, à leur tour, vendent à un consommateur qui n’accorde pas une grande attention à ce cachet vert sur la viande.
Certes, cela s’est reproduit pour tous les autres secteurs concernés par ce changement de régime, partout dans le pays. Du moment que les autorités monétaires poussent vers la digitalisation de l’économie et le decashing, le tour de vis fiscal pousse les opérateurs à privilégier plus que jamais le cash.
Imposer des caisses enregistreuses ou des paiements digitaux n’est pas la solution. Qui garantira que toutes les transactions passent par ces outils? Cela sans oublier que plus de la moitié des Tunisiens n’ont pas de cartes bancaires, ce qui rend ces mesures parfaitement inefficaces.
Le rendement des décisions fiscales restera faible tant que l’infrastructure digitale l’est aussi. L’Etat, qui détient trois banques, peut révolutionner le secteur financier en optant pour des cartes bancaires quasi gratuites et des comptes bancaires à faibles frais. Il faut rendre l’utilisation d’une carte bancaire ou d’un wallet pour payer un acte normal, celle du cash une exception. A ce moment-là, c’est le consommateur qui obligera les opérateurs économiques à accepter les paiements électroniques. La démarche actuelle est inverse à la culture du Tunisien, convaincu que l’impôt collecté sert à tout, sauf au bien public.