Emna Ben Ali, lauréate du secteur TIC et services, prix Tunisie Telecom
Elle voit grand et elle est rapide à la détente. Cette jeune femme de vingt-cinq ans avance au rythme de l’accélérateur du temps. Déjà sur les bancs de l’ISET, cette étudiante en génie électrique suit les formations CEFE. De la passion, de l’assurance et une confiance en soi qui ne faiblit jamais. A quoi s’ajoute une discrétion qui donne à cet esprit fonceur et concret une énorme sérénité et une force à déplacer les montagnes. De là à développer des solutions pour mieux éclairer, il n’y a qu’un pas qu’elle a allègrement franchi. Cette femme jeune, frêle et électrique ne sera jamais guettée par l’oubli. On n’a pas fini de parler d’elle. Interview.
En quoi consiste votre solution ?
La solution que nous développons permet la gestion de l’éclairage public à travers une manipulation automatique et/ou à distance de systèmes électriques. Aujourd’hui, nos clients sont principalement les municipalités. Un dashboard en ligne permet au chef service de l’éclairage public de commander à distance le réseau et d’avoir un aperçu en temps réel de son état. Il est également possible de consulter l’état de chaque réverbère via SMS, ce qui est très pratique pour l’inspection.
Notre système a également la particularité de pouvoir détecter les pannes et de les notifier aux responsables dès qu’elles surgissent pour intervenir dans les plus brefs délais. Plus précisément, un boitier de la taille d’un récepteur est placé dans l’armoire de l’éclairage public. Il se branche avec les connecteurs pour faire passer l’électricité aux candélabres et régule au moment du coucher et du lever du soleil. Nous essayons de prendre en considération les exigences du métier. Par exemple, le chef d’éclairage public dispose d’un accès qui permet de commander et de superviser tandis qu’un ouvrier ne peut que constater un dysfonctionnement.
Comment a émergé votre idée ?
Lorsque j’ai fait mes stages à l’administration régionale de l’Equipement en 2012 et en 2013, en tant qu’étudiante à l’ISET, j’ai pris acte du dysfonctionnement au niveau de l’éclairage public. Celui-ci est causé par le fait que l’horloge interne de ce système dévie régulièrement quand il y a une coupure de courant. Seul un représentant d’une société allemande gérait l’éclairage public.
J’ai eu donc l’idée de créer ma société en 2015 et de concevoir un système de gestion basé sur une horloge connectée et associée à une puce de géolocalisation grâce à un module GSM/GPRS. De par cette configuration, et via une connexion 2G, le système peut extraire, à partir d’internet, les horaires exacts du lever et du coucher du soleil. La commande automatique de l’allumage se fait ainsi en parfaite synchronisation avec le cycle jour/nuit.
Entre-temps la solution a-t-elle évolué?
Tout à fait, au départ, l’idée consistait à utiliser uniquement les SMS pour le contrôle et le suivi du système. En démarchant la municipalité de Tunis qui dispose de 600 postes, le produit a été bien accueilli, toutefois ils ont soulevé la difficulté que leurs agents auront à consulter 600 messages. Les réunions que nous avons tenues avec le gouverneur et 70 agents pour exprimer leurs besoins, m’ont permis d’adapter la solution.
J’ai eu alors l’idée d’utiliser internet pour créer un dashboard pour le contrôle de l’état du réseau en temps réel et de programmer les contrôles de départ. Aujourd’hui, nos produits sont installés à la municipalité de Tunis depuis janvier 2016 et ils ont donné entière satisfaction. D’ailleurs durant les dernières journées cinématographiques de Carthage, lors d’une interruption d’électricité, les agents ont reçu une notification. Résultat, il n’y avait pas eu de coupure de courant dans la partie de l’avenue Habib Bourguiba qui est couverte par nos équipements.
Y a-t-il d’autres municipalités qui utilisent votre solution ?
Effectivement, la municipalité de Nabeul m’a contactée et elle a passé commande. Celles de Hammamet, de Bou Argoub, et de Dar Chaabane Fehri ont installé le prototype. Elles l’ont essayé pendant une année et nous sommes au stade de la commande. Le problème est que les municipalités exigent toujours de tester la solution pendant une année, avant que ne commence la longue procédure pour l’acquisition de la solution.
Comment avez-vous financé le projet?
En 2013, j’ai eu le prix du Meilleur business plan. Grâce à ce trophée, accordé par les ministères de l’Enseignement supérieur, de l’Emploi et de l’Industrie, j’ai eu un prix de 7000 dinars. J’ai lancé le projet avec cette somme, il m’a fallu par la suite contracter un prêt de la BTS de 6000 dinars qui est en cours de remboursement.
Aujourd’hui, l’entreprise est composée de moi-même et de deux ingénieurs en freelance. Nous sommes actuellement installés à la pépinière de l’ISET de Radès mais nous allons déménager prochainement vu que nous avons épuisé les deux ans d’hébergement auxquels nous avons droit.
Êtes-vous passée par la loi des marchés publics?
A vrai dire, il y a une exception d’achat de gré à gré pour ceux qui disposent d’une propriété intellectuelle. Lorsque j’ai déposé le brevet, il a été estimé que la plus-value du brevet était à 70% dans la programmation et 30% dans le hard, c’est à dire la carte électronique, ce qui nous confère le titre propriété intellectuelle et non de propriété industrielle.
Comptez-vous faire évoluer la solution ?
Nous travaillons actuellement sur une fonctionnalité qui va permettre de réduire l’intensité de l’éclairage pendant les périodes où le trafic est minimal, généralement de minuit à 4h du matin, soit manuellement soit automatiquement. Mieux encore, nous pensons également à mettre en place un candélabre connecté. L’idée de doter cette solution de capteurs de mouvement pour adapter automatiquement l’intensité de l’éclairage est en train de mûrir.
Vos produits ont déjà débarqué en Afrique…
Oui. L’aventure africaine a démarré grâce au SITIC : un stand nous a été réservé par la pépinière de l’ISET de Radès où nous sommes installés actuellement. Les visiteurs affluaient dans notre stand et étaient curieux de voir notre solution. Grâce à ce salon, nous avons été contactés par plusieurs entreprises dont la Nigelec.
La société étatique nigérienne de production et de transport d’électricité, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, teste actuellement notre solution sur son réseau. Cela dit, notre solution ne se limite pas à la seule commande d’éclairage. Par exemple, au Sénégal elle est installée dans une usine où elle contrôle, en plus de l’éclairage, la climatisation et un groupe électrogène. J’ai déjà des prospects qui m’ont contactée qui seront là au prochain SITIC.
Y-a-t-il d’autres horizons que l’Afrique?
Aujourd’hui, je veux me tourner vers l’autre rive de la Méditerranée.