Finance, Investment and Trade in Africa
Financer les entreprises tunisiennes souhaitant étendre leurs activités vers l’Afrique était au cœur de la première édition de Finance, Investment and Trade in Africa organisée par le Tunisia-Africa Business Council.
Les investisseurs tunisiens ont longuement déploré les difficultés auxquelles ils font face pour accéder au marché africain qui est très attractif. La bonne nouvelle est que certains de ces obstacles sont en cours de résolution. Des lignes aériennes et maritimes reliant la Tunisie à plusieurs destinations au sud du continent ont été ou sont en cours de mise en place.
De même, l’élargissement de la représentation diplomatique tunisienne en Afrique Subsaharienne devrait se poursuivre durant les prochains mois. C’est du moins ce qu’a annoncé Omar Behi, ministre du Commerce, lors de son mot inaugural, annoncé à l’occasion de la première édition de FITA ( Finance, Investment and Trade in Africa). Organisé par le Tunisia-Africa Business Council, ce rendez-vous se veut un lieu de rencontres entre les institutions panafricaines de financement et les entreprises tunisiennes.
Sur le volet financement, peu de progrès ont été enregistrés ces dernières années. “La Tunisie dispose d’une réglementation de change particulière et accablante”, a déploré Bassem Loukil, président de la TABC lors de son allocution d’ouverture. Le chef d’entreprise a appelé à la mise en place de méthodes plus efficientes pour le financement des échanges panafricains. Et de s’interroger : “Pourquoi devrions-nous passer par des tiers occidentaux pour développer nos échanges intra-continentaux, alors qu’il existe plusieurs institutions financières africaines dédiées?”
D’ailleurs, cette première édition de la FITA a vu la signature d’une convention entre la TABC et l’International Islamic Trade Finance Corporation (ITFC), en présence de Bassem Loukil et de Hani Sunbol, CEO de l’IFTC. Ce partenariat a deux objectifs clés. D’un côté, il va permettre de faire la promotion de l’ITFC auprès des investisseurs tunisiens. De l’autre, il permettra d’accorder la priorité aux entreprises tunisiennes voulant investir en Afrique en s’appuyant sur les mécanismes de financement de l’institution. Aucun plafond n’a été fixé dans le cadre de cette convention qui s’étalera sur trois ans.
Tunisie, le présent-absent du continent
“La diversification des partenaires économiques de la Tunisie est plus que jamais nécessaire”, a déclaré Omar Behi, ministre du Commerce, lors de son allocution d’ouverture. “L’Afrique occupe une place de choix dans cette orientation”, a-t-il indiqué.
Dans ce cadre, la Tunisie a rejoint le marché commun de l’Afrique orientale et australe, COMESA. Elle y sera membre permanent à partir du mois d’avril courant. Grâce à cette intégration, les exportations tunisiennes vers les pays membres de cet espace vont pouvoir bénéficier de tarifs douaniers préférentiels leur permettant d’atteindre un marché de plus de 475 millions d’habitants. La Tunisie a été aussi élue membre-observateur au Marché commun des pays de l’Afrique de l’Ouest, CEDEAO.
Bien que ces espaces de libre-échange aient le mérite d’encourager les échanges intra-africains, leur grand nombre ne permet pas de créer une dynamique qui couvre l’ensemble du continent, a déploré le représentant d’Afreximbank. “L’Afrique compte pas moins de 27 espaces de libre-échange, contre seulement 3 en Amérique Latine. Toute l’Afrique doit appartenir à un seul marché commun où le commerce intra-continental doit être privilégié”, a-t-il déclaré.
L’innovation financière
Selon les données de la BAD, publiées en septembre 2017, les banques appuient environ un tiers de l’ensemble du commerce en Afrique dont seulement 20 % ont été alloués au commerce intra-africain.
La difficulté d’accès au financement n’est pas perçue de la même manière par toutes les entreprises. Si pour les entreprises opérant dans le domaine des services, l’accès au financement vient en 6ème position en termes d’impact sur le ralentissement des activités de ces entreprises sur le marché africain, a indiqué le ministre du Commerce, ce facteur grimpe à la 3e place pour les entreprises industrielles.
Pour faciliter l’accès au financement, Jaloul Ayed, ancien ministre des Finances, estime que les banques sont appelées à trouver des solutions innovantes en mesure de répondre aux besoins spécifiques des exportateurs tunisiens visant l’Afrique Subsaharienne. Pour ce faire, il a recommandé aux institutions financières de s’inspirer des solutions élaborées en Afrique telles que le financement d’entrepôt, l’émission de billets de trésorerie adossée à une créance commerciale, le financement par le biais d’acceptation bancaire et le financement fondé sur les bons de commande. Les banques tunisiennes, telles que la Banque de l’Habitat et la STB, disposant de filiales en Afrique Subsaharienne, doivent également tirer pleinement profit de ces investissements.
Outre les banques, d’autres modes de financement se présentent aux PME. Pour financer leur expansion africaine, les PME sont convoquées à faire appel de plus en plus aux fonds d’investissement, à l’instar d’Africamen, géré par Amen Bank et qui compte parmi ses souscripteurs la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC). Ahmed Karm, vice-président d’Amen Bank, a indiqué qu’Africamen II, d’une valeur de 50 millions de dinars, sera lancé prochainement avec la participation du Groupe Poulina et de la CDC. Si la CDC renouvelle sa participation, c’est parce que le bras financier de l’État est conscient de l’importance de permettre aux entreprises tunisiennes d’accéder à ce marché : “La CDC est déjà membre de l’association africaine des Caisses des Dépôts et Consignations”, a pour sa part déclaré Boutheina Yaghlane, DG de la CDC.
Et l’assurance ?
La promotion des exportations tunisiennes, indique Ayed, passe également par le renforcement de nombreuses structures d’appui qui ont été mises en place par l’État pour accompagner les entreprises locales. Dans ce cadre, Souheila Chabchoub, PDG de la Compagnie tunisienne pour l’assurance du commerce extérieur, a rappelé l’importance du rôle que joue son institution dans la promotion des exportations. “Notre garantie est une sécurité contre le non-paiement des exportations tunisiennes, ce qui facilite l’accès de ces entreprises au financement”, a-t-elle déclaré.
En pratique, la structure se charge d’assurer les entreprises tunisiennes souhaitant exporter leurs produits et services contre les risques commerciaux de non-paiement. Le cas échéant, la Cotunace se charge de rembourser l’entreprise tunisienne “afin que celle-ci puisse poursuivre ses activités”, puis de mettre en place tous les outils nécessaires pour récupérer cet actif national. “En 2017, nous avons réussi à récupérer une créance de 13 millions de dollars sur Cuba et, en décembre, une créance de 7 millions de dollars sur la Malaisie”, s’est félicitée la PDG.
Mme Chabchoub a également insisté sur le rôle important des deux fonds de garantie que gère son institution, élargissant son champ d’action pour couvrir les risques politiques et le financement des exportations “avant expédition”. La Cotunace, a indiqué la responsable, peut également offrir ses solutions d’assistance au recouvrement même pour les entreprises non-assurées.
Pour leurs besoins d’assurance en Afrique, les entreprises tunisiennes font également appel aux services de la Star : “Nous offrons depuis des années l’assurance Transport à nos clients pour couvrir leurs déplacements, ainsi que ceux de leurs collaborateurs, en Afrique”, a indiqué Hassène Feki, DG de la STAR. Celle-ci, à travers sa filiale au Niger, peut également assurer, indirectement, les investissements des entreprises tunisiennes en Afrique Occidentale : “Notre filiale se charge d’accompagner ces entreprises pour trouver des assureurs locaux. La filiale procède par la suite à assurer ces assureurs locaux”, explique Feki.
Malgré cette présence africaine, la Star n’a pas, du moins pour le moment, d’ambitions d’élargir ses activités sur le continent. D’après son DG, la STAR se focalise actuellement sur sa consolidation sur le marché local. “Nous ne songeons à développer nos activités en Afrique qu’à partir de 2020”, a-t-il indiqué.
Le continent des potentiels
“Grâce à la mise en place d’une meilleure gouvernance et d’institutions démocratiques, à la réduction notable des conflits armés dans le continent, nous assistons à l’émergence d’une classe moyenne qui dépassera les 120 millions de ménages dans les cinq prochaines années”, a indiqué Ayed. D’après l’ancien banquier, cela représente un marché de plus de 1,5 trillion de dollars.
Et d’ajouter : “Avec une population qui dépassera le cap des deux milliards d’habitants en 2040, notre continent dispose de la main-d’œuvre la plus abondante au monde”, a-t-il indiqué.
Les opportunités de développement sont aussi importantes : “Le Nigeria, un pays de plus de 180 millions d’habitants, produit une quantité d’énergie électrique comparable à celle de la cité-État de Singapour et sa population de moins de 6 millions. Pour réduire ce déficit d’infrastructure, estimé par la Chambre de Commerce international à 50 milliards de dollars par an, Oussama Kaissi, CEO de l’Islamic Corporation for Insurance of Investment and Export Credit, estime que les États doivent collaborer avec le secteur privé.
À titre d’exemple : “En Turquie, 65 milliards de dollars ont été injectés par le secteur privé dans des projets d’infrastructure dans le cadre de partenariats public-privé”, a-t-il indiqué. Le numéro un de la branche assurance de la Banque islamique de développement a signalé que son institution recommande ce mode de fonctionnement aux gouvernements africains souhaitant améliorer leur infrastructure. Pour faciliter l’accès au financement des projets nécessitant généralement des investissements colossaux, Kaissi a indiqué que son institution offre plusieurs solutions d’assurance-crédit. Et d’ajouter : “Nos solutions d’assurance permettent de rassurer les banques et de les inciter à financer ces projets”.
Malgré ce potentiel et les efforts déployés par les différentes institutions panafricaines, le financement des échanges intracontinentaux reste en deçà des attentes. “D’après une étude réalisée en 2015, nous estimons le déficit du financement du commerce aux alentours de 120 milliards de dinars”, a indiqué Mohamed El Azizi, directeur général de la Banque africaine de développement (BAD) pour l’Afrique du Nord. Pour cette raison les échanges inter-africains ne dépassent pas 3,3%, contre 50% pour les pays asiatiques, par exemple !
Pour le responsable, ceci s’explique par le fait qu’un tiers des pays africains appliquent un taux d’intérêt dissuasif, dépassant les 10% et des garanties souvent très exigeantes. Au niveau du commerce, le directeur régional a fait savoir que les grandes priorités stratégiques seraient “d’éclairer l’Afrique, de la nourrir, de l’industrialiser et d’améliorer les conditions de vie de ses populations”.
Pour la BAD, dont le but est de faciliter les échanges entre les pays africains, il est essentiel de commencer par soutenir les pays africains dans leur transformation structurelle.