Dernièrement un problème inquiétant s’est installé en Tunisie: la fuite des cerveaux. En 2018, plus de 8 204 Tunisiens ont quitté leur pays, et parmi eux, 2 300 ingénieurs, 2 300 universitaires, 1 000 médecins et 100 informaticiens. Ces chiffres définit comme «critiques et dangereux» Hassib Ellouze, président de Sofiatech, ont attiré l’attention de l’OCDE, qui a classé la Tunisie au deuxième rang des pays arabes en termes de fuite des cerveaux, juste derrière la Syrie. La question est de savoir comment les entreprises font face à cette perte de talents? Cette problématique a été au cœur d’une table ronde avec les entrepreneurs, les chercheurs et les chefs d’entreprise organisée par le Larime en partenariat avec l’entreprise Biware et le magazine Managers. Cet événement s’inscrit dans le cadre de la 3e rencontre sur la recherche collaborative «Sciences et émergences» qui s’est tenue les 19 et 20 octobre.
Sahar Mechri, directrice du Magazine Managers, souligne qu’une étude de 2019 révèle que l’émigration est principalement motivée par le besoin de liberté et le manque de visibilité sur les plans politique et social en Tunisie. À cette liste, on peut ajouter les quatre principales raisons de départ des collaborateurs mentionnées par Walid Kaabachi, PDG de Biware, à savoir le salaire, les conditions socio-économiques, les perspectives professionnelles limitées et les conditions de travail à améliorer.
«Les entreprises forment leurs collaborateurs, mais dès qu’ils atteignent le stade de réelle productivité, d’autonomie, et de rentabilité pour l’entreprise, ils font le choix de partir. Les entreprises se trouvent ainsi pénalisées, tant au niveau des ressources humaines que du financement», explique Mechri.
En bref et comme le résume Khaled Abdeljaoued, DG de OneTech BS: «le climat global en Tunisie n’est pas propice à la rétention des jeunes talents. Gérer une entreprise locale est devenu extrêmement complexe, alors que d’autres pays, comme le Canada, le Maroc et l’Allemagne, attirent de plus en plus de Tunisiens talentueux».
L’éducation émerge comme une solution partagée face à cette problématique. Adnane Malek, professeur en sciences de gestion, met en avant la responsabilité des universitaires dans cette démarche. «Notre engagement consiste à sensibiliser les étudiants de master, en particulier ceux orientés vers la recherche, quant à l’importance et à la pertinence de leurs travaux de recherche», déclare Malek.
Khaled Abdeljaoued, DG de OneTech BS, préconise quant à lui l’augmentation du nombre d’universités privées pour former des ingénieurs, notamment dans le domaine de l’informatique.
Pour sa part, Hassib Ellouze, président de Sofiatech, insiste sur l’apprentissage continu en milieu professionnel au sein des entreprises. Selon lui, l’appel à l’alternance, de plus en plus répandu, que ce soit au niveau national ou mondial, peut prouver son efficacité pour fidéliser les collaborateurs. Il souligne également l’importance de la formation en mettant en avant des initiatives telles que Sofia Academy, un centre de formation professionnelle proposant des programmes sur mesure pour préparer les ressources humaines en fonction des besoins spécifiques des entreprises, pouvant contribuer à la rétention des collaborateurs.
De plus, pour faire face à cette situation, certaines entreprises envisagent même de créer des filiales ou entreprises à l’étranger dans le but de capturer une partie des talents tunisiens ayant émigré à l’étranger. Un exemple concret est Sofiatech, qui explore cette voie pour maintenir des liens forts avec ses talents tunisiens tout en étendant son influence à l’international.
En outre, face à une diaspora hautement qualifiée, il est essentiel de créer et de maintenir des relations commerciales fructueuses entre les acteurs locaux et ces talents émigrés, une idée également abordée par Sahara Mechri. Cette collaboration peut grandement contribuer à l’amélioration de la réputation internationale du pays. L’objectif est de tirer pleinement parti des compétences et de l’expérience de la diaspora pour renforcer la compétitivité locale tout en établissant des ponts solides qui profitent au pays.
Malgré les initiatives mises en place par les entreprises, elles ne parviennent qu’à résoudre entre 15 et 20 % du problème. C’est sur ce taux que les entreprises ont réellement un plan d’action, comme le souligne Hassib Ellouze. Pour faire face à cette question complexe, il est indispensable de mobiliser non seulement les entreprises, mais également les acteurs gouvernementaux, les universités, et la société dans son ensemble. Seul un effort collectif et une vision commune permettront de relever le défi de la fuite des cerveaux et de garantir un avenir meilleur pour les jeunes en Tunisie.
Il est impératif de reconnaître que la fuite des cerveaux n’est pas un problème qui se cantonne à la Tunisie, elle traverse les frontières du Nord et touche de nombreux pays du Sud. Cette problématique dépasse largement le cadre national.