La Tunisie entière a été secouée par le drame du lycée Ibn Rachik d’Ezzahra : un adolescent de 17 ans a poignardé son enseignant et lui a donné un coup de hache. Cette violence sans précédent a ému les Tunisiens, qui ont tous été élèves à un moment donné de leur vie, et surtout les enseignants, qui doivent faire face chaque jour à des classes d’enfants et d’adolescents à gérer durant des heures dans des salles de classe closes. La visite de Kaïs Saïed au chevet de l’enseignant blessé, lundi, a donné une envergure d’Etat à cette affaire locale.
Une augmentation de la violence chez les jeunes ces dernières années
Pour répondre à la question de la violence chez les adolescents, nous avons interrogé deux pédopsychiatres : Dr Fatma Charfi, de l’hôpital Mongi-Slim (La Marsa), et Dr Sami Othman. Lorsqu’on demande comment un adolescent de 17 ans en arrive-t-il à la tentative de meurtre, Dr Othman répond : “Concernant le drame du lycée d’Ezzahra, je ne dispose pas de la totalité des informations sur les circonstances de ce qui s’est passé, donc je ne peux pas vous répondre. Toutefois, ce que je peux mentionner, c’est qu’actuellement, nous assistons à une augmentation des actes de violence chez les jeunes. Ce problème est devenu un sujet important qui intéresse les sociologues, les psychologues, les criminologues et même les politiciens. Il est nécessaire de comprendre le phénomène, ses causes pour bien proposer les solutions et les remèdes nécessaires”.
Dr Charfi rejoint Dr Othman sur l’augmentation de la violence ces dernières années, et classe les causes de la violence en plusieurs catégories : “Nous avons constaté une augmentation de la violence ces dernières années en Tunisie, aggravée par l’impunité et la banalisation de la violence à travers les médias (y compris les réseaux sociaux, les jeux vidéo, etc.). De façon générale, il faut considérer la violence comme liée à de multiples facteurs, elle est multicausale. Il y a les facteurs individuels tels que les difficultés psychologiques pouvant engendrer des changements comportementaux et émotionnels ayant des origines multiples. Il y a les facteurs familiaux associés essentiellement au climat familial et aux modalités éducatives. A titre d’exemple : les parents ayant des problèmes à instaurer une autorité et des limites, ceci peut être un facteur favorisant les transgressions multiples de la part de l’enfant. Les enfants victimes de violence, et ceci est un véritable fléau et un problème de santé publique, ces enfants peuvent à leur tour devenir violents. Les enfants qui vivent différentes formes de carences et de négligences peuvent aussi développer de tels comportements. Enfin, citons les causes sociologiques, la violence à l’école est un miroir de ce qui se passe à plus grande échelle.”
Repérer les premiers signes de violence
Pour bien agir face à la violence, il faut savoir en repérer les premiers signes. D’après le Dr Othman, ils peuvent se manifester très tôt, vers 6-7 ans. “On peut classer la violence chez les jeunes en plusieurs types :
– Verbale : menaces, insultes
– Psychologique : pression à l’école, harcèlement, chantage, racket, espionnage, négligence familiale…
– Physique : par des coups, des armes, des objets, contre des biens (destruction, vandalisme, vols (impulsif-besoin immédiat/ fille en grande surface, garçon véhicule motorisé)
– Contre soi-même : TS (tentative de suicide), scarifications…
Ces actes ou comportements peuvent se manifester très tôt, vers l’âge de 6-7 ans, c’est-à-dire à partir du moment où l’enfant intègre la notion de loi, d’interdit et de limites. Ces enfants transgressent les règles et présentent de façon précoce des comportements non adaptés de type bris d’objets, violence physique ou verbale, brutalité contre les animaux, non-respect de l’autorité parentale ou des enseignants. Il y a une aggravation à l’adolescence de cette violence qui peut prendre d’autres envergures, s’organiser en bande et devenir un fonctionnement psychopathique et antisocial.”
Il n’y a pas de petite ou de grande violence. Dr Othman a affirmé : “Toutes les violences, qu’elles soient physiques, verbales ou psychologiques, se valent et ont la même valeur de vouloir nuire à soi ou à autrui”.
La prévention de la violence
Dr Charfi et Dr Othman appellent à sensibiliser tous les adultes de référence (parents, proches, enseignants) à la prévention de la violence. Pour Dr Charfi, elle concerne tous les acteurs : “La prévention doit être globale et impliquer tous les secteurs : l’éducation, la justice, la santé, l’enfance et la famille, la société civile, les médias, etc. La sensibilisation du grand public, l’aide à la parentalité et la parentalité positive, la lutte contre la violence chez l’enfant, le dépistage précoce des problèmes de santé mentale chez l’enfant et l’adolescent en sont des exemples d’action de prévention. Le lien entre le cadre éducatif et parent / élève doit également nous interpeller. La communication n’est pas évidente, et le fait d’améliorer cette communication entre apprenant et enseignant pourrait aider à apaiser le climat.”
Selon Dr Othman, plus l’enfant est pris en charge tôt, mieux la violence est prévenue. “La prévention doit débuter tôt dans l’enfance. Les stratégies comprennent les actions suivantes. La prévention de la violence chez les jeunes exige une approche globale qui porte également sur les déterminants sociaux de la violence, tels que les inégalités de revenu, l’évolution démographique et le changement social rapide et de faibles niveaux de protection sociale. Des actions plus spécifiques doivent :
– instaurer des limites claires et une discipline sans violence chez les jeunes enfants
– mettre des stratégies pour limiter le harcèlement à l’école
– créer et maintenir un environnement scolaire sûr pour l’enfant d’âge scolaire
– limiter l’accès aux armes et l’exposition à la violence au travers des médias et des jeux vidéo
– les enfants maltraités ou victimes de maltraitance doivent être encouragés à discuter de ces problèmes avec leurs parents, les instances scolaires et leur médecin
– la détection et la prise en charge précoce des troubles psychologiques”.
Il a ajouté : “Pour les enfants plus âgés ou les adolescents, encadrer l’usage des nouvelles technologies de la communication, faire respecter les limites d’âge mentionnées pour les jeux vidéo, les films et les réseaux sociaux. Il faut aussi prévenir l’usage des toxiques, des drogues et lutter contre le cyber-harcèlement.
La réponse à la question de la violence ne peut jamais être seulement répressive, la prévention y joue un rôle primordial. La promotion des facteurs de protection est nécessaire pour des relations constantes et de confiance avec les personnes de référence (parents, enseignants, éducateurs) et pour mettre en action des expériences positives et des environnements stimulants.”