Dans le “Père Goriot”, Honoré de Balzac disait : “Il y a du bonheur dans tout espèce de talent”. Cette réflexion prend aujourd’hui de plus en plus de l’ampleur au sein même de l’entreprise. À l’heure du digital, de l’intelligence collective, du décloisonnement de l’espace-temps; à l’heure où la mobilité de l’homme s’intensifie et se banalise, la rétention des talents en entreprise devient un enjeu capital pour faire face à la fuite des cerveaux.
Le défi de Sofrecom Tunisie est de prendre la vague en plaçant l’homme au cœur de ses préoccupations, a signifié d’emblée Abdelkader Dali, directeur général de l’entreprise à l’occasion du 11ème Salon international du développement des ressources humaines.
Avec une moyenne d’âge de 29 ans et un taux de parité de 50%, elle a adopté pour règles d’or le partage des valeurs, l’engagement sociétal et la collaboration avec les universités. Désirant devenir un hub vers l’Afrique et dépasser le cap des 700 collaborateurs : “Notre souci numéro un est de maintenir nos talents et anticiper”, annonce Abdelkader Dali. Comment ? “En pensant à demain”, dit-il.
“Nous essayons de développer au maximum les partenariats avec les universités, car ce sont les talents de demain, on adopte aussi une approche inclusive, en impliquant les écoles d’ingénieurs dans les régions éloignées de la Tunisie.
Le programme challenge IoT concrétise cette idée. Nous voulons être une entreprise qui donne sa chance à tout le monde”. De son côté, Hajer Almi, directrice RSE et communication, a présenté quelques outils adoptés par la filiale pour favoriser la rétention des talents, à commencer par le programme “Les Ambassadeurs de Sofrecom”.
“Nous avons choisi des collaborateurs volontaires, pour animer l’image de marque de l’entreprise et améliorer sa marque employeur”. Les team building et la RSE forment également une grande partie de la stratégie. “Nous sommes très engagés dans le social, et accordons beaucoup d’importance à la solidarité, pour renforcer le sentiment d’appartenance”.
Mohamed Adnene Berriche, DRH de Sofrecom Tunisie, a soulevé la nouvelle configuration qui est de rigueur aujourd’hui : “La situation est inversée, de nos jours, c’est l’entreprise qui doit convoiter l’employé. A Sofrecom, nous sommes dans un modèle digital à travers des solutions “faites maison” pour améliorer notre fonctionnement et veiller à améliorer le bien-être quotidien de nos collaborateurs”. Au Royaume-Uni, une enquête de l’association Engineering UK a révélé qu’il faudra près de 1,5 million d’ingénieurs qualifiés de plus en 2025. La pénurie d’ingénieurs menace l’Europe entière. Appréhendant ces événements, Abdelkader Dali insiste sur la nécessité d’avoir cette culture de l’anticipation et du mindset “apprendre à apprendre”.
Pas de gestion des talents sans leadership!
Pour Hichem Ketata, directeur de développement RH chez Tunisie Télécom, le premier acteur de la gestion des talents est la direction générale : “Elle doit montrer la voie, partager la vision, développer l’esprit d’équipe”.
Le rôle du manager prend alors tout son poids, puisqu’à son tour, il devra engager les collaborateurs autour de cette vision : “Le manager doit donner l’occasion aux collaborateurs d’exprimer leur talent, favoriser leur mobilité, éclore l’esprit collectif, tout en restant alignés aux objectifs stratégiques de l’entreprise”. Zina Seceragic, DRH West Europe & Mediterranean Area (Benefits & Rewards) chez Sodexo, met l’accent sur l’individu et son besoin d’appartenance.
Elle annonce la couleur en lançant “Nous sommes tous des talents, nous avons tous quelque chose d’unique ! ”. Pour cette passionnée des ressources humaines, nous vivons aujourd’hui à une époque où l’individu est devenu le point focal.
A un moment où la question de la cohésion devient décisive pour l’amélioration de la performance, il y a lieu de fédérer les personnes à travers l’amélioration de la qualité de vie en entreprise, le partage des mêmes valeurs, développer les sentiments d’appartenance et surtout donner du sens à la mission de l’entreprise pour révéler l’utilité de chacun. Riche de son expérience à travers plusieurs pays, notamment en Europe de l’Est, Zina Seceragic nous donne quelques bonnes pratiques.
Elle dévoile les bienfaits de la création de communautés de managers pour développer leur appartenance à l’organisation. Elle met l’accent sur le rôle du manager, en première ligne pour détecter les talents et comprendre les besoins. Ce dernier doit à tout prix instaurer une équité interne et la communiquer clairement, montrer l’exemple, faire preuve d’empathie et d’humilité et ne jamais se positionner en donneur de leçons !
Le référentiel des métiers, l’outil-phare pour la rétention des talents
Le référentiel des métiers se pose aujourd’hui parmi les préalables de la rétention des talents. Pour Kais Allani, directeur général NeoXam Tunisie, la gestion des talents passe par la méritocratie, la mutualisation des connaissances, la construction d’équipe et la gestion des carrières.
“A NeoXam, nous avons développé tout un référentiel des métiers et des compétences, qui nous a permis d’attirer et garder les meilleurs”. C’est un véritable outil permettant d’aligner la politique RH sur la stratégie business de l’entreprise. Mais le système ne vaut que s’il est basé sur l’échange et la communication. “Un collaborateur doit savoir où il va et en quoi il s’engage”.
Les talents, si on ne les fait pas évoluer, on les perd, il faut comprendre les attentes, dialoguer, fixer des objectifs clairs, valoriser en continu le travail et surtout dresser une relation de confiance”, précise Kais Allani. “A NeoXam, on effectue les évaluations tous les trois mois sur la base de ce référentiel, ce qui permet au collaborateur de se situer dans son parcours professionnel”.
Pour Nouhoum Diakite, président de l’Association malienne des Gestionnaires en ressources humaines : “Les talents c’est ce qui produit la valeur ajoutée, d’où l’importance d’évaluer les risques de les perdre”. Il faut donc “baliser” les parcours professionnels, à travers les référentiels métiers, desquels doivent découler les rémunérations, développer l’employabilité au sein et en dehors de l’entreprise, favoriser le développement des carrières et la mobilité horizontale et verticale, personnaliser les offres RH, sans tout miser sur l’argent.
DG — DRH : un duo tumultueux ?
Abordant la question incontournable de la relation DG-DRH, Selim Jaidane, DRH Orange Tunisie, la décrit comme basculant tantôt vers les antagonismes, tantôt vers l’harmonie. Pour ce spécialiste des ressources humaines, le DRH a une grande mission, s’adapter à son environnement : “Nous avons un métier plutôt ingrat, nous gérons des hommes !
Et le DG attend de son DRH qu’il mette en place une vision partagée, et qu’il conjugue entre les besoins des hommes et le business”. Le tout est de construire une relation de confiance, c’est la clé pour réussir cette relation. Selim Jaidane s’est alors attardé sur le plus important, le comment ? “Il faut lui montrer que nous sommes en phase avec sa stratégie”. Son expérience lui a appris qu’un bon DRH possède incontestablement ces trois sens : être orienté résultats, avoir une culture de l’amélioration continue, et l’ingrédient miracle, l’anticipation! C’est la valeur ajoutée du DRH !
Pour évoluer dans ce sens, il faut impérativement qu’il ait une connaissance des métiers et du business de l’entreprise. Sa devise nous pousse à la réflexion et la remise en cause: “Il n’y a pas de croissance durable sans vision RH à long terme ; il n’y a pas de vision RH long terme si on ne sait pas ce qu’est le capital humain”. Mais là où le bât blesse, précise-t-il, c’est que le DG, lui, veut des résultats à court terme, c’est tout le challenge des DRH. Le positionnement du DRH ne rend pas les choses plus faciles.
Il doit être présent sur tous les fronts : il est à la fois face au DG, face aux autres fonctions de l’entreprise, mais aussi face aux partenaires sociaux ! Pour Selim Jaidane : le binôme ne peut marcher que si le DRH a le sens de l’organisation, une vision transversale, le sens du co-leadership, une grande loyauté, et savoir se préserver. Sans oublier la relation DRH-CFO : il ne faut pas mâcher ses mots, généralement ça ne colle pas !
Ce n’est pas surprenant vu leurs missions à l’un et à l’autre ! L’un doit veiller à l’équilibre humain-business, l’autre à l’équilibre budgétaire. Selim Jaidane répond à cette impasse par une séduisante plaisanterie que l’on doit à James Sale, expert européen sur le pouvoir de la motivation: “CFO to CEO : What happens if we invest in developing our people and they leave ?”, “CEO to CFO: “What happens if we don’t and they stay ?”.
Sélim Jaidane conclut sur une note nuancée: “DG-DRH : c’est aussi une question d’affinité, le DRH doit savoir s’affirmer, son appartenance au comité directeur est également une nécessité, mais au bout du compte, c’est le DG qui décide de favoriser ou pas ce lien”.
A la conférence de clôture, Sayida Ounissi, sécrétaire d’Etat à la Formation professionnelle chargée de l’Initiative privée, précise qu’au niveau du ministère, un certain nombre d’outils sont disponibles pour les entreprises, notamment en matière de formation.
Focalisant toute son attention sur l’importance de l’homme comme source de richesse, elle est d’avis que la force d’une entreprise réside principalement dans sa capacité à savoir garder et attirer les talents: “La croissance de tout le pays passe par la façon dont nous traitons celles et ceux qui constituent la force de travail, et pas seulement par les investissements étrangers; l’économie bleue peut être une alternative pour répondre aux défis auxquels nous sommes confrontés”.
Concluant sur la bouillonnante question du Code du Travail : “Nous n’avancerons pas sans une refonte de la législation, concernant particulièrement le Code du Travail, et j’appelle surtout les professionnels des métiers RH à soulever ce débat”.