D’emblée un chiffre révélateur ! La contribution de l’industrie culturelle et créative au PIB tunisien n’est que de 0,6%. A titre de comparaison, en Europe, elle avoisine les 7%, en Corée du Sud, elle est de l’ordre de 9% ! La moyenne mondiale est de 3%. Ces chiffres ont été mis sur le tapis lors de la rencontre avec les médias organisée par la BIAT à l’occasion de la publication de l’étude réalisée sur l’état des lieux et le potentiel des industries culturelles et créatives en Tunisie, le mardi 06 novembre. Quels sont les freins à l’éclosion de ce secteur ? Focus
Il va sans dire qu’une armada d’études, de rapports et d’initiatives de tous bords, traitant le sujet de l’ICC, existe à travers le monde. La Tunisie est loin d’en dire autant ! La BIAT, un acteur majeur de la scène économique tunisienne ne cesse, depuis une dizaine d’années, de s’intéresser à ce secteur dont le potentiel n’est pas à négliger. Ainsi, l’objectif de l’étude est de mieux cerner le secteur culturel, d’évaluer son potentiel de développement et d’identifier les actions prioritaires à mettre en place.
L’étude est le résultat d’un moulage bien garni, alliant plus de 30 entretiens avec l’ensemble des parties prenantes et des acteurs économiques, culturels, gouvernementaux et l’analyse des statistiques disponibles. Dans son allocution de bienvenue, Elyes Ben Rayana a souligné “la culture est un axe important de la banque. Il s’agit d’un élément essentiel pour le développement d’un pays. En tant que banque, nous sommes convaincus qu’au-delà du mécénat, la culture est créatrice de valeur économique.” Ajoutant que le secteur doit reposer sur des modèles économiques et des business plans pour sa pérennité, à l’instar des géants mondiaux Disney ou encore Warners. “ En Tunisie, nous ne manquons pas de talents , le potentiel de l’ICC est considérable, mais il y a des obstacles sur lesquels il faut se pencher” a-t-il ajouté.
Quels obstacles minent le secteur ?
Le diagnostic de l’étude fait ressortir 4 composantes expliquant les freins à l’éclosion des ICC en Tunisie. Du côté de la demande, le Tunisien est très éloigné des aires culturelles ! L’accessibilité aux biens et services créatifs “physiques” est disparate et mal répartie sur la Tunisie. Le consommateur tunisien est mal ou peu exposé à ces produits, ce qui en limite la consommation. Ce manque d’accessibilité est dû notamment à la rareté de l’infrastructure. A titre d’exemple, la Tunisie a eu ses premières et uniques deux salles de concert en mars 2018 avec l’ouverture de la salle de l’Opéra de Tunis à la Cité de la Culture.
Par ailleurs, le patrimoine culturel national n’est pas toujours adapté pour l’accueil des visiteurs. Par exemple, l’accès au site de Dougga et les facilités nécessaires (restauration, aire de repos…) ne sont pas assez développés pour permettre une visite de groupes dans les meilleures conditions. La faible exposition est flagrante au niveau du secteur du cinéma. Outre leur nombre réduit, les salles d’exploitation commerciale sont fortement concentrées autour de quelques régions.
La répartition géographique des salles de cinéma est loin de couvrir toutes les zones à forte densité de population. Tunis concentre plus de 50% de l’offre avec plus d’un tiers des salles de cinémas concentrées dans le centre-ville dans un périmètre de 5 hectares. De leur côté, les biens numériques sont presque inexistants. Les plateformes de consommation de contenus culturels ou créatifs tunisiens sont principalement portées par le secteur des médias et se concentrent sur l’information ou la production propre.
Par ailleurs, Etat et investisseurs privés sont loin de se compléter ! L’Etat n’a pas réussi à se délaisser d’une position dominante qui peut aller jusqu’à freiner le développement d’acteurs économiques privés. Le secteur reste fortement dépendant des subventions de l’Etat. Cette dépendance a des effets néfastes générant même un cercle vicieux bloquant toute l’économie créative. D’un autre côté, les industries créatives sont par définition risquées car l’accueil du public est imprédictible, ce qui constitue un élément irritant pour les investissements financiers. Aussi, les investisseurs privés sont confrontés au manque de données et de transparence des transactions
Le cadre économique et/ou légal reste peu favorable et limite la possibilité d’exploiter correctement un segment de marché nouveau. C’est l’exemple de la radio. Malgré́ un marché́ mature, l’offre radio reste principalement généraliste. Les principaux besoins de mise à jour concernent les adaptations technologiques du secteur, les évolutions de la compétition internationale et l’encouragement de la diversification des acteurs et de la concurrence.
Ainsi, le cadre légal actuel comme le Code du numérique ou du patrimoine freinent les créatifs dans l’exercice de leur talents, et peut même les en dissuader. A titre d’exemple, l’étude cite la Loi n° 94–36 du 24 février 1994, relative à la propriété littéraire et artistique, les dispositions douanières sur l’importation et l’exportation des biens culturels, ou encore le décret n° 2001–717 du 19 mars 2001, fixant les modalités d’octroi de subventions d’encouragement à la production cinématographique
Les actions proposées
Plusieurs leviers sont à activer pour déclencher le potentiel de cette nouvelle économie, tels que: investir dans les canaux de distribution et l’accès aux biens et services créatifs, renforcer la présence des biens créatifs dans l’éducation et les médias, accélérer le développement de l’écosystème digital créatif, encourager une concurrence saine entre tous les acteurs créatifs, mettre les données au centre de l’économie créative tunisienne, faire porter l’économie créative par le public et le privé, et remettre à jour le cadre légal. L’étude recommande notamment de tester l’évaluation du risque et la qualité d’un éventuel futur investissement culturel. L’investisseur privé peut supporter financièrement de petits projets créatifs.
Ces projets sont portés par des talents en quête de développement. L’avantage de cette approche est de limiter le risque financier de l’investissement. Si le produit subit un échec (public non atteint, sous-qualité…), l’investisseur aura perdu un montant maîtrisé. D’autre part, si le produit est couronné de succès, l’investisseur aura une indication sur une piste d’investissement à risque déjà évalué. Ainsi, il sera capable d’investir en partenariat avec le même talent qui produit le prototype ou changer l’échelle du projet vers une plus grande envergure. L’investissement de départ peut, par exemple se faire sous forme de mécénat donc à fonds perdu.
Certains projets ont déjà bénéficié de cette approche, à l’instar de la Maison de l’Image qui a démarré avec un projet consistant à envoyer une délégation de photographes tunisiens à une rencontre internationale à New York. Ce déplacement a été financé par un mécène. A la suite du succès de la délégation aux États-Unis, il a accompagné la Maison de l’Image en finançant son aménagement et son ouverture.
La BIAT, un accélérateur des ICC !
Au vu de cette étude, la BIAT entend contribuer à la définition et à la mise en oeuvre d’actions pour le développement de l’ICC en Tunisie. Plusieurs actions d’envergure sont d’ore et déjà inscrites dans le pipeline de la banque telles que le lancement en juillet 2018 d’une offre dédiée au secteur du cinéma, dans l’objectif d’apporter aux jeunes producteurs un accompagnement sur mesure avec un crédit d’accompagnement à la trésorerie à court terme, un crédit d’investissement à hauteur de 10% du budget global du film avec un plafond de 150 000 dinars et une formule de prise de participation dans le film à hauteur de 10% du coût global plafonné à 50 000 dinars.
La Banque a également parrainé plusieurs initiatives culturelles telles que le festival du cinéma méditérranéen Manarat, l’objectif étant de développer l’offre de biens et services culturels en permettant aux Tunisiens d’avoir un accès facile aux oeuvres culturelles locales et régionales.
De son côté, la Fondation BIAT pour la jeunesse s’apprête à lancer un projet destiné à soutenir l’émergence des ICC en Tunisie, visant à soutenir et accompagner les meilleures initiatives créatives.
A noter qu’à travers son programme d’incubation pour les startups, Biatlabs, la BIAT appuie et soutien plusieurs startups opérant dans l’industrie créative.