Des entreprises populaires. Telle est l’idée proposée par Kaïs Saïed lors d’un conseil ministériel pour répondre aux besoins des régions internes en termes de développement. Avare en détails, le président a tout de même indiqué que les parts de ces “entreprises” seraient partagées entre les résidents d’une commune, à raison d’une voix par habitant.
L’approche empruntée par le président de la République rappelle certaines caractéristiques des entreprises sociales et solidaires dont une loi a été adoptée en 2020 (et qui est en attente des textes d’application pour entrer en vigueur). N’était-il pas plus simple et plus efficace d’appliquer la loi sur l’ESS au lieu de réinventer la roue ?
Akram Haddad, expert en innovation sociale, est du même avis. “Ce que propose le président de la République rappelle les principes de la gouvernance démocratique édictée par l’ESS”, a-t-il indiqué. Mais à la différence des entreprises sociales et solidaires, les entreprises populaires répondent à “une approche à vocation sociale et non pas économique”, a souligné l’expert. “La seule entité capable de créer de la richesse économique est l’entreprise, et dans ce cadre, générer du profit est un élément essentiel”, a-t-il ajouté. Pour que les entreprises populaires aient le succès escompté par le locataire de Carthage, il est donc essentiel qu’elles soient structurées de manière à générer les profits qui lui permettent d’assurer leur pérennité.
Autre élément clé de succès pour les entreprises : un business model solide qui permet de dessiner la stratégie de la compagnie pour recruter et satisfaire ses clients. Dans le cadre des entreprises populaires, estime Akram Haddad, ce volet ne sera peut-être pas mis en valeur. L’expert a également déploré la formule qui ne prend pas en considération l’importance de l’initiative entrepreneuriale. “Il est important que les gens se sentent impliqués et motivés pour répondre à un besoin chez leurs clients”, a-t-il expliqué. Cette motivation peut ne pas être présente quand l’appartenance à ces entreprises est “automatique” avec le caractère territorial comme seul critère.
Ces lacunes, rappelle Haddad, n’ont pas lieu d’être dans le cadre de l’entrepreneuriat social et solidaire. “Avec le double- et triple-bottom line, les entreprises de l’ESS ont un impact social et/ou environnemental qui vient s’ajouter au profit financier”, a-t-il expliqué.
Cela dit, il existe bel et bien une autre approche qui permet d’atteindre les objectifs de développement territorial de manière participative, comme souhaité par le président de la République, tout en assurant le respect des contraintes de l’entrepreneuriat. Mais pour ce faire, deux lois, déjà proposées, doivent entrer en vigueur : la loi de l’ESS et celle du crowdfunding.
L’idée de Haddad est simple : mettre en place, au niveau des municipalités, des plateformes de crowdfunding où les intéressés peuvent proposer des projets sociaux. “Pour voter, les habitants n’ont qu’à soutenir financièrement les projets qui les intéressent le plus”, a-t-il expliqué. Selon lui, cette méthode permet de créer une concurrence entre les projets, ce qui peut privilégier l’innovation sociale. “Cette approche répond, à la fois, aux exigences de l’entrepreneuriat, de l’approche participative et du développement social et environnemental dans les régions”, a souligné l’expert.