Habib Karaouli, PDG de CAPBank
Propos recueillis par Sahar Mechri
L’investissement, le conseil c’est son métier, ce qui lui a valu le respect de la place et d’ailleurs. Il est l’architecte des plus grosses opérations de restructuration, d’acquisition et de privatisation qui ont fait date. Nous sommes allés à la rencontre de Habib Karaouli, PDG de CAPBank pour qu’il nous livre son analyse sur la loi d’investissement.
Que vous inspire la nouvelle loi ?
En deux mots, nous avons mis trop de temps pour adopter la nouvelle loi, pour les raisons et le contexte que nous connaissons. Cela a incontestablement favorisé un climat attentiste en faveur de la loi et ses dispositions. Je pense que nous avons raté une opportunité pour profiter d’un effet d’annonce et limiter l’effet pervers de cet attentisme. Il aurait fallu proclamer que toutes les dispositions dont les avantages seraient supérieures à celles octroyées dans l’ancien code seraient appliquées à tous ceux qui ont investi durant la période avant la promulgation de la loi.
En revanche, cette loi a plusieurs éléments à son actif. D’abord, en comportant seulement 36 articles et 4 décrets, elle a l’avantage de la simplicité. Ceci est de nature à favoriser la lisibilité et la compréhension des uns et des autres. Ensuite, la promulgation simultanée de la loi avec les décrets est de bon augure pour le reste. Enfin, cette loi est convergente dans le sens où l’investissement est considéré de manière non discriminée qu’il soit domestique ou étranger.
On a le sentiment quel’accent a été mis sur la création au détriment de l’expansion ?
Manifestement, il y a une volonté de privilégier les créations. Il est de nature à stimuler cette catégorie d’investissements mais nous ne pouvons nous permettre, vu le contexte, de nous focaliser exclusivement sur les dispositifs d’incitation à la création.
Le développement et l’externalisation de l’entreprise n’ont pas été pris en compte dans cette nouvelle loi à partir du moment où les réinvestissements ne sont plus exonérés. De fait, les entreprises ne seront plus encouragées à s’agrandir et éventuellement à procéder à des fusions-acquisitions.
Paradoxalement, nous avons besoin que les entreprises fassent de la croissance verticale car notre tissu de PME/PMI est très fortement émietté avec très peu de champions sectoriels ou par filière.
Déjà de par notre législation sociale, les gens ont tendance à éviter la concentration et à segmenter. Avec un tel dispositif, les entreprises existantes seront incitées à filialiser et à favoriser toutes les techniques d’évitement possible pour bénéficier des primes, ce qui n’est pas sain au niveau industriel.
Avez-vous d’autres commentaires à relever ?
On serait tentés de penser que dans le contexte de crise marqué par six années d’incertitude politique, de ralentissement économique et de fragilisation du tissu PME/PMI qu’il y a tout un chapitre dans la loi qui concerne les entreprises en restructuration.
C’est fondamental qu’il y ait des dispositions particulières pour permettre aux entreprises de se restructurer et d’accorder un certain nombre d’avantages à tous les intermédiaires financiers qui interviennent dans la restructuration et qui permettent de pérenniser des entreprises et de sauver des emplois. De surcroît, nous avons péché par une vision court-termiste en focalisant sur les incitations sans donner tout son poids à l’approche économique de stimulation de l’investissement.
De fait, il y a eu application du principe de discrimination positive en faveur de zones de développement régional prioritaire ; seulement on a cru bon de distinguer un certain nombre d’activités, en l’occurrence les activités répétitives ou les plus profitables, dans ces mêmes zones auxquelles on n’accorde pas les avantages.
Ce qui revient à faire de l’asymétrie dans les zones de développement régional prioritaire pour des considérations purement fiscales et comptables. Le risque est que ces régions soient privées d’investissements qui iraient s’implanter ailleurs sans avantage certes, mais avec un écosystème et un climat des affaires plus favorables.
Il fallait se poser la question de savoir s’il y a une égalité des chances en matière d’équipement collectif, de diligence de l’administration, d’environnement des affaires, d’infrastructure, de transport physique ou des données.
Pensez-vous qu’il y a une convergence entre ces incitations et le plan quinquennal?
Il est vrai que nous pouvons relever un problème de cohérence global et c’est probablement pour des raisons chronologiques. Je pense que la loi et le plan ont été faits de manière séparée : la loi d’investissement a été préparée bien avant le plan alors qu’elle devrait être un instrument au service du plan.
Par exemple, tout ce qui relève de l’innovation n’est pas traduit dans la loi de l’investissement. Celle-ci est traitée comme n’importe quel chapitre alors que le focus devrait être mis sur cet aspect qui est un des axes du plan.
Il faut savoir que dans notre pays il y a un déficit de créativité, d’identification de projets, d’accès aux ressources (bancaires ou autres) et d’accompagnement de ces entreprise dans la phase cruciale des trois premières années.
A noter que sur l’ensemble des investissements dans le pays, à peine 13% des investissements sont orientés vers la création. Il faut faire un programme national d’innovation, il faut que mille et une idées éclosent ici et là car les enjeux sont importants.
Le gain provenant de tels avantages est incommensurable parce que c’est un des rares domaines où nous avons des avantages compétitifs. Encore plus s’il s’agit d’avantages fiscaux, c’est un manque à gagner virtuel, d’autant que le contribuable n’aura rien à décaisser.
Quid de l’efficacité des primes ?
Je suis de ceux qui estiment que le focus doit être mis sur les incitations fiscales et oublier tout ce que l’Etat doit décaisser. La notion de prime n’a pas de sens, il faut la traduire en termes d’avantages qui seraient accordés sur le plan fiscal.
Le mot de la fin ?
J’ai toujours pensé qu’on fait une fixation sur le dispositif légal et réglementaire et on oublie l’essentiel qui est de travailler et d’appliquer les dispositifs qui existent à cet effet. Je suis de ceux qui pensent que dans une économie qui fonctionne bien, c’est le droit commun qui doit primer. Si on a besoin d’une loi sur l’investissement, c’est qu’on a besoin de dispositifs spécifiques, c’est quasiment une loi d’exception.
J’espère que ces manquements seront ajustés dans les mois à venir. J’ose croire que les pouvoirs publics auront suffisamment de bon sens pour rectifier ces aménagements le plus tôt possible de manière à ne pas passer à côté d’opportunités d’investissement et pour en faire réellement des instruments opérationnels.