La Tunisie est le parfait pays de la contradiction en Afrique.
En effet, le pays est à la pointe du digital en termes de formation, avec plus de 12 000 diplômés en informatique par an, dans les différentes spécialités du secteur public de la formation universitaire et professionnelle.
Mais aussi dans le secteur privé, boosté notamment par des formations en reconversion.
Plusieurs diplômés du secteur public se lancent dans des formations privées afin de valoriser leurs diplômes, en s’orientant vers le secteur digital, à très forte employabilité.
La Tunisie est aussi l’un des plus grands centres de production logicielle en Afrique et d’expertise technique avec plus de 80 000 salariés dans le secteur digital.
Et une offre logicielle et de services associés réalisant 12% du PIB en 2021.
L’exportation des logiciels vers l’Afrique en tant que solutions finales et vers l’Europe en mode de sous-traitance a fait que plusieurs sociétés de services et de développement sont créées chaque année.
Plusieurs multinationales comme Sopra, Actia, Sagem, Sofrecom, etc. se sont installées en Tunisie afin de tirer profit des compétences des ingénieurs tunisiens, de leurs expertises, mais aussi du niveau de compétitivité record en Afrique et en Europe.
A titre indicatif, un ingénieur tunisien débutant coûte en moyenne en brut 3000 TND, approximativement 1000 euros. Soit 3 fois moins cher qu’au Maroc et 5 fois moins cher qu’en France.
Ce qui provoque deux mouvements, soit l’immigration des compétences en France de manière durable ou ponctuelle; entre 2000 et 5000 ingénieurs en informatique quittent la Tunisie vers l’Europe et la France en particulier et vers le Canada.
Ou bien certaines sociétés de développement logiciel choisissent de délocaliser en partie en Tunisie afin de profiter de la disponibilité des ressources humaines.
Cette forte demande d’ingénieurs informaticiens provoque un mouvement de turn-over important et une raréfaction des compétences à Tunis, entraînant la migration de certaines sociétés vers Sousse et plus récemment Sfax qui, avec 5 filières universitaires publiques diplômant chaque année 2000 ingénieurs, est devenue le nouveau pôle de production logicielle en Tunisie.
Toutefois, et malgré cette situation favorable en termes de compétences et de production, cela n’impacte pas la digitalisation du secteur public, qui reste en retard par rapport au contexte africain.
En effet, la Tunisie reste à la traîne dans le secteur digital en termes d’utilisation.
Pas de e-visa, contrairement à la majorité des pays africains, dont le dernier – le Togo – qui vient de lancer ce service.
Encore moins dans le développement du paiement digital où on commence juste à se lancer dans ce domaine, alors que le porte-monnaie électronique est utilisé dans un pays comme la Somalie depuis 10 ans et au Niger, la banque digitale a permis de bancariser plus de 80% de la population.
La digitalisation de l’administration reste en Tunisie un discours creux, sans effet réel sur le terrain.
Actuellement, peu ou pas de services disponibles pour le citoyen.
Si on admet que l’administration a fait un réel effort en digitalisant plusieurs services pour les entreprises, comme la télédéclaration fiscale, la télédéclaration de la CNSS, l’extraction de l’attestation RNE ou la télédéclaration des opérations d’import-export au niveau de TTN ou encore l’application Tuneps des marchés publics, le citoyen ne peut ni se faire délivrer un certificat de naissance ni faire une signature légalisée à distance ou même déposer une autorisation de bâtir.
Le Tunisien est obligé de faire la queue dans les administrations ou les entreprises publiques pour payer une prestation ou pour se faire délivrer un service.
Juste pour illustrer mes propos, il suffit de savoir qu’aucune recette municipale ou fiscale n’accepte de carte bancaire ou dispose de TPE.
Après les beaux discours affichés par la classe politique, la Tunisie doit être plus pratique et lister un certain nombre de services à digitaliser chaque année, à l’instar d’un pays comme le Bénin, qui dresse la liste des services publics à convertir en e-services, et faire le point chaque année des réalisations.
En ce qui concerne la Tunisie, on est loin du compte et on reste, comme le chante si bien Dalida, au stade des “paroles, paroles, paroles”.