Leadership
Une crise n’est forcément pas la fin. Bien au contraire : si elle est bien gérée, elle peut constituer une opportunité d’un démarrage nouveau. Focus.
En 2012, Stewart Butterfield et son équipe de la société Glitch étaient confiants du succès de leur projet : après 4 ans de développement, l’équipe de 45 personnes a mis sur le marché un jeu vidéo en ligne qui a pu attirer des dizaines de milliers de gamers.
Et bien que le jeu ne générait pas de revenus, la jeune startup était riche de plus de 17 millions de dollars dans ses comptes en banque. Plusieurs mois plus tard, en revanche, Glitch se trouve face à une impasse : incapable de générer des revenus, les réserves de l’entreprise s’évaporaient à un rythme accéléré.
Avec “seulement” 5 millions de dollars de réserves restantes, le CEO décide alors qu’il était temps d’arrêter le développement du jeu — malgré l’opposition féroce des cofondateurs et des investisseurs. Au lieu de mettre la clé sous la porte, Butterfield a décidé de commercialiser le service de messagerie interne que les membres de son équipe ont développé alors qu’ils travaillaient chez Glitch.
Ce nouveau produit a rencontré un succès tel qu’il a été sacré l’application ayant la plus forte croissance de toute l’histoire. Slack, le nouveau nom de l’entreprise, est aujourd’hui valorisée à plus de 5 milliards de dollars. Butterfield a certainement su gérer la crise à laquelle faisait face son entreprise.
Dans un monde en perpétuel changement où toute entreprise sera amenée à s’adapter, être capable de mener son équipe dans la bonne direction est une compétence cruciale pour les leaders.
Dessine-moi une crise
Contrairement à une panne, où le retour à la situation antérieure demeure possible, une crise engendre un changement radical où il est impossible de retrouver la situation d’équilibre initial, explique Olfa Mrabet Ammar, coach et formatrice. Pour pouvoir sortir de la crise, il est donc essentiel de pouvoir l’identifier. Au milieu du tumulte, “l’être humain essaiera toujours de garder son mode de fonctionnement normal.
On ne détecte qu’il y a vraiment une crise qu’au bout d’un certain moment où rien ne fonctionne”, a déclaré Olfa Mrabet Ammar. Elle explique qu’une crise est composée de 4 grandes étapes : d’abord, le déni, on essaie de gérer comme on peut, comme avant la crise.
La deuxième étape est le marchandage. C’est la phase de la colère où le manager commence à chercher un coupable ou une raison pour ce qui arrive. “Généralement, il y a beaucoup de colère”, insiste-t-elle. Puis arrive l’étape de l’acceptation. Le manager accepte l’existence d’un changement et admet que le retour vers l’équilibre initial n’est pas possible.
C’est à ce moment-là qu’il peut rebondir et se projeter dans le futur d’une manière positive. La quatrième étape est le redémarrage. Celui-ci nécessite une résilience de la part de l’entreprise. La résilience c’est la capacité de rebondir après une difficulté, autrement dit, de prendre une autre direction. Pour aller dans la dernière phase de la récréation, il faut se poser un certain nombre de questions : qu’est-ce que je dois faire différemment? Qu’est-ce que je dois garder? De quelles ressources ai-je besoin pour y arriver ?
Mindset du leader
Dans les moments de crise, il est essentiel que le leader garde une attitude mentale positive qui l’aidera à mieux diriger l’entreprise et à motiver ses équipes. “L’image du leader est souvent projetée sur un écran géant dont le reflet influe directement le comportement et la motivation des équipes”, a souligné Mongia Argoubi, coach et experte en gestion de crise.
“C’est dans ces périodes de crise et de transition qu’est mise en examen la légitimité et la crédibilité du leader”, ajoute-t-elle. Il est cependant difficile pour le leader de rester positif en période d’adversité et la mission est d’autant plus difficile s’il n’est pas optimiste de nature.
Le cas échéant, le coach et consultant Hendrie Weisinger recommande de se rappeler des adversités similaires que le leader a réussi à surmonter. En temps de crise, le leader peut focaliser toute son attention sur ce qui ne va pas. Il est cependant important de valoriser les efforts des membres de l’équipe afin de les inciter à mieux performer et d’éviter de perdre ceux dont il a le plus besoin pour sortir de la crise ou mener à bien la transformation de l’entreprise. Ceci n’empêche pas en revanche de renforcer la discipline.
En période de crise, il arrive que les collaborateurs tentent de rendre du livrable de qualité moindre ou de ne pas traiter les clients convenablement. Travailler sous pression n’est jamais une excuse pour ce genre de comportement et le leader ne doit en aucun cas le tolérer.
Il est aussi possible que le leader fasse des erreurs en période de crise. Dans ce cas, il ne doit pas hésiter à changer de direction et à recommencer de nouveau. “Les grands redressements ne se font pas par du micro-incrémentalisme”, indique Snyder. “Mais à travers des actes audacieux et décisifs et le courage des dirigeants de reconnaître les erreurs et de faire des ajustements en conséquence”.
Accompagner les équipes
Dans ces moments difficiles, “il est tout à fait normal que les équipes paniquent”, assure la coach Olfa Mrabet Ammar. La mission de leader serait alors d’aider ses collaborateurs à rester concentrés sur les priorités et à se focaliser sur le présent à un moment où on tend à s’inquiéter de l’avenir ou à penser aux erreurs passées.
Créer une atmosphère positive ne signifie pas réprimer les voix sceptiques. Il est impératif que les leaders créent des espaces sécurisés où leurs employés puissent partager leurs préoccupations et exprimer leurs émotions, indique Christine Comaford, coach en leadership dans une déclaration pour Harvard Business Review. “Pendant les réunions, il faut insister sur le fait que tant que les conversations sont saines, honnêtes et équitables, elles ne seront pas opprimées”, recommande-t-elle.
Cet accompagnement émotionnel peut sembler du temps précieux perdu, notamment en pleine crise. “Ignorer les voix des employés est un excellent moyen pour créer une future crise interne”, précise-elle. Il ne faut pas hésiter à dire la vérité, souligne pour sa part Olfa Mrabet Ammar, “car il ne faut surtout pas perdre la confiance des collaborateurs”. D’après la coach, c’est cette confiance qui va permettre au leader de “récupérer” les collaborateurs pour mener à bien le redémarrage. “Il est important que le manager soit proche des collaborateurs durant ces périodes”, ajoute-t-elle.
Communication externe
En période de crise, il y a une immense pression pour projeter au monde l’image d’une entreprise en pleine forme. Rob Weinhold, CEO de Fallston Group et auteur du livre L’Art du leadership en période de crise recommande cependant d’éviter cette stratégie. “Une fois perdue, la confiance des clients sera très difficile à regagner”, indique-t-il.
Bien évidemment, si les clients n’ont plus confiance dans l’entreprise, ceci peut rendre sa résurrection plus difficile. Cette bonne dose de transparence a aussi le mérite de “forcer” les leaders à accepter la réalité en tant que telle. Les leaders “ont tendance à sous-estimer les problèmes dans une crise et finissent par prendre des “mesurettes” sans aucun impact réel pour corriger la spirale descendante”, a déclaré Bill George, ancien CEO de Medtronic et auteur du livre Sept leçons de leadership de crise, au Wall Street Journal.
Crise = opportunité
Bien qu’il ne soit pas possible de regagner son état d’équilibre initial, ceci n’empêche pas l’entreprise de trouver un nouvel état d’équilibre. “Si l’entreprise gère comme il le faut la crise, elle pourra finir par arriver à un niveau d’équilibre supérieur à celui du départ”, souligne Olfa Mrabet Ammar. “Tout le savoir-faire du CEO est de ne pas oublier que ça peut être une opportunité pour atteindre un avenir meilleur”, conclut-elle.