Face aux conséquences dramatiques du réchauffement climatique, la Tunisie s’est engagée dans l’action mondiale visant à lutter contre ce fléau. D’où, à titre d’exemple, l’intégration des ODD des Nations Unies (Objectifs de Développement Durable) au dernier plan de développement 2016-2020. Quels sont les mécanismes qui peuvent être mis en place afin de lutter contre le changement climatique ? Cette problématique a été abordée sous un angle sociologique lors d’un séminaire organisé à Tunis le lundi 18 novembre 2019, par le Centre International du Développement Local et de la Bonne Gouvernance, en partenariat avec le Ministère de la Femme, celui de l’Environnement et celui de l’Agriculture.
Il s’agissait, en fait, de définir le rôle de la femme – notamment celle qui vit dans le milieu rural – en matière de lutte contre le changement climatique. Plusieurs invités de marque étaient présents lors de ce séminaire, à l’instar de la Ministre de la Femme, Naziha Laabidi, du Ministre des Affaires locales et de l’Environnement, Mokhtar Hammami, ou encore de la Secrétaire d’Etat auprès du Ministre de l’Environnement, Basma Jebali. Des spécialistes étaient également de la partie, à l’exemple de Samira Ben Hassine, directrice générale des affaires de la femme et de la famille au sein du département de la Femme. Celle-ci a présenté, lors de son intervention, la stratégie nationale de la réhabilitation économique et sociale de la femme dans les milieux ruraux, dont l’objectif est de les intégrer dans la lutte contre le changement climatique.
Éradiquer les inégalités, quelles qu’elles soient
La stratégie s’étend sur la période 2017-2020. Adoptée en Conseil des Ministres le 11 août 2017, elle présente un coût total de 53 millions de dinars, dont 28,930 millions de dinars en provenance des caisses de l’Etat. D’après Samira Ben Hassine, l’objectif principal est d’éliminer les inégalités entre les femmes et les hommes. Il s’agit, aussi, d’éradiquer les inégalités entre les femmes vivant dans les milieux ruraux et celles qui vivent dans les villes, notamment en matière d’accès à l’eau potable, à l’éducation, au transport, à la culture, ou encore aux loisirs.
“Plus de 40% de la population est au chômage dans les régions intérieures. Pis encore : les femmes actives dans l’agriculture sont marginalisées”, a déclaré la directrice générale des affaires de la femme et de la famille. La stratégie nationale est orientée vers 5 principaux axes.
Une réhabilitation économique
Le but est, tout d’abord, de réhabiliter les femmes du milieu rural sur le plan économique, en instaurant, notamment, l’égalité salariale dans le secteur agricole. La stratégie vise également à offrir aux femmes l’occasion de migrer du secteur informel vers le secteur formel. Il y a, aussi, la question de l’accès au financement. Cette dernière constitue un obstacle majeur empêchant les femmes rurales de lancer leurs projets, et ce malgré la mise en place du programme Raida – la leader – par le Ministère de la Femme et la Banque Tunisienne de Solidarité (BTS).
Une réhabilitation sociale
La stratégie nationale vise, d’un autre côté, à réhabiliter les femmes rurales sur le plan social. Et là encore, il y a du pain sur la planche compte tenu de la mentalité patriarcale dominante dans les zones en question. De fait, l’Etat veut lutter contre les violences faites aux femmes, qu’elles soient économiques, ou physiques. Il s’agit, aussi, de leur garantir des conditions de travail décentes, de les protéger de l’abandon scolaire et de leur permettre de profiter d’une couverture sociale. “Seulement 10,5% des femmes rurales ont accès à une couverture sociale”, a précisé Samira Ben Hassine.
Une plus grande participation à la chose publique
Le troisième axe vise, pour sa part, à accroître la participation des femmes à la chose publique, et ce à travers, notamment, l’éducation à la citoyenneté.
Une meilleure qualité de vie
Le quatrième axe est relatif à la qualité de vie dans les milieux ruraux. Il s’agit, en effet, de la garantir à travers la mise en place des infrastructures nécessaires. Ainsi, il sera possible de faciliter l’accès à la culture, aux loisirs, ou encore à l’éducation au profit des femmes.
Un état des lieux
Enfin, le dernier axe vise à mieux définir les besoins des milieux ruraux et de les évaluer. Au total, dans l’optique de la stratégie nationale de la réhabilitation économique et sociale de la femme dans les milieux ruraux, 76 mécanismes ont été mis en place. Selon la directrice générale des affaires de la femme et de la famille, 10 départements ministériels sont mobilisés en vue de l’appliquer, et ce, sans compter les institutions publiques (INS, CNAM).
Tous les problèmes de la femme rurale pris en compte selon la Ministre de la Femme
Egalement présente lors du séminaire, la Ministre de la Femme, Naziha Laabidi, considère que la femme rurale joue un rôle déterminant dans la lutte contre le changement climatique. Il faut, selon elle, l’intégrer dans le processus de développement et de protection de l’environnement. “Depuis 2017, on a mis en place la stratégie nationale en faveur des femmes rurales”, a-t-elle rappelé.
Toujours dans l’optique de soutenir la femme rurale, la ministre a rappelé que des mécanismes ont été mis en place, à l’instar de “Ehmini”, qui leur permet de cotiser et de constituer leur capital retraite à distance, à travers une solution mobile. “On compte, pour l’heure, 12 000 bénéficiaires. Nous espérons atteindre les 500 000”, a-t-elle précisé.
Revenant sur le rôle de la femme dans la lutte contre le changement climatique, la ministre a rappelé que la stratégie de l’Etat s’inscrit pleinement dans l’ODD numéro 17 qui inclut une dimension portant sur la protection de l’environnement. “La femme, dans le milieu rural, est exposée à de nombreux dangers. Nous avons pris en compte toutes ces problématiques”, a-t-elle encore déclaré.
Un budget spécifique pour les femmes des zones rurales
Pour sa part, le Ministre des Affaires Locales et de l’Environnement, Mokhtar Hammami, estime que tous les secteurs et tous les départements ministériels doivent œuvrer ensemble dans la lutte contre le changement climatique et ses conséquences. Il faut également faire participer les pouvoirs locaux. “Tout le monde est concerné par ce fléau. L’année de rupture, selon des études internationales, arrivera dans une dizaine d’années. Autrement dit, ce sera le point de non-retour”, a-t-il déclaré.
Si rien n’est fait pour contenir le réchauffement climatique, nous serons tous impactés, particulièrement les zones marginalisées. “La femme rurale, qui se lève tôt et qui travaille la terre, sera touchée, puisque la terre qu’elle cultive sera aussi touchée en raison des érosions, du stress hydrique et des menaces qui pèsent sur la biodiversité”, a mis en garde le ministre.
Dans ce contexte, il faut passer à l’action et selon le ministre, il faut agir ensemble. Plus encore : il faut faciliter l’accès au financement pour les femmes et les jeunes qui portent des projets s’inscrivant dans l’économie sociale et solidaire. D’un autre côté, il faut veiller à informer et former les femmes rurales sur les sujets environnementaux. Dans cette optique, les municipalités sont appelées à agir. Ces dernières doivent allouer un budget destiné à la femme et, spécifiquement, à la femme rurale afin de lui permettre de lancer son projet. “Il est temps de constituer une Commission Régionale chargée de veiller à l’exécution de ces projets et de résoudre la problématique du manque de financement”, a-t-il conclu.
Faire participer la femme à la prise de décision
De son côté, Basma Jebali, Secrétaire d’Etat auprès du Ministre des Affaires Locales et de l’Environnement, a également insisté sur le rôle primordial de la femme rurale en matière de lutte contre le changement climatique. Ces femmes contribuent tangiblement à la sécurité alimentaire du pays, étant donné que 43% d’entre elles sont actives dans le secteur agricole.
Néanmoins, elles font face à plusieurs problématiques, comme l’exposition aux pesticides et au manque d’eau. D’où l’importance, selon la Secrétaire d’Etat, d’encourager la rationalisation de la consommation d’eau et d’énergie, tout en veillant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. “Tous les ministères doivent agir ensemble. Quant à la femme, elle devrait jouer un rôle important dans le processus de prise de décision”, a noté la Secrétaire d’Etat.
Dans ce même contexte, la femme rurale pourra participer aux opérations de reboisement et à celles qui visent à protéger la biodiversité. Elles peuvent aussi, selon la Secrétaire d’Etat, encourager l’utilisation des eaux usées et des engrais naturels en agriculture.
Il est indiscutable qu’une prise de conscience du rôle de la femme rurale dans la lutte contre le changement climatique soit réelle dans notre pays. La stratégie nationale, présentée par la directrice générale des affaires de la femme et de la famille, constitue un autre élément encourageant. Cependant, sur le terrain, on manque cruellement d’actions concrètes visant à faire participer les femmes à la lutte contre le changement climatique.
Dans leurs interventions, les deux ministres ont, certes, exprimé la bonne volonté de leurs départements. Ils ont également appelé à un travail collectif dans cette même optique. Néanmoins, on reste sur sa faim concernant les mesures concrètes qui ont été prises en faveur des femmes rurales afin de leur permettre de lutter contre le changement climatique.