Faisant accélérer un septième des projets technologiques français, la SATT Paris-Saclay signe un partenariat avec Technoriat pour lancer un accompagnement individuel aux technoriats et assurer leur ematuration. Xavier Apolinarski, directeur de la SATT Paris-Saclay, et Noomane Fehri, fondateur du projet Technoriat, nous livrent les assises de ce partenariat. Interview croisée.
Parlez-nous de la mission de la SATT.
Xavier Apolinarski: Notre rôle principal dans la Société d’accélération du transfert de technologies (SATT) Paris-Saclay est d’accélérer le transfert de technologie des résultats scientifiques dans les laboratoires vers les marchés. A la SATT Saclay, nous avons une capacité d’investissement de 79 millions d’euros sur 11 ans pour effectuer «la maturation» ou «l’augmentation du niveau TRL (Technology Readiness Level)» d’un niveau 2-3 à la sortie du laboratoire vers un niveau de 5-6 sur l’échelle de maturité. Ainsi, nous limitons le time to market. La SATT est une structure privée, une société par actions simplifiée (SAS) de financement public au service de nos actionnaires qui sont les établissements de recherche, pour 2/3 des parts, et l’État, en l’occurrence Bpifrance, le ministère de la Recherche et le ministère de l’Industrie, avec 1/3 des parts.
Est-ce que vous pouvez nous expliquer comment vous êtes un opérateur privé alors que les actionnaires sont publics?
X.A. : Au fait, cela fait partie de notre spécificité. La SATT a une mission au bénéfice des établissements de recherche publics à partir de fonds publics qui sont les fonds du Programme d’investissement d’avenir 2030. Dans une structure privée, le but étant de pouvoir associer l’agilité de la SAS avec la mission du service public qui englobe la maturation et la transformation des technologies. Je tiens à préciser que la propriété intellectuelle et industrielle reste aux établissements de recherche publics.
Quel accompagnement offre précisément la SATT aux chercheurs?
X.A. : Le service que rend la SATT au secteur de la recherche est l’accompagnement sur le plan du développement technologique de l’innovation par rapport à un marché. Cette maturation de la technologie va permettre, au bout de 18 mois, d’avoir un premier prototype fonctionnel de ce que la startup va commercialiser demain. Il doit respecter les normes, les objectifs de conception et le design avec lesquels l’entreprise fera sa production. C’est toute une dimension qu’on appelle «Plan Développement Marché», qui sera suivie de toute une panoplie d’accompagnements et services autour de la propriété intellectuelle. Notre rôle, ainsi, est de coupler la stratégie propriété intellectuelle ou la propriété industrielle avec le Plan Développement Pro-technique afin d’identifier un actif qui servira la startup lors de la phase de création. Un accompagnement juridique sera assuré par des juristes spécialisés qui vont contractualiser les licences d’exploitation entre les établissements de recherche et la SATT pour que cette dernière puisse faire le transfert de technologie à un industriel ou à une startup, ce qu’on appelle «sous-licence de la technologie vers une startup». La SATT apportera, également, des services de gestion de projet qui se traduisent par un suivi régulier de la totalité des projets avec une revue, les lots de travaux, la partie budgétaire, la propriété intellectuelle…
En quoi ce partenariat peut-il ramener de la valeur ajoutée pour Technoriat?
X.A. : Au fait, à l’échelle des 13 SATT, nous avons accompagné 3 000 projets de maturation, investi 600 millions d’euros dans ces projets et accompli 1 600 transferts technologiques. 45% de ces transferts ont été orientés vers la création de startups deeptech et 45% vers des PME qui sont dans l’écosystème à proximité des centres de recherche. ll y a eu plus de 600 startups créées dont la valeur s’élève à 1 milliard d’euros. Il a été démontré dans une étude réalisée par Deloitte que sur la totalité des startups créées, il y a un ratio de 1 pour 7, c’est-à-dire 1 euro investi dans la maturation technologique crée 27 euros de valeur économique dans l’économie française uniquement avec les startups. La SATT n’a que la propriété de commercialisation des technologies. De ce fait, notre apport sera de partager avec Technoriat notre tour d’expérience pour éviter les mêmes erreurs que nous avons faites au début de la création de la SATT Paris-Saclay et pouvoir l’adapter à l’écosystème scientifique tunisien des laboratoires de recherche et de création d’entreprises pour qu’ils soient plus efficaces dès le début.
Noomane Fehri : A Technoriat, nous sommes intéressés par l’expérience de SATT-Saclay pour que nous puissions gagner du temps de développement. C’est un établissement qui a 8 ans d’existence au cours desquels il a investi dans 100 projets, sorti 32 startups deeptech et transféré de la technologie à plus de 750 PME. Nous croyons que ce partenariat va également accélérer notre chemin de croissance à nous. Il est vrai que nous n’avons pas nécessairement les mêmes mécanismes mais nous avons un réservoir de chercheurs extraordinaire et notre projet consiste à transformer une partie de cette recherche scientifique en valeur économique. D’ailleurs, quand nous avons lancé le partenariat avec la SATT Paris-Saclay, nous avons cerné nos besoins et rassemblé les meilleurs acteurs tunisiens en matière d’incubation et d’accélération avec l’appui de la communauté européenne et l’expertise française. Actuellement, nous sommes arrivés au bout de notre projet, puisque nous entrons dans un processus hyper-technique et pointu et il serait inadmissible de passer à côté de cette opportunité.
Est-ce que vous pouvez nous citer quelques-unes de ces erreurs?
X.A. : Tout d’abord, on a mis du temps à maturer le couplage du plan de développement technologique avec la stratégie de propriété intellectuelle.
Ensuite, au niveau de la gestion des risques, nous aurions dû structurer les projets d’investissement avec des phases de Go-No Go et des étapes de Stop & Go, soit pour identifier une entreprise qui va exploiter la technologie, soit pour l’engagement vers la création d’une startup sur la base de l’investissement.
Nous avions également besoin de paralléliser le taux dans notre métier, le développement technique et le couplage avec la société qui va exploiter cette technologie parce qu’elle va nous demander des preuves de la performance. Si ces preuves ne sont pas connues au milieu du projet, il sera difficile de trouver l’argent nécessaire pour faire de la démonstration, donc la décision va être prise plus difficilement.
Parmi nos erreurs aussi, nous avons mis du temps à structurer autour de nous un écosystème pour sourcer des CEO, les créateurs de startups, en complément des chercheurs.
Concrètement, comment allez-vous intervenir?
N.F. : Concrètement, l’intervention sera sur deux axes. Le premier axe consistera à mettre en place une structure de valorisation de la recherche scientifique qui sera d’une grande utilité non seulement au niveau du pays mais aussi dans le pourtour méditerranéen, en Europe et en Afrique. AIPERIA est, désormais, une unité spécialisée en Tunisie dans la valorisation de la recherche scientifique et qui peut bénéficier de l’expérience de la SATT et travailler pour les Technoriat. Quant au second axe, il consistera à partager avec la SATT des exemples concrets.
X.A. : Effectivement, pour ce partenariat, nous allons faire une démonstration sur des use-case qui sont déjà existants en Tunisie, qui sont les Technoriat. Nous allons accompagner la mise en œuvre des services de la SATT Paris-Saclay au profit des premiers Technoriat qui ont été identifiés. Nous allons essayer d’apporter de la valeur ajoutée à leurs projets pour qu’ils aient les levées de fonds nécessaires ou la commercialisation rapide de leurs produits.
N.F. : C’est bien un partenariat qui se fait à travers des cas concrets et vu que le mandat des SATT est un mandat territorial, je tiens à remercier Xavier Apolinarski pour avoir convaincu le conseil d’administration de la SATT de sortir de leur mandat territorial et d’aller vers la Tunisie, réputée pour ses recherches scientifiques.
Quel business model suivez-vous?
X.A. : Notre business model consiste à investir dans les technologies que nous licencions. Nous donnons des licences de technologie à des startups et pour lesquelles nous bénéficions de royalties qui sont, en effet, un pourcentage sur le chiffre d’affaires. Ensuite, nous prenons des parts du capital de la startup dont nous avons facilité la création.
Il est important de savoir que la SATT investit deux ou trois ans avant que l’entreprise ne soit créée. Ainsi, nous convertissons notre investissement au moment de la création de l’entreprise, ce qui fait de nous des actionnaires des startups.
Votre business model est-il le même pour les PME?
X.A. Pour les PME, c’est juste des royalties.
Ce qui est important, c’est que la SATT a un modèle que je considère vertueux. Nous reversons, dès le premier euro, 30% des revenus aux établissements de recherche et aux chercheurs.
Au fait, vous renforcez vos sourcings…
X.A. : Tout à fait. Les 70% restants sont destinés à compenser l’investissement de la SATT. Une fois que nous avons atteint notre retour sur investissement, la valeur sera inversée et la SATT gardera 30% des revenus et reverse 70% aux établissements et aux chercheurs. Une manière de motiver les chercheurs qui vont percevoir 50% des revenus que nous reversons à l’établissement de recherche.
Dans quelle mesure ce partenariat avec l’écosystème en Tunisie s’intègre dans votre stratégie?
X.A. : En réalité, j’ai trouvé dans l’aventure Technoriat les gènes et les prémices de ce qu’a vécu la SATT en 2014. Aujourd’hui, avec la maturité que nous avons atteinte, nous sommes prêts à partager et à accompagner. Pendant tous ces mois, nous avons constaté que vous pouvez partager nos pratiques qui étaient en adéquation avec l’Organisation Technoriat et la recherche scientifique en Tunisie. Ce qui aboutit à un contrat qui permet d’avoir des obligations de la SATT envers Technoriat et réciproquement.
N.F. : Je pense que le contrat n’est qu’une excuse pour commencer à solidifier le pont dans les deeptechs entre les laboratoires, l’écosystème des deeptechs françaises et tunisiennes.
Le chercheur va-t-il être le fondateur ou va-t-il juste vendre la propriété intellectuelle?
X.A. : Il est souvent le cofondateur mais avec un CEO qui s’occupera du lancement du projet.
N.F. : C’est là où il y a une différence de modèles. En ce qui concerne les modèles français, c’est la SATT qui établit un contrat de maturation avec le laboratoire. Celui-ci cède non pas le brevet de la propriété intellectuelle mais plutôt le droit d’exploitation à la SATT qui se charge de la maturer et de la commercialiser soit sous forme de startup, soit elle vend la licence à des PME. Elle redonne ensuite au laboratoire les royalties.
Alors que le modèle tunisien avec Technoriat 1.0, c’est le chercheur qui doit être porteur de la startup et les laboratoires sont incités à lui céder la licence. Un chercheur doit être accompagné pour être entrepreneur, pour maturer la technologie et créer d’autres brevets.
En effet, l’objectif de Technoriat est d’aider les chercheurs à devenir des entrepreneurs ou des cofondateurs.
Pour finir, comment voyez-vous l’évolution de Technoriat avec ce partenariat et sa contribution dans l’écosystème en général?
F. : Technoriat a commencé avec son propre savoir-faire et aujourd’hui, le process a évolué d’un POC vers un prototype et nous gardons l’espoir d’un Technoriat 2.0.
SAHAR MECHRI & SANA OUJI BRAHEM
SATT en chiffres
Nombre de SATT en France : 13
3 000 projets de maturation
600 millions d’euros d’investissement
1 600 transferts de technologies
SATT Paris-Saclay
320 laboratoires de recherche
16 000 chercheurs
Capacité d’investissement de 79 millions d’euros
100 projets
32 deeptechs