Le SEPHIRE, fondé en 2011, est un syndicat professionnel rassemblant 20 laboratoires pharmaceutiques de recherche et de développement, de droit tunisien, représentant plus de 2000 emplois directs et indirects, œuvrant pour l’accès aux médicaments innovants, et portant la voix du secteur auprès des autorités et du grand public dans le respect des codes de conduite conformes à l’éthique de la profession.
40% du chiffre d’affaires total de ces laboratoires innovants en Tunisie est généré par la fabrication dans notre pays, que ce soit par leurs propres unités de fabrication, des sous-licences ou des contrats de sous-traitance. Ce partenariat des multinationales avec l’industrie locale, qui date des années 90, a largement contribué au transfert technologique en Tunisie et représente pour un nombre important d’industries locales une part importante de leurs activités.
Chronique d’une crise annoncée depuis 2016
Depuis plus de six ans, le SEPHIRE a prévenu les autorités de santé tunisiennes qu’une grave crise du médicament risquerait de se produire si le gouvernement ne prenait pas des mesures courageuses, immédiates et concrètes, pour réviser dans son ensemble le financement du secteur de la santé. Hormis le fait que les laboratoires innovants ne sont plus payés dans les délais, et que ce retard ne faisait que s’aggraver, d’autres mesures systémiques auraient dû être prises.
Malheureusement, entre promesses non tenues et rendez-vous non respectés, les difficultés se sont amoncelées et nous arrivons maintenant à un niveau de pénurie de médicaments sans précédent, sans doute encore aggravé par le désinvestissement de certains laboratoires innovants, qui aujourd’hui fournissent, en valeur, deux tiers des médicaments dans le secteur hospitalier et un tiers dans le secteur officinal et que 52% des médicaments fournis par nos laboratoires n’ont pas d’équivalent sur le marché local.
D’ici fin 2022, trois multinationales se désinvestissent de la Tunisie, d’autres pourraient suivre en l’absence de mesures urgentes
Cette annonce va davantage fragiliser la situation, déjà extrêmement critique, de l’approvisionnement des médicaments en Tunisie où plusieurs produits sont déjà en rupture de stock ou en tension d’approvisionnement.
Ces départs représentent une perte d’investissements directs en Tunisie que ce soit en termes de main-d’œuvre, de production, d’expertise, de formation ou de transfert technologique.
Le retard de paiement n’est pas l’unique raison du départ des multinationales pharmaceutiques
Les 750 MTND que le gouvernement tunisien doit, à travers la Pharmacie centrale de Tunisie (PCT), aux laboratoires innovants est loin d’être la seule raison de cette situation. Nous rappelons que ces laboratoires ont montré une patience exemplaire depuis plus de sept ans, dans l’espoir que la situation s’arrangerait et que les autorités de tutelle trouveraient des solutions concrètes. Quelle entreprise tunisienne pourrait montrer cette résilience devant une telle situation délétère?
Depuis juin 2022, et malgré les promesses non encore tenues par le gouvernement de verser à la PCT un fonds de 200 MTND, préconisé dans la loi de finances complémentaire 2021 afin de sauver cette entreprise publique, la situation n’a fait qu’empirer. La portée de ce geste reste très insuffisante pour améliorer significativement le niveau critique de la situation du crédit quand le délai de paiement est à une moyenne de 14 mois.
De graves dysfonctionnements entraînent la situation actuelle
A part les défauts de paiement par la PCT qui, rappelons-le, est le seul vecteur d’import de médicaments en Tunisie, d’autres problèmes tout aussi importants ont poussé les laboratoires à se désinvestir de la Tunisie:
· A l’échelle de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, la Tunisie est le dernier pays en termes d’accès aux médicaments innovants, ce qui signifie que très peu de médicaments innovants ont pu avoir leur Autorisation de mise sur le marché (AMM) et leur remboursement sur les dix dernières années.
· Les temps d’enregistrement de nouveaux médicaments en phase de mise sur le marché sont anormalement longs. Pour donner un ordre d’idée, ils peuvent atteindre plusieurs années en Tunisie (une moyenne de 4 à 6 ans), alors que dans certains pays voisins, ce délai ne dépasse pas les neuf mois et seulement quelques semaines dans certains pays arabes du Moyen-Orient.
· Une lourdeur administrative qui ne fait que s’aggraver sur les dernières années; à titre d’exemple, les commissions gérées par le ministère de la Santé et aussi par le ministère des Affaires sociales: la commission spécialisée (intérêt thérapeutique du médicament), ou le comité technique (qui accorde les AMM) ou bien la commission de révision de régime de base de l’assurance maladie (remboursement des médicaments). Toutes ces commissions ont du mal à être tenues.
· La protection de la propriété intellectuelle et des brevets n’est pas respectée en Tunisie.
Des solutions existent pour le retour à la normale de l’approvisionnement des médicaments
Restant confiant, le comité exécutif du SEPHIRE explique, une nouvelle fois, ce que pourraient être les solutions à mettre en place pour alléger la crise. Entre autres:
· Mobiliser des fonds pour réduire la dette de la PCT envers ses fournisseurs avant la fin de l’année 2022 et donner une feuille de route pour absorber toutes les dettes d’ici fin 2023.
· Réduire les délais de l’octroi de l’AMM en réactivant les comités techniques et les commissions spécialisées.
· Implémenter le comité unique de prix, séparer l’AMM du prix et le rattacher plutôt au remboursement en attendant la mise en place effective de l’Agence du médicament.
· Finaliser les projets de digitalisation et la révision en cours des textes de loi, dont certains datent des années 70, pour accélérer l’entrée sur le marché des innovations, protéger les brevets et la propriété intellectuelle.
A court et moyen terme, il deviendra indispensable de réfléchir au financement du système de santé pour ne pas retomber dans les mêmes problématiques. De telles décisions doivent se prendre tout en haut de la pyramide du gouvernement et impliquer un Conseil ministériel restreint regroupant les ministères impliqués tels que la Santé, les Affaires sociales, le Commerce, l’Industrie et les Finances… Cette batterie de solutions courageuses et incontournables permettra de revenir à une situation normale d’approvisionnement de médicaments, de maintenir et d’attirer les investisseurs étrangers importants pour le développement de l’industrie pharmaceutique locale, pour la formation de nos experts, pour les transferts de technologies et pour la création d’emplois à forte valeur ajoutée.