Les effets dramatiques concrets des coupures de l’accès à Internet sur la vie des gens et sur les droits humains sont fortement sous-estimés, alerte le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) dans un nouveau rapport. Le rapport exhorte les États à ne pas imposer ces coupures.
Qu’est-ce que les coupures ?
Les coupures consistent parfois à bloquer complètement la connexion à Internet, mais il arrive aussi de plus en plus que les États interdisent l’accès à d’importantes plateformes de communication, limitent la bande passante et restreignent le service mobile à la 2G, ce qui entrave le partage et le visionnage de vidéos et la diffusion en direct, entre autres.
Selon le rapport, la coalition #KeepItOn, qui surveille les coupures de l’accès à Internet à travers le monde, a signalé 931 coupures entre 2016 et 2021 dans 74 pays, certains d’entre eux ayant bloqué les communications de façon répétée et sur de longues périodes.
«Les coupures sont des indicateurs très éloquents de la détérioration de la situation des droits de l’homme», souligne le rapport. Au cours de la dernière décennie, elles se sont généralement produites en période d’exacerbation des tensions politiques, au moins 225 coupures ayant été enregistrées lors de manifestations publiques liées à des revendications sociales, politiques ou économiques.
Une perte économique
Les coupures de l’accès à Internet entraînent également des coûts économiques importants pour tous les secteurs, en perturbant par exemple les transactions financières, le commerce et l’industrie. Les chocs économiques provoqués par ces coupures se font sentir sur le long terme et exacerbent considérablement les inégalités sociales et économiques préexistantes.
«Les coupures ont pour effet de creuser les fossés numériques entre les pays et en leur sein», alerte le rapport. À l’heure où une aide au développement substantielle est affectée, à juste titre, à l’amélioration de la connectivité dans les pays moins avancés, certains des bénéficiaires de cette aide creusent eux-mêmes la fracture numérique en ordonnant des coupures. Au moins 27 des 46 pays les moins avancés ont imposé des coupures entre 2016 et 2021, la plupart d’entre eux ayant reçu un soutien pour accroître la connectivité.
Une connexion stable pour une communication optimale
Le rapport exhorte les États à s’abstenir d’imposer des coupures, à maximiser l’accès à Internet et à supprimer les multiples obstacles à la communication. Il demande également aux entreprises de partager rapidement les informations qu’elles détiennent sur les coupures et de veiller à utiliser tous les moyens légaux à leur disposition pour empêcher la mise en œuvre d’une coupure qui leur a été demandée.
«Les coupures de l’accès à Internet sont apparues alors que le monde numérique est devenu de plus en plus important, voire essentiel, pour la réalisation de nombreux droits de l’homme. De telles coupures causent des dommages incalculables, tant sur le plan matériel que sur celui des droits de l’homme», a déclaré Michelle Bachelet, Haute-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme.
La situation en Afrique
La situation en Afrique du Nord est évoquée à plusieurs reprises: “Plusieurs États ont perturbé les communications en période d’examens scolaires, apparemment dans le but d’empêcher la tricherie au moyen d’appareils numériques. Des organisations de la société civile ont signalé 38 interventions de ce type entre 2016 et 2021. La quasi-totalité des perturbations enregistrées ont touché l’ensemble du pays, et plusieurs d’entre elles se sont prolongées bien au-delà de la période d’examens, nuisant aux activités politiques et économiques. C’est dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord
que les perturbations de ce genre ont été signalées le plus souvent”.
Également, les coupures lors d’élections sont un cas souvent rencontré. Le rapport détaille: “Les coupures de l’accès à Internet ont eu des incidences sur au moins 52 élections entre 2016 et 2021. Au cours de la seule année 2019, 14 pays africains ont perturbé l’accès à Internet en période électorale, certains pays ayant limité cet accès pendant deux élections différentes. Ces perturbations entravent ou empêchent l’accès aux outils numériques essentiels pour faire campagne, promouvoir le débat public, organiser le vote et surveiller les processus électoraux. En fin de compte, les coupures de l’accès à Internet créent des obstacles importants qui nuisent aux processus électoraux démocratiques et à la libre circulation de l’information, ce qui peut éroder la confiance dans les processus électoraux et accroître la probabilité d’hostilités et d’actes de violence. Elles nuisent particulièrement aux groupes d’opposition qui ont moins de ressources, et qui peuvent être éminemment tributaires des canaux en ligne pour faire campagne et assurer la mobilisation. Elles entravent en outre fortement le travail des journalistes et des médias en général, qui sont un élément clef d’élections équitables. En Ouganda, par exemple, les coupures de l’accès à Internet ont nui à la couverture médiatique des élections de 2021, cependant que des mesures répressives violentes étaient également signalées. Des coupures faisant suite à des manifestations en période électorale ont également été signalées au Belarus et au Niger, entre autres”.