Par Bassem Neifer, analyste chez AlphaValue
Traditionnellement, les managers des grandes boîtes sont la « fabrication » des grandes écoles. Certaines ont même forgé l’identité d’une industrie de leaders et exercent du lobbying partout grâce à leurs alumnis qui occupent des postes de premier plan, et sont payés autant. Mais qu’en est-il en Tunisie ?
La Tunisie est pleine de business leaders
La réponse est tout simplement non. À part quelques ingénieurs qui ont développé des boîtes à forte valeur ajoutée, la plupart sont plutôt des gestionnaires ou des héritiers heureux. Plusieurs ont suivi des études à l’étranger, chose qui leur a servi à construire de solides carnets d’adresses.
Le meilleur exemple ici est Telnet Holding et son dirigeant Mohamed Frikha, qui a pu tisser un réseau unique de relations avec plusieurs grandes boîtes françaises qui assurent aujourd’hui l’essentiel du chiffre d’affaires de la compagnie. D’autres managers ont bâti leurs groupes en partant de zéro. La meilleure illustration est SAH Lilas. Sa fondatrice, Jalila Mezni, a quitté le secteur bancaire pour se lancer toute seule dans une aventure qui l’a amenée, 25 ans plus tard, au sommet du marché des articles hygiéniques.
https://lemanager.tn/interview-exclusive-avec-jalila-mezni-ceo-de-lilas-60c93bcba074
Mais il existe également quelques poids lourds au Tunindex avec principalement quatre noms : Abdelwaheb Ben Ayed avec PGH, Hamadi Bousibiaa avec la SFBT, Hamdi Meddeb avec Délice Holding et Moncef Sallemi avec OTH.
Ces quatre groupes représentent 27,85% de la capitalisation de la Bourse de Tunis et 23,02% de son indice phare. Ces quatre managers sont de vrais leaders et dirigent des champions nationaux. Leurs parcours sont des success stories. Nous nous limitons ici aux managers des entreprises cotées, mais il y a aussi plusieurs autres fondateurs de groupes familiaux non cotés qui ont un parcours à étudier.
Qui s’offrent, relativement, une fortune
Mais ce leadership se monétise. Les revenus des premiers dirigeants des sociétés faisant appel public à l’épargne et les jetons de présence des administrateurs devraient dépasser le seuil des 30 millions de dinars cette année. Il faut préciser qu’il s’agit d’un montant brut.
C’est un sujet extrêmement sensible et qui ne cesse de faire couler de l’encre depuis que les rapports spéciaux des commissaires aux comptes affichent ces détails.
Mais loin des critiques, il convient de mener une analyse cohérente pour comprendre pourquoi les leaders des plus grandes sociétés tunisiennes sont à des niveaux de rémunération supérieurs à la moyenne. Si nous observons de plus près la liste des plus grandes rémunérations, nous constatons que les principaux bénéficiaires ne sont autres que des banquiers.
Rien de surprenant, c’est une tendance mondiale. Par contre, et à l’exception de quelque-unes, les dirigeants des sociétés non financières ne sont pas autant payés. Pour le cas tunisien, les quatre managers que nous avons évoqués un peu plus haut figurent dans les premières places du classement de chaque année.
Des montants justifiés ?
Bien que ces rémunérations soient exorbitantes dans l’absolu, nous pouvons trouver des justifications pour une telle générosité.
D’abord, ces rémunérations comprennent une importante partie variable liée aux performances réalisées par chaque dirigeant. Les règles de détermination de cette prime sont arrêtées par le Conseil d’Administration de chaque société. De plus, les rémunérations variables distribuées durant l’année 2017 ne sont autres que les primes sur les performances réalisées en 2016 qui a été globalement un bon exercice. Vu les excellents chiffres de l’année dernière, les rémunérations de 2018 seront également élevées.
La deuxième justification est relative à l’ampleur des responsabilités et des missions dont ces responsables sont chargés. Il ne faut pas oublier qu’un responsable de banque doit résoudre, au quotidien, les problèmes d’un large réseau d’agences sur tout le territoire du pays, outre la fixation d’une stratégie de développement dans un environnement fortement concurrentiel et marqué par des difficultés d’exploitation importantes. Une fausse décision peut coûter cher à son établissement. C’est donc un métier où les erreurs sont payées cash. Une prise de risque personnelle qui doit être rémunérée.
La troisième justification est relative à l’indépendance des dirigeants les mieux payés. Si l’on observe attentivement le classement des rémunérations durant les dernières années, nous constatons que les directeurs les mieux payés ne sont pas actionnaires dans les sociétés dont ils sont responsables. Par contre, la majorité de ceux qui ont des rémunérations moyennes contrôlent leurs sociétés. Cela signifie qu’ils font une sorte de rattrapage grâce aux dividendes distribués pour avoir, en fin de compte, une belle enveloppe.
Une nouvelle lecture s’impose
A notre avis, il ne faut pas s’arrêter à l’analyse des montants bruts des rémunérations, mais il convient de les relativiser. Nous invitons nos chers lecteurs à un petit exercice intellectuel en faisant appel au rapport rémunération/résultat net de la société. Cela permet de voir combien coûte réellement le dirigeant à sa boîte.
En se basant sur l’observation des salaires durant les années précédentes, nous pouvons assurer que le classement s’inverse. Les plus grands managers ne touchent donc pas dans l’absolu des montants faramineux. En d’autres termes, ceux qui gagnent beaucoup ont des rémunérations qui sont en cohérence avec la taille des sociétés qu’ils dirigent et la qualité de leur gestion leur permettant d’atteindre une profitabilité élevée.
Cela prouve aussi que scandaliser les rémunérations des dirigeants ne peut se faire dans l’absolu. Les actionnaires qui se présentent dans les assemblées générales et qui contestent ces rémunérations, doivent faire ce simple calcul pour comprendre l’apport de chaque dirigeant.
Dernière remarque. Pour les entreprises publiques, le niveau des salaires est bas, mais reste mieux que les membres du Gouvernement et de son Chef. Il ne faut donc pas se poser la question à propos de l’absence de gros calibres à la tête de nos « joyaux » nationaux. Il faut comprendre que la compétence a un prix.