Catherine Fournier, Responsable Pôle Recrutement et Assessment chez Progress RH
Nous sommes allés à la rencontre de Catherine Fournier pour sonder le son de cloches des recruteurs et du marché de l’emploi.
Quels sont les profils les plus difficiles à trouver ?
Les entreprises rencontrent deux types de difficultés lors du recrutement. Il arrive parfois que le poste à pourvoir soit dans une spécialité qui n’est pas enseignée en Tunisie, telle qu’un Supply chain manager, ou un Data analyst. Le profil IT est un peu particulier vu sa haute volatilité, due à une forte demande du marché. Il y a aussi la problématique des soft skills et c’est un problème qui persiste à travers tous les métiers. Les aspects comportementaux, de personnalité, de management, ou de leadership manquent cruellement — même pour les personnes expérimentées. Quand une entreprise est à la recherche d’un responsable financier, c’est facile à trouver … mais pas le responsable. Ce sont les soft skills qui font la différence entre un candidat «normal» et un autre qui sort du lot. C’est surtout sa capacité à se présenter, à communiquer, à montrer qu’il est motivé, … qui va faire la différence. Parfois même, c’est sa capacité à parler français et anglais !
Y a-t-il une différence entre les diplômés du privé et ceux du public ?
Ces dernières années, les institutions ont beaucoup bougé, et ce, qu’elles soient publiques ou privées. Elles ont énormément investi dans la qualité de la formation et se trouvent, donc, de mieux en mieux cotées sur le marché de l’emploi. Il n’y a pas de différence entre les diplômés du public et ceux du privé. Par contre, la différence existe entre les universités, indépendamment du fait qu’elles soient publiques ou privées.
Que pensez-vous de l’initiative des 4C ?
Sur le principe, c’est une idée très intéressante qui pourrait contribuer à pallier les manquements de l’enseignement classique qui, somme toute, n’a pas vocation à tout former. Mais pour que cette initiative ait l’impact escompté, il est essentiel que les étudiants aient conscience de leurs lacunes et qu’ils essaient de les combler. L’université n’est censée que de donner la base, la méthodologie. Pour le reste, c’est à l’étudiant de le faire. Il nous arrive parfois de demander à des candidats pourquoi une telle compétence essentielle à leur métier ne figure pas sur le CV pour avoir comme réponse : “On ne me l’a pas enseignée à la fac!” … Apprendre à faire un bon CV et à préparer un entretien d’embauche peut aujourd’hui se faire sur internet. Plus besoin d’un coach. C’est aux jeunes de se remettre en question; personne n’est prêt à 23 ans … et il faut travailler pour l’être.
Pourtant, certains s’en sortent mieux que d’autres. C’est plutôt une dynamique personnelle dans le sens où c’est la personne qui a envie de sortir du lot, de découvrir et d’apprendre en dehors du système classique. J’espère qu’une telle initiative permettra d’impulser de nouvelles dynamiques. Je pense que c’est aussi aux universités de pousser un peu plus leurs étudiants. Ce qui manque le plus aux étudiants, aujourd’hui, c’est le contact avec l’entreprise. Beaucoup d’entre eux se contentent du stage, mais ce n’est pas suffisant. Il faudrait aussi opter pour des petits jobs ou toute autre opportunité pour améliorer sa connaissance du monde de l’entreprise.
Quelles solutions ‘quick wins’ peut-on implémenter en urgence en attendant les solutions à long terme ?
Tout d’abord, il faut comprendre que l’Etat ne peut pas tout faire. L’Etat contribue déjà avec le SIVP et les autres mécanismes qu’il a mis en place. C’est aux entreprises maintenant de laisser de la place aux jeunes, et de prendre un tout petit peu de risques. D’un côté, il faut que le jeune lui même travaille pour être plus visible sur le radar des employeurs. Des associations comme l’AIESEC, par exemple, sont un excellent démarrage pour les jeunes. Quand le recruteur reçoit un CV de la part d’un membre de l’AIESEC, il sait déjà qu’il s’agit de quelqu’un d’actif. Certes, les activités ne sont pas forcément liées à celles de l’entreprise, mais elles permettent aux jeunes d’apprendre à travailler en équipe, avec des deadlines, dans une organisation avec des managers et des “managés”, etc. Ce sont de petits détails mais qui font toute la différence. Ce qui manque aussi dans les universités, ce sont les Alumni, à l’instar de l’IHEC. C’est associations permettent d’avoir une idée sur ce que font les diplômés de ces universités. L’Etat aurait un rôle très important à jouer pour anticiper l’évolution du marché. De nos jours, plusieurs entreprises sont à la recherche de jeunes dans des métiers bien spécifiques, mais qui n’arrivent pas à en trouver parce il n’y a pas de jeunes formés dans ces métiers-là.
L’enseignement supérieur a besoin de se rapprocher encore plus de l’entreprise pour voir un peu ce qu’il se passe et détecter ses besoins — non pas d’aujourd’hui, mais de demain. Par exemple, le métier qui est aujourd’hui le plus demandé, c’est celui de Data scientists. Or nous n’avons pas des universités qui l’enseigne. Quand allons-nous avoir un master de Data analysis ? Certains sont en train d’appliquer cette veille, mais ceci devrait être systématique. Et c’est à l’Etat de faire pression.