Après la dissolution de l’ARP mercredi soir, c’est comme si le temps était en suspens. Comment cette mesure a-t-elle pu être appliquée ? Quelles sont les implications de cette décision ? Et à l’avenir, que va-t-il se passer pour le pays ? Même si l’avenir demeure flou, Khaled Debbabi, enseignant chercheur en droit constitutionnel et en Sciences politiques, clarifie quelques points concernant la situation.
Au niveau de l’analyse juridique, il y a un paradoxe entre deux textes de la Constitution. D’une part, l’article 80 indique l’interdiction de la dissolution de l’ARP en ces termes : “Durant toute cette période, l’Assemblée des représentants du peuple est considérée en état de réunion permanente. Dans ce cas, le Président de la République ne peut dissoudre l’Assemblée des représentants du peuple et il ne peut être présenté de motion de censure contre le gouvernement.” D’autre part, le Président a annoncé avoir recours à l’article 72 pour dissoudre l’ARP : “Le Président de la République est le chef de l’Etat, symbole de son unité, il garantit son indépendance et sa continuité et il veille au respect de la Constitution.”
Khaled Debbabi nuance la situation : “Le 25 juillet, il a été procédé au gel des activités de l’ARP, afin d’entraver leur activité. Il s’agissait d’une astuce pour contourner la loi autour de l’interdiction de l’arrêt de l’activité. En théorie, l’activité était gelée et non pas arrêtée, mais dans les faits, il n’y avait plus d’activité. C’est une interprétation pour dissoudre le parlement de facto sans faire de dissolution juridiquement parlant. Il y a eu les mêmes effets qu’un arrêt : les députés ne se réunissaient plus, perdaient leur statut de député et perdaient leurs avantages, suite à cette mesure exceptionnelle”
Par rapport à l’article 72, d’après Debbabi, l’article n’a aucun lien avec la dissolution de l’ARP : “L’article a été évoqué pour servir de fondement à sa décision, en faisant appel au pouvoir d’arbitrage présidentiel. En cas de danger pour la République, le Président a le pouvoir de prendre des mesures exceptionnelles et d’agir en conséquence. Il a été inspiré de l’article 5 de la Constitution française de 1958. Le rapport aux textes de la Constitution n’est pas tranché mais paradoxal”
Le décret présidentiel N° 2021-117 du 22 septembre 2021 a changé la donne par rapport à l’article 4 de la Constitution : “L’article 72 se trouve dans le chapitre 4 de la Constitution relatif au pouvoir exécutif. Or, le décret suspend l’application du chapitre 4. En effet, ce décret indique que le préambule de la Constitution, ses premier et deuxième chapitres et toutes les dispositions constitutionnelles qui ne sont pas contraires aux dispositions du présent décret présidentiel, continuent à être appliquées. La Constitution est un texte cohérent, avec une certaine unité. Chaque article ne peut pas être pris à part mais les articles doivent être considérés dans leur ensemble, d’une manière intégrale”
Dès le décret 117, l’homogénéité de l’application de la Constitution a été modifiée : “Le décret 117 a changé l’application de la Constitution puisque certains articles continuaient d’être appliqués et d’autres pas. Le changement de l’application de la Constitution par le Président qui représente le pouvoir exécutif et administratif pose problème.”
Il aurait même été possible, d’après Debbabi, de dissoudre l’ARP dès le 25 juillet : “Il n’y a pas de différence entre la situation de l’ARP avant et après le 30 mars. Le Président a effectué une interprétation élargie de l’article 80 depuis le 25 juillet, il aurait été possible de mettre en place une feuille de route claire dès ce moment-là. La Constitution de 2014 n’existe plus, surtout depuis le décret 117”.
La tenue des élections entre 45 jours et 90 jours après l’annonce de la décision de dissolution s’en trouve compromise : “En se fondant sur l’article 72, et en en faisant une interprétation élargie, il occulte les articles de la Constitution parlant de la dissolution de l’ARP. La même interprétation élargie peut se répéter pour ne pas mettre en place de nouvelles élections de l’ARP”
L’arrêt des activités de l’ARP est risqué pour les anciens députés de l’ARP : “L’application de cette décision interdit les réunions de l’ARP et peut même sanctionner les députés s’ils ne respectent pas cette décision. L’activité, ou l’absence d’activité de l’ARP, dépasse la simple application de la loi et devient un véritable jeu de pouvoir entre plusieurs entités.”
La décision du 30 mars va modifier la perception du climat des affaires et des pays étrangers : “Le risque pour le climat des affaires et les investisseurs étrangers est d’avoir une perception mitigée, pour ne pas dire négative. Il n’est pas raisonnable d’avoir un paysage institutionnel qui concentre son pouvoir dans une seule institution”