“Une réforme historique majeure”, c’est ainsi qu’Emmanuel Macron, Président Français, a qualifié le passage du Franc CFA à l’Eco, la nouvelle monnaie unique qui devrait être adoptée par les 15 pays de la CEDEAO. Commençons par un petit rappel historique. Créé en 1945, le Franc CFA signifie “Franc des colonies françaises d’Afrique”. On comprend, de ce fait, la polémique qu’il continue de susciter dans les pays africains concernés, étant donné qu’il rappelle une époque plutôt sombre de leur Histoire, à savoir la colonisation. 75 ans après sa création et près de 60 ans après les indépendances respectives de chaque pays, il est encore perçu comme un symbole post-colonial.
Du Franc CFA à l’Eco : ce qui va changer
Concrètement, que va apporter le passage à l’Eco ? Le changement, est axé, tout d’abord, sur une dépendance financière des pays africains vis-à-vis de la métropole. Ce point est, néanmoins, remis en question par plusieurs experts. Fini le versement de 50% des réserves de change par la Banque Centrale des Etats d’Afrique (BCEA) au Trésor Français.
C’était une obligation perçue comme une dépendance humiliante par ceux qui critiquent le Franc CFA. Ainsi, lorsque l’Eco entrera en circulation, les BCEA seront libres de placer leurs avoirs en devises dans les actifs de leur choix, du moins selon ce qu’a déclaré la Présidence Française sur le sujet.
Autre changement notable, et il est de taille : le retrait de la France des instances de gouvernance de l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA). Ainsi, aucun représentant français ne sera plus nommé au Conseil d’Administration et au Comité de Politique Monétaire des BCEA.
Du Franc CFA à l’Eco : ce qui ne va pas changer
D’un autre côté, certains points que l’on a déjà connus avec le Franc CFA vont rester avec l’Eco. C’est le cas de la parité fixe avec l’euro – 655,96 Francs CFA pour 1 euro -. Le but, à travers ce maintien, est d’éviter les risques d’inflation selon la Présidence de la Côte d’Ivoire. Or, il faut rappeler que c’est cette parité fixe qui a suscité de vifs débats dans les pays africains concernés.
En effet, les économistes considèrent que le maintien de cette parité inchangée entre le Franc CFA – étant faible et l’Euro – une monnaie forte – pénalise les économies nationales des pays, les rendant moins compétitives. Or, selon ces mêmes économistes, ces mêmes pays ont grandement besoin de travailler sur leur croissance économique et sur l’emploi au lieu de se concentrer sur la lutte contre l’inflation.
Ainsi, les économistes africains appellent à mettre fin à la parité fixe entre l’Euro et le Franc CFA qui sera, donc, maintenue avec l’Eco. Pas seulement : il faudra également y mettre fin vis-à-vis des autres devises, à l’instar du dollar et du yuan chinois. Autrement dit, les monnaies des principaux partenaires économiques de l’Afrique – la Chine et les Etats-Unis –
Autre élément qui sera conservé avec l’arrivée de l’Eco : le rôle de la France en tant que garant financier pour les 8 pays de l’UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine) – Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo -. Dans cette optique, en cas de manque de disponibilité pour couvrir les engagements en devises, la France pourra octroyer à la BCEA les euros dont elle a besoin, et ce sous la forme d’une ligne de crédit.
Du Franc CFA à l’Eco : les experts sont divisés
Que pensent les experts du passage à l’Eco ? Certains sont favorables au changement de monnaie et, aussi, au maintien de la parité fixe avec l’euro, le dollar et le yuan chinois. Il s’agit, selon eux, d’un gage de stabilité, rappelant que dans des pays comme le Nigeria et le Ghana, la situation est difficile en raison du système des monnaies flottantes.
Plusieurs exportateurs sont aussi favorables pour une parité fixe, qui leur épargnera, selon leurs témoignages rapportés dans la presse locale, les problèmes de change et de gestion des écarts de change. En d’autres termes, ils n’ont pas à gérer, incessamment, les variations monétaires qui les poussera à réétudier les prix de leurs produits.
De l’autre côté, il y a ceux qui ont déploré, comme nous l’avons vu, le maintien de la parité fixe avec l’euro, le dollar et le yuan. Cela empêchera toute évaluation compétitive, d’autant plus que les producteurs locaux seront ralentis. Pis encore : l’industrialisation risque d’être entravée et les pays concernés, dans ce même contexte, seront coincés dans une économie de rente de matières premières.
Parité fixe du Franc CFA face à l’Euro : un frein au développement
“La parité fixe apporte une stabilité aux économies africaines. Elle permet aussi de maintenir une inflation basse. Cependant, l’arrimage à l’euro pose problème pour les économies africaines, notamment celles qui sont essentiellement agricoles ou minières. Ces dernières sont peu productives”, a expliqué Noël Magloire Ndoba, consultant et ancien doyen de la Faculté des Sciences Economiques de Brazzaville, sur Capital.
Sur le même journal, l’économiste et directeur du Forum Africain des Alternatives, Demba Moussa Dembélé, estime que le Franc CFA – avec sa parité fixe – constitue un frein au développement économique étant donné qu’il ne profite qu’aux PME (Petites et Moyennes Entreprises). Pas seulement : il déplore la fuite des capitaux et des bénéfices des entreprises à cause de la liberté de circulation des fonds entre la France et la zone du Franc CFA. “Les PME africaines n’ont pas accès aux financements bancaires, et ce en raison de restrictions monétaires que les banques centrales africaines sont obligées de suivre. Ce modèle est calqué sur celui de la Banque Centrale Européenne”, a-t-il encore noté.
Réformer la parité fixe du Franc CFA
Dans ce contexte, l’économiste et directeur du Forum Africain des Alternatives souligne qu’il faut mettre en place une politique monétaire plus flexible dans les pays africains, ce qui devrait stimuler les investissements, la production et l’emploi. D’un autre côté, un analyste financier estime que les pays africains sont confrontés à une problématique de taille au niveau de la structure de leurs économies respectives, qui sont différentes. – les pays de côtiers d’Afrique de l’Ouest, ceux du Sahel et ceux qui ont une économie pétrolière -. Ces derniers, à titre d’exemple, sont lourdement impactés par la chute des cours du pétrole, ce qui affaiblit leur économie.
De ce fait, selon les économistes, il faut commencer par réformer la parité du Franc CFA. Elle doit être calculée sur la base d’un panier de monnaies, à savoir l’euro, le dollar et le yuan chinois, sachant que ce dernier est de plus en plus présent dans le commerce international.