La 3ème génération arrive
«Préparer le passage de la 2ème à la 3ème génération des entreprises familiales tunisiennes», tel est le thème de la 5ème édition du Forum de la Gouvernance, organisée par l’Institut Aarabe des chefs d’entreprises (IACE), en présence de son président Ahmed Bouzguenda et d’une large audience composée de Youssef Kortobi, président du Centre tunisien de gouvernance d’entreprise, de Philippe Haspeslagh, président de Family Business Network-Belgique, de Majdi Hassen, directeur exécutif de l’IACE, de Mohamed Derbel, partner BDO, et de Fayçal Derbel, conseiller auprès du Chef du gouvernement ainsi que de chefs d’entreprise et d’experts.
Le thème a le vent en poupe comme en a témoigné Ahmed Bouzguenda dans son allocution d’ouverture : « Au-delà de leurs capacités à s’inscrire dans le temps et à être trans-générationnelles, les entreprises familiales forment un pilier important de l’économie mondiale contribuant à 70% du PIB mondial. En Tunisie, plus de 90% du tissu industriel sont des entreprises familiales. ».
Phénomène successoral
Indépendamment du secteur d’activité et du contexte culturel, l’ensemble des entreprises familiales font toutes face aux mêmes challenges. En effet, à défaut de préparation, le risque de défaut, voire de disparition, est plus que retentissant. A titre d’illustration, aux Etats-Unis, seulement 30% des entreprises survivent jusqu’à la deuxième génération, 12% jusqu’à la troisième et seulement 3% atteignent ou dépassent la 4ème génération.
Ce phénomène se retrouve avec généralement les mêmes taux de disparition en France, en Angleterre et en Belgique. La réussite de la transmission de la 2ème à la 3ème génération n’est pas évidente puisque les branches peuvent avoir un vécu très différent. Ainsi le maintien du rythme de croissance de l’entreprise familiale par la nouvelle génération devient de plus en plus difficile en rapport avec la famille grandissante.
En effet, une étude élaborée par l’IACE, en collaboration avec BDO, réseau international de cabinets d’audit et de conseil, a fait ressortir que sur un total de 13 groupes ou entreprises familiales tunisiennes, regroupant 18 dirigeants interrogés dont 33% de la 3ème génération et 67% de la 2ème génération, 100% des jeunes de la 3ème génération ont eu des expériences à l’international et 40% se sont forgé des expériences dans d’autres activités. Par ailleurs, il faut savoir que dans la 2ème génération, beaucoup de décisions en rapport avec l’enjeu de ce passage sont prises de façon informelle en famille.
L’étude montre que seulement 28% des dirigeants ont mis en œuvre des actions pour assurer la transmission de la 2ème à la 3ème génération des entreprises familiales tunisiennes. 72% demeurent insuffisamment préparées à la transmission dont 33% disposent d’un plan de transmission informel. La méthodologie permettant d’aboutir à une transmission fluide et soignée est vraisemblablement complexe.
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Un passage qui se prépare à feu doux
Préparer le passage de la 2ème à la 3ème génération des entreprises familiales tunisiennes est un réel défi qui suscite des enjeux d’ordre juridique, financier, fiscal, psychologique et surtout communicationnel. Youssef Kortobi a mis l’accent sur la délicatesse de la phase de transmission qui représente un acte dont les mécanismes doivent être bien réfléchis et maîtrisés, exigeant du temps pour la préparation.
En un premier lieu, il est extrêmement important de bien choisir le successeur. Pour la 2ème génération, le successeur désigné est traditionnellement le fils ainé qui joue le rôle de petit héros, chef de famille, gérant la fortune des actionnaires, président du conseil et patron de l’entreprise. Il collabore avec ses frères et sœurs pour garantir la pérennité de l’entreprise.
Toutefois, pour ce qui est de la 3ème génération, la famille et l’entreprise s’agrandissent et se complexifient. La communication s’avère dans ce sens une arme pour que l’émotion ne devienne pas source de conflit et de rupture. Les aspects psychologiques et la communication entre les transmetteurs, les successeurs et même le personnel doivent être respectés.
C’est pourquoi, Mohamed Mehdi, associé en charge de l’activité Advisory Services au sein de BDO Tunisie a mis en avant l’importance d’avoir recours à un coach professionnel lors des réunions de famille. En outre, il a été constaté que 61% des personnes sondées pensent que la reprise des projets familiaux doit être méritée. Dans ce sens, Kortobi persiste et signe sur le fait que la transmission est une opportunité pour l’entreprise mais qu’on ne doit pas imposer aux héritiers de reprendre le flambeau.
Les héritiers doivent, eux seuls, manifester leur volonté de le faire et être imprégnés de la culture entrepreneuriale familiale. A défaut, confier le management à une personne qui n’est pas membre de la famille constitue une solution pour une certaine période. La légitimité se construit, se gagne et se mérite.
… en soignant la gouvernance ?
Nul ne peut contester que préparer la succession va au-delà de nommer le successeur. Il est essentiel de faire évoluer la gouvernance. Il s’agit de miser sur un processus, d’opter pour une bonne pratique de la politique de recrutement des membres de la famille au sein de l’entreprise. En gros, il s’agit de se baser sur au moins trois importants piliers. Dans cette mesure, la mise en place des règles de bonne pratique de «corporate business» est indispensable. Organiser le cercle d’actionnaires qui représentera la famille est également essentiel.
A cet égard, Haspeslagh a recommandé de créer le terrain propice au maintien de l’affectation de toute la famille, en optant pour, par exemple, le processus d’une charte familiale. La charte de la famille doit regrouper trois aspects à savoir les objectifs communs, les valeurs partagées, et les moyens et mécanismes mis à la disposition des actionnaires. Elle a pour but de définir les rôles, les responsabilités et le partage des responsabilités.
Sans oublier que le talent pour créer de la richesse ou pour gérer n’est pas génétique. Il n’en reste pas moins que l’étude a révélé que seulement 11% des personnes sondées disposent d’outils d’échange entre actionnaires (pacte d’actionnaires…), 11% ont des règles de gouvernance, 6% ont une formulation d’un projet et de valeurs et aucun interrogé ne dispose d’un plan de transmission avec son successeur, d’identification du repreneur ou de transfert du capital.
Pareillement, une professionnalisation des structures est exigée. Au niveau du conseil d’administration, il serait préférable d’avoir recours à des administrateurs indépendants et de mettre en avant les compétences. Au niveau management, il y a ceux qui préfèrent qu’il soit exclusivement familial, d’autres qui souhaitent tirer profit des talents se trouvant sur le marché en s’alliant avec des managers externes, et certaines personnes qui désirent avoir un management mixte ( membres de famille et membres externes).
A ce titre ,Taieb Bayahi a indiqué que leur association avec le Groupe Auchan, entreprise familiale qui est à sa sixième génération, leur a été bénéfique et très riche en enseignement pour ce qui est des bonnes pratiques.En sus, si la pérennité de l’entreprise familiale est désirable, chaque génération doit se réinventer dans le respect des valeurs et des biens qui ont été transmis en vue de fructifier la richesse familiale.
«En tant que famille entreprenante, n’oublions pas de vivre la mission familiale, de communiquer, n’oublions pas que le moindre manque de respect est notre ennemi, que la structure est notre amie, n’oublions pas qu’être actionnaire n’est pas un droit mais un job, qu’équitable n’est pas toujours égal et qu’égal n’est pas toujours équitable, n’oublions pas qu’il faut savoir toujours raisonner sur le long terme … » a conclu Philippe Haspeslagh.
Pour mieux réussir l’aventure entrepreneuriale
Parmi la panoplie de mesures aidant à réussir cette transition, Taieb Bayahi a avancé la possibilité de constituer une holding, de restructurer des arbitrages au niveau du conseil d’administration, d’opter pour des mécanismes permettant de mieux optimiser la fiscalité des successions et des transmissions.
Opter pour l’introduction en bourse est sans conteste une solution pour faciliter ce passage. Cependant, Moez Belkhiria du groupe BSB a souligné un bémol en ce qui concerne le secteur automobile. « Pour préparer la transmission à la troisième génération, nous avons pensé à l’introduction en bourse, sauf qu’avec l’imposition des quotas et l’intervention de l’État, le business plan d’introduction est devenu aléatoire. Nous attendons un changement des règles d’ici deux ou trois ans pour envisager l’introduction en bourse » a-t-il déclaré.
L’avenir est entre les mains des jeunes
Les héritiers de grandes entreprises familiales quel que soit leur niveau d’implication dans la vie de l’entreprise doivent être écoutés et accompagnés dans la gestion de leurs relations sociales. Par ailleurs, il est extrêmement faraud de tirer profit de leurs esprits entrepreneuriaux innovants. Etant plus ouverts sur l’extérieur, ces derniers peuvent apporter un éclairage nouveau, contrairement à leurs prédécesseursqui s’articulent dans leurs visions à diversifier leurs activités sur le plan national.
A titre d’exemple, le groupe Bayahi a mis en place des instances de gouvernance, tel un comité stratégique qui réunit la partie familiale du conseil d’administration et où est effectuée une analyse SWOT en présence des jeunes de la troisième génération. Ces derniers sont alors amenés à bien connaître la société.