Le représentant résident du PNUD en Tunisie n’a pas de temps à perdre. A peine installé que déjà, Steve Utterwulghe se montre animé par une forte volonté de changement pour s’engager et s’impliquer dans le processus de transformation économique et sociale dont dépend la pérennité du développement. Il s’invite dans la gestion du changement. Sans être pressé, il veut avancer vite et bien sur tous les fronts. Ce besoin de casser les cordes, d’anticiper lui vient sans doute de son parcours rompu aux impératifs de l’investissement et du climat des affaires. Il en maîtrise tous les déterminants et les ressorts, les tenants et les aboutissants. Il sait d’expérience combien est important le rôle du secteur privé. Qu’il défend sans relâche, convaincu de son importance. Mû par un souci d’optimisation et d’efficacité, il fait partie de cette #NextGenUndp qui s’emploie à faire dynamiser les synergies entre les trois clusters du PNUD Tunisie pour en maximiser l’impact à travers le partenariat public-privé.
Quelle est la place de l’action climat dans les priorités du PNUD dans le monde et en Tunisie en particulier ?
Aujourd’hui, aucun pays n’est épargné des effets drastiques des changements climatiques qui perturbent les économies et affectent la vie de millions de personnes. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, pour atteindre le chemin de 1.5 °C, nous devons réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) de 45% d’ici 2030 et atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Les pertes économiques liées au climat sont évaluées à des centaines de milliards de dollars. Les ouragans et catastrophes mondiales ont contribué à faire passer les pertes à 330 milliards de dollars US.
Le PNUD ne peut alors être insensible à cette cause d’une dimension planétaire, il en fait une priorité au plus haut de son management puisque l’Administrateur du PNUD s’engage personnellement dans l’action climat, avec des problématiques tout à fait en lien avec le risque climatique, notamment la migration et les inégalités. Son rôle d’intégrateur des Objectifs de Développement Durable (ODD) lui donne la capacité à connecter et à fournir des services et des plateformes qui favorisent la collaboration pour la réalisation des ODD, dont l’ODD 13 lié au climat. Le dernier plan stratégique du PNUD au niveau global (2018-2021) met en avant trois problématiques phares dont deux sont liées au climat, en l’occurrence la transformation structurelle et le développement durable ainsi que le renforcement de la résilience aux chocs et aux crises.
Cependant, la priorité de l’action climat dans les programmes du PNUD ne date pas d’hier. Ainsi, depuis 2008, le PNUD a appuyé plus de 140 pays dans leur effort à accéder à des financements de l’ordre de 3,2 Milliards USD en dons, leur permettant de développer et de mettre en œuvre des initiatives d’actions climat. Aussi, le PNUD appuie la mise en œuvre des contributions déterminées au niveau national ou communément appelées NDC (Nationally Determined Contribution). Il mobilise à cet effet un budget de 45 M$ couvrant actuellement 26 pays dont la Tunisie. Pour ce qui est de la Tunisie, le PNUD dispose d’un portefeuille diversifié de 17 M$ qui lui est consacré pour financer plusieurs actions climat tant au niveau de l’atténuation qu’au niveau de l’adaptation.
A cet égard, nous accordons une importance particulière à certaines thématiques clés dont la transition énergétique et la résilience côtière. La première représente 75% de l’objectif de la NDC tunisienne et la deuxième constitue 70% de l’activité économique du pays.
Quel regard porte le PNUD sur la mise en œuvre par la Tunisie des actions liées à l’Accord de Paris ?
A dire vrai, la Tunisie a toujours figuré parmi les pays engagés pour l’environnement. En témoigne, la création de l’Agence Nationale pour la Maîtrise de l’Energie en 1985 et de l’Agence Nationale pour la Protection de l’Environnement qui a vu le jour en 1988. Néanmoins, c’est à la suite du sommet de Rio que les efforts en matière d’environnement et de climat sont passés à une vitesse supérieure. La Tunisie a alors pris des décisions plus ambitieuses ainsi que des engagements politiques et institutionnels importants afin de mieux gérer les ressources naturelles. Et ce, à travers la ratification des trois conventions des Nations Unies sur la diversité biologique, la lutte contre la désertification et le changement climatique.
A partir de 2015, la Tunisie a soumis sa NDC visant à réduire de 41% l’intensité carbone d’ici 2030 par rapport à 2010. Cet objectif a été confirmé comme engagement national avec la ratification de l’Accord de Paris par l’Assemblée des Représentants du Peuple en octobre 2016. Autre élément à l’actif du pays est la mise en place d’une unité climat au sein du Ministère des Affaires Locales et de l’Environnement en 2018. Ceci est un acquis important pour la gouvernance climat et par conséquent pour la coordination de la mise en œuvre de l’Accord de Paris en Tunisie. Aujourd’hui, le pays a besoin d’actions courageuses dans les réformes des politiques nationales pour intégrer complètement le risque climatique et élaborer une vision de long terme qui privilégie une croissance inclusive et une équité sociale.
Comment le PNUD a-t-il pu sensibiliser à l’importance de l’intégration de la dimension climat ?
Le PNUD a appuyé le gouvernement en fonction des priorités nationales. D’ailleurs à ce titre, je voudrais remercier nos partenaires pour la confiance et l’ouverture que le PNUD a eues avec toutes les institutions gouvernementales et non gouvernementales. Nous avons pu conjointement aligner les politiques et les programmes nationaux aux cibles de l’agenda 2030. Un travail spécifique a été élaboré pour ce qui est de l’alignement des politiques nationales aux cibles de l’ODD 7 relatif à l’accès à l’énergie durable ou encore de l’ODD 13 lié au climat. Nous avons également effectué un minutieux travail sur l’intégration de la démarche de connaissance de risques au niveau local dans la planification du développement et la planification urbaine.
Cette démarche s’inscrit dans le cadre de nos initiatives sur la réduction de risques de catastrophes, y compris le risque climatique, financées par nos partenaires financiers tels que le FEM (Fonds pour l’Environnement Mondial) ou la Commission Européenne. Je citerai, enfin, les importantes initiatives qui ont été lancées avec nos partenaires gouvernementaux et non gouvernementaux au niveau national et local concernant des sujets stratégiques tels que la planification spatiale pour anticiper et prévenir sur le risque climatique. Je nomme le nouveau schéma directeur d’aménagement de la zone sensible (SDAZS) de l’île de Djerba tenant en compte le risque climatique.
Lequel shéma est en cours de finalisation avec nos partenaires de l’Agence de protection et d’aménagement du littoral et de la direction générale de l’aménagement du territoire. Nous travaillons, aussi, avec notre partenaire l’Agence nationale pour la maîtrise de l’énergie sur une vision de développement bas carbone à l’horizon 2050 pour le secteur de l’énergie. Ceci permet de donner corps à la planification nationale sur le court terme en matière de réforme nécessaire pour atteindre de cette vision.
Que faut-il pour relever le défi et marquer une véritable avancée dans la lutte contre le changement climatique ?
Aujourd’hui, la Tunisie s’est engagée dans la voie de la décentralisation et c’est tant mieux car l’action climatique décentralisée est beaucoup plus efficace. En plus d’une vision nationale favorisant l’intégration du risque climatique dans la planification sectorielle nationale, les collectivités locales auront à répondre à cette vision en s’engageant dans l’action climat via des objectifs tant d’atténuation que d’adaptation. D’un autre côté, il faut accélérer les réformes, notamment la mise en place de l’instance constitutionnelle pour le développement durable et le droit des générations futures. La sensibilisation du pouvoir législatif pour appuyer les initiatives en lien avec l’action climat est de première importance. Je voudrais surtout insister sur le fait que l’action climat est transverse et qu’elle nécessite la mobilisation de toutes les forces vives de la société allant des décideurs politiques à la société civile en passant par le secteur privé et financier.
Comment verrez-vous l’intervention du PNUD dans ce projet ?
Actuellement le PNUD appuie la Tunisie à mobiliser la finance climat entre autres via le Fonds Vert pour le climat. De ce fait, certaines initiatives sont en cours d’élaboration dont la discussion au sujet du plan national d’adaptation (avec 2M$) pour intégrer le risque climat dans la planification du développement et la planification spatiale, tant au niveau national que local. Un autre point qui me tient parfaitement à cœur est l’engagement des secteurs privé et bancaire. Nous comptons intervenir à travers la sensibilisation, la formation et la facilitation du dialogue pour les pousser à adhérer. Il faut que le secteur privé passe du mode funding en mode financing des objectifs. Et pour le financing, vous avez besoin de banques commerciales, de banques internationales de développement. Il y a tout un changement qui s’opère au niveau mondial pour l’achèvement de la réalisation des ODD qui dépend fondamentalement de l’action du secteur privé. Et ceci va se décliner au niveau de l’action climat qui est au cœur de l’intervention présente et future du PNUD en Tunisie.
Un mot de la fin ?
Il faut que nous soyons plus audacieux au niveau de la vulgarisation de l’impact du non-respect de nos engagements internationaux et du non-respect de l’environnement dans nos comportements de tous les jours sur les plages, dans les quartiers, etc. Il faut cibler au-delà des élites économiques. Commencer à partir de l’école primaire. Les parents doivent donner l’exemple. La bonne nouvelle c’est que le monde entier se mobilise et les pays ont cette opportunité d’élever leur ambition quant à l’action climat en 2020 avec l’appui de la finance climat, et la Tunisie fait partie de ces pays. Aujourd’hui, nous avons besoin d’un gouvernement réformateur pour prendre des décisions audacieuses, radicales même. Nous ne pouvons nous permettre de prendre en otage la santé des générations futures. Qu’on se le dise avec 3 degrés supplémentaires, il n’est plus possible de survivre. Il y a besoin de réformes radicales qui aboutissent à la promulgation de lois applicables à l’intégralité de la société, les jeunes, le secteur privé, etc. Toute la société doit se mobiliser pour gagner cette course. Bref, rien de moins qu’un mouvement national de réformes pour que l’action climat se transforme en une opportunité pour une croissance verte plutôt qu’une menace pour l’équité sociale.