Le nouveau visage de l’ARP (Assemblée des représentants du peuple) commence peu à peu à se dessiner. Même s’il faut attendre l’annonce officielle de l’ISIE (Instance supérieure indépendante pour les élections), les résultats des sondages sortie des urnes, livrés dans la soirée du dimanche 6 octobre 2019, donnent Ennahdha, Qalb Tounes et le Parti Destourien Libre gagnants.
Pour les nouveaux députés, quelle que soit leur couleur politique, il faudra faire face à de grands chantiers politiques et économiques, et tous sont liés. L’ARP est, en effet, la plus haute sphère du pouvoir selon la Constitution de 2014. Qu’en pensent les experts ? Les programmes des partis politiques en tête des législatives seront-ils efficaces ? Pour le savoir, Le Manager en a contacté trois : Hakim Ben Hammouda, Ezzeddine Saidane et Walid ben Salha.
Hakim Ben Hamouda : une plus grande marge de manoeuvre pour le pouvoir exécutif
Hakim Ben Hamouda a déploré le blocage qui a touché certains projets de loi. Ces derniers portent essentiellement sur l’amnistie des changes, la refonte du code des changes, l’accélération des grands travaux. L’économiste considère, dans ce même contexte, qu’il faut réviser l’actuel code de l’investissement afin d’améliorer le climat des affaires. “D’après une étude de l’OCDE, le code ne garantit pas encore un environnement favorable à l’investissement. Il faut revoir cette loi une bonne fois pour toutes”, a-t-il suggéré.
D’un autre côté, Hakim Ben Hammouda considère qu’il est essentiel de soutenir le gouvernement qui sera mis en place, et aussi de libérer les initiatives juridiques. “L’ARP peut concevoir des lois [en tant que législateur]. Néanmoins, le pouvoir exécutif doit aussi agir. En effet, c’est à lui que revient la définition des priorités économiques. Comme nous l’avons vu dans les résultats [du dimanche 6 octobre 2019], l’ARP est éclatée, divisée. Elle doit se concentrer sur son rôle qui consiste à appuyer le gouvernement. Avec sa configuration actuelle, l’Assemblée aura du mal à agir. Elle doit soutenir les propositions du gouvernement”, a expliqué l’économiste.
Sur le plan des réformes économiques, Hakim Ben Hammouda considère que le gouvernement ne doit pas forcément passer par l’ARP pour engager certaines mesures phares. C’est valable, selon lui, pour la réforme des entreprises publiques, pour le dossier de l’investissement, des subventions ou encore du changement des billets de banque et de la lutte contre la corruption. Dans ce ce contexte, il est important de rationaliser la coopération entre l’ARP et le gouvernement. “Le gouvernement actuel aurait pu entamer certains dossiers importants sans recourir à l’ARP”, a-t-il noté.
Programmes électoraux : des propositions économiques “très faibles”
Peut-on considérer, dans ce contexte, que l’ARP puisse constituer un obstacle ? D’après Hakim Ben Hammouda, la Tunisie a besoin d’un gouvernement fort, mais qui connaît les prérogatives de l’ARP ainsi que ses propres prérogatives. L’Exécutif doit établir des rapports de coopération avec l’ARP et agir conformément à ses prérogatives inscrites dans la Constitution.
Par ailleurs, interrogé sur les programmes des partis politiques élaborés pour les élections législatives de 2019, l’économiste a déploré la faiblesse des propositions économiques. “Celles que j’a consultées sont faibles et nécessitent un énorme travail pour être améliorées. Tous les partis, notamment les deux premiers, ont formulé des propositions très généralistes. A titre d’exemple, il n’y a pas de programme qui aborde le déficit commercial, d’autant plus qu’il n’y a eu aucune mention du changement du modèle de développement”, a encore souligné Hakim Ben Hammouda.
Ezzeddine Saïdane : “il faut une majorité et un gouvernement solides pour arrêter l’hémorragie de l’économie”
Pour Ezzeddine Saïdane, il s’agit d’arrêter l’hémorragie qui touche l’économie tunisienne depuis des années. Dans une déclaration accordée au Manager, l’économiste souligne que la prochaine ARP doit adopter un plan de sauvetage de l’économie tunisienne. Autrement dit, selon lui : un plan d’ajustement structurel. Le but est de rétablir les grands équilibres économiques et financiers du pays. Il estime, dans cette optique, qu’il faudra entre 1 an et 1 an et demi pour le pays pour pouvoir appliquer ce plan.
Une fois les ajustements structurels mis en place, l’ARP devra se pencher sur les grandes réformes. L’objectif est de remettre l’économie sur pied, sur l’orbite de la croissance et de la création de richesse. Un tel plan nécessitera environ 5 ans, soit la durée du mandat de la nouvelle ARP.
Comment y arriver ? Deux conditions sont requises selon l’économiste. Tout d’abord, il faudra une majorité solide à l’hémicycle. Or, il sera difficile de la constituer avec la configuration en vue de l’ARP. Ensuite, c’est un gouvernement solide qui doit être mis en place. En d’autres termes : un gouvernement assez audacieux, courageux et capable d’élaborer un plan de sauvetage et de le proposer au Parlement et qui doit, par la suite, l’exécuter.
Déficit commercial et budgétaire : les deux autres grands chantiers à entamer
Par ailleurs, l’un des principaux défis auxquels l’ARP va faire face est l’endettement. “Les dépenses ont augmenté à un rythme vertigineux sans générer de croissance. Conséquence : la dette publique a augmenté. Aujourd’hui, pour fonctionner et survivre, l’Etat dépense l’équivalent de 40% du PIB, alors que la norme est de 20%. Il est vital de tracer une nouvelle politique de défense publique, à travers la loi, dans le cadre des discussions sur le prochain budget de l’Etat”, a expliqué Ezzeddine Saïdane.
Autre problématique soulevée par l’économiste : le déficit commercial qui risque de se creuser davantage en 2019 par rapport à 2018. L’an dernier, il a atteint les 19,2 milliards de dinars. En 2019, il devrait avoisiner les 21 milliards de dinars selon l’économiste. “Il est essentiel de mettre en place des lois qui obligeront les gouvernements à défendre l’économie tunisienne, tout en respectant les réglementations internationales”, a-t-il suggéré.
Dans ce contexte économique difficile, quel a été le parti politique à avoir proposé le programme électoral qui serait le plus efficace pour sortir de l’impasse dans le cadre des élections législatives de 2019 ? D’après l’économiste, il s’agit du PDL (Parti Destourien Libre). Celui-ci, à titre d’information, a remporté 6,8% des voix selon le sondage sortie des urnes réalisé par Sigma Conseil, soit 16 sièges à l’ARP. “Malheureusement, c’est un parti de l’opposition et non au pouvoir”, a rappelé Ezzeddine Saïdane. Afek Tounes, poursuit-il, a également proposé un programme économique “assez réaliste”. Le parti, selon lui, a évoqué ses projets, mais également la manière de les financer, ce qui n’est pas le cas des autres partis politiques.
Walid Ben Salha : se fixer, tout d’abord, sur les coalitions et le gouvernement
Très bref était Walid Ben Salha lorsqu’il a été interrogé par Le Manager au sujet des priorités économiques de l’ARP. L’économiste considère qu’il faudra tout d’abord se fixer sur les prochaines coalitions à l’ARP et sur la composition du futur gouvernement. Une fois cela fait, il sera possible de se projeter.