La loi 72-38, adoptée en 1972, a profondément marqué l’économie tunisienne en instaurant un régime fiscal avantageux pour les entreprises exportatrices. Ces sociétés bénéficient d’une exonération totale d’impôt sur les sociétés pendant leurs dix premières années d’activité, suivie d’un taux préférentiel de 10% pour la décennie suivante. Ce système “offshore” a permis également aux entreprises dont au moins 66% du capital est détenu par des non-résidents de rapatrier leurs bénéfices en devises étrangères, tout en leur autorisant d’écouler jusqu’à 50% de leur production sur le marché local. Bien que ces mesures aient initialement attiré des investissements étrangers et créé des emplois, elles ont aussi créé des distorsions économiques majeures.
Ce régime fiscal particulier représente désormais deux tiers des exportations tunisiennes, créant une dépendance économique problématique. La Tunisie s’est retrouvée piégée dans les premiers maillons de la chaîne de valeur mondiale, notamment dans le secteur textile, sans parvenir à monter en gamme comme prévu. Cette situation a accentué les inégalités fiscales entre entreprises “offshore” et “onshore”, ces dernières étant taxées à 25% (contre 35% initialement). Les 34317 entreprises offshores recensées en 2022, par l’INS, jouent le rôle de la “colonne vertébrale” dans l’économie nationale, mais leur présence fragilise le tissu industriel local et complique la montée en compétences des travailleurs tunisiens.
Pour éviter un scénario catastrophe, les experts préconisent une refonte progressive et stratégique de la loi 72. Plutôt que de simplement aligner les taux d’imposition, il devient urgent de repenser le positionnement économique de la Tunisie dans la chaîne de valeur mondiale. Cela nécessite de transformer le modèle économique actuel en encourageant la montée en gamme des productions locales et en développant des secteurs à forte valeur ajoutée. La réussite de cette transition dépendra de la capacité du gouvernement à concilier attractivité fiscale, justice sociale et développement durable, tout en préservant l’emploi et la compétitivité internationale du pays.