L’Agriculture est l’un des grands chapitres de l’Accord de Libre- Échange complet et approfondi envisagé avec l’Union européenne. Dans le cadre du lancement du deuxième round des négociations, une table ronde organisée par le Mediterranean Development Initiative, Synagri, et la Konrad Adenauer Stiftung s’y est consacrée aujourd’hui même. Focus sur une agriculture durable, résiliente et inclusive. Penser long terme : c’est l’idée principale véhiculée lors de la table ronde par l’ensemble des intervenants et des participants.
Avant toute négociation, quelle est notre vision ?
C’est bien la question centrale, primordiale, et essentielle que toutes les parties prenantes ont soulevée lors de cette table ronde ! Pour Karim Daoud, président de Synagri, l’agriculture est, depuis longtemps, l’enfant délaissé des politiques, “le monstre du Loch Ness !” dit-il.
Dacian Ciolos, ancien Premier ministre de la Roumanie nous livre, de par son expérience au poste de commissaire européen à l’Agriculture et au Développement rural, quelques recommandations! Il s’agit d’abord de dépasser la peur et l’idéologie et utiliser l’ALECA pour donner un cap, une direction au pays. Il précise que l’alignement aux normes internationales ne fera qu’ouvrir des perspectives vers d’autres marchés internationaux. Le protectionnisme de certains secteurs par manque de compétitivité ne marche pas dans le monde actuel.
L’UE représente un marché de 500 millions de consommateurs ! Donnant l’exemple de la Roumanie, qui a entamé ses réformes entre 2000 et 2006, après une vague de tergiversations il a précisé “On a vu les résultats après”. Dacian Ciolos préconise d’avoir une approche nationale indépendamment des retombées de l‘ALECA : quel modèle d’agriculture veut-on dans 10 ou 15 ans? C’est après avoir répondu à cette question qu’il faudra penser à comment utiliser l’ALECA. Il faut négocier large ! Demander une période de transition pour les filières nécessitant une mise à niveau.
Il insiste sur les études d’impact, précisant que la Commission européenne doit avoir des chiffres pour pouvoir négocier avec les pays membres ! Pour ce qui est de l’expertise externe, Dacian Ciolos explique qu’elle ne remplace pas la vision nationale de l’agriculture. Toujours dans le même sens, il faut penser au-delà des échéances politiques ! Et assurer la continuité de la mise en œuvre des réformes dans un horizon d’au moins 5 à 10 ans ! Il est plus efficient selon Ciolos de développer des mécanismes d’investissement que d’accorder des subventions. Pas seulement dans la machinerie ! Mais surtout dans les ressources humaines. Dacian Ciolos prévient que les effets se feront sentir à moyen et long terme. Il ajoute qu’aujourd’hui, la valeur ajoutée n’est pas créée dans les matières premières mais dans la commercialisation et la transformation. D’où la nécessité de penser au produit final qu’on veut mettre sur le marché.
Hichem Ben Ahmed, Négociateur en Chef de l’ALECA pour la Tunisie, informe qu’un nouveau round sera lancé au cours du mois, les 24 et 26 avril. “Nous avons commencé des études sectorielles, notamment concernant le rapprochement des réglementations SPS sur la filière lait et orange”. Une nouvelle approche de la production agricole serait en marche dont l’objectif serait d’arriver à une agriculture résiliente, inclusive, et orientée sur les défis du changement climatique. Il précise que le gouvernement est formellement engagé à impliquer la société civile. D’ailleurs, des réunions avec la société civile seraient prévues avant le prochain round. Non sans vouloir souligner les effets positifs qu’un Accord de Libre- Échange aurait sur la Tunisie, Hichem Ben Ahmed rappelle qu’avant 1995, le taux de couverture avec l’UE était de 75%, aujourd’hui il est de 95%, un déficit qui passe en dessous de la barre des 5%.
Denis Reiss, attaché de coopération agriculture, à la Commission européenne, rappelle pour sa part, que l’agriculture doit aussi tendre vers les objectifs 2030 de développement durable. L’Union européenne finance des études sur les filières agricoles, “Nous avons d’ores et déjà identifié trois types de produits : les produits qui sont déjà exportés tels que l’huile d’olive, les dattes, certains fruits et légumes, les produits présentant un potentiel, qui sont déjà exportés mais pas nécessairement vers l’UE, comme le miel ou le citron ,et enfin, les produits non encore exportés, tels que les volailles transformées et les conserves de sardines ».
Les négociations ont été lancées…les concernés ignorent l’ALECA !
Les principaux résultats de l’évolution de la situation des exploitations agricoles en Tunisie, présentés par Hassen Zargouni, directeur général SIGMA Conseil dévoile des chiffres pour le moins qu’on puisse dire préoccupants. Ce sont les exploitations de moins de 10 hectares qui ont été la cible de l’enquête. 687 unités sur la quasi-totalité du territoire ont été étudiées. La superficie médiane de l’échantillon n’est que de 4 hectares ! Une grande majorité, soit 81 % vendent leurs produits sans une quelconque transformation . Et sur les 19% qui font la transformation, 61 % font appel à des tiers pour l’effectuer. Les principaux besoins des exploitants sont les aides financières, suivis par les aides en nature et l’eau d’irrigation.
Chiffre du jour ! 78% des petits exploitants se disent insatisfaits de la politique agricole du pays. Les principales causes avancées sont les taux d’intérêt pratiqués, les procédures d’octroi de crédit et les droits de douanes. Pour finir, non sans beauté: 90% n’ont jamais entendu parler de l’ALECA !
Nous retenons à ce niveau une des recommandations avancée par Dacian Ciolos, préconisant de négocier l’accès au marché européen pour des produits issus de petits producteurs accompagnés par un appui technique et financier. Il s’agit de prendre des régions pilotes avec des communautés de petits producteurs qui serviront de modèles.
Pour Gasmi Abdelhamid, directeur général au ministère de l’Agriculture, il faut clarifier les paramètres de négociation compte tenu des différences de développement et de l’asymétrie. Il informe que le deuxième cycle des négociations concernant l’agriculture portera sur les différents paramètres et notamment sur le volet sanitaire et phytosanitaire. Trois cas de figure seront examinés : les produits compétitifs, les produits présentant un potentiel à condition d’ en augmenter la productivité et la qualité et les produits sensibles. Pour ce qui est de la vision, Gasmi Abdelhamid rappelle que la stratégie agricole doit être en concordance avec l’ensemble des politiques à l’échelle nationale. La vision du ministère est de faire de l’agriculture un secteur attractif (notamment pour les jeunes), de la rendre compétitive, rentable, durable et viable. Et ce, à travers l’amélioration des structures foncières, la relance des investissements (à travers le programme de relance des investissements sur 5 ans, engageant un coût de 800 millions de dinars, et qui concerne 20 000 exploitations), la production du savoir, le transfert technologique, et enfin la gouvernance du secteur.
Les organisations professionnelles doivent pouvoir jouer un plus grand rôle !
C’est l’appel qui a été formulé par Karim Daoud. “Il faut donner sa lettre de noblesse aux organisations professionnelles” affirme-t-il. Premier point : l’information. “Nous devons avoir l’information, celle détenue par les pouvoirs publics” précise Karim Daoud. Deuxième point évoqué : la formation, “Nous avons besoin de formation pour aller sur le terrain des négociations avec l’UE”. Troisième point : impliquer les organisations pour qu’elles puissent à leur tour sensibiliser les agriculteurs et les coopératives de petits exploitants. Les organisations professionnelles doivent participer à la réflexion. Pour Karim Daoud, “il faut une vision politique, une volonté politique, du courage et de l’audace”