Mohamed Fadhel Kraiem, DG DE Monoprix
Propos recueillis par Sahar Mechri Kharrat
Il ne faut pas trop tendre l’oreille pour s’en convaincre : c’est à une haute pointure managériale que le groupe Mabrouk a fait appel en février 2016 pour restructurer le groupe et lui donner un nouvel élan. Mohamed Fadhel Kraiem, un polytechnicien -Telecom Paris, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a commencé par se forger une solide expérience pendant cinq ans chez SFR comme Program Manager avant de migrer au Maroc d’abord comme Chief Computing Officer, chez Maroc Telecom, et ensuite Executive Vice-President chez l’opérateur INWI. En juillet 2010, retour au bercail en Tunisie pour occuper pendant plus de 5 ans le poste de DGA chez Tunisie Telecom. Appelé aux commandes du groupe Monoprix, il confirme, si besoin est, son don à découvrir les perles rares pour former une équipe de choc unie, soudée et terriblement efficace. Celle-ci ne tarda pas à s’engager à redresser l’entreprise et à la mettre sur les rails. Tout un plan de transformation qui vise à permettre au Groupe de retrouver sa place de leader sur le marché local et de se projeter à l’international… ADN du groupe oblige !
Comment se porte le secteur de la grande distribution ces dernières années ?
On peut dire que le secteur de la grande distribution est sous pression, et ce, pour plusieurs raisons. Il est fortement affecté par la situation économique marquée par une grande pression sur le pouvoir d’achat des ménages. La dévaluation du dinar rend plus chers les produits importés mais aussi la matière première importée.
Ceci ne peut qu’alimenter l’inflation. D’un autre côté, la prolifération du commerce parallèle et informel cause beaucoup de torts. Il faut savoir que le commerce structuré ne représente que 25% du commerce global, et c’est là où les acteurs créent de la valeur et de l’emploi, et investissent en mettant en avant le respect des normes d’hygiène, la réglementation et le confort de l’expérience client. A ce propos, je tiens à préciser qu’il y a un potentiel assez important pour le développement du commerce structuré en Tunisie.
Dans le secteur de la grande distribution, y a-t-il un effet de saisonnalité ?
En fait, en Tunisie, nous avons des activités en fonction de certaines périodes, telles que les deux semaines précédant le mois de Ramadan, ensuite les deux Aïds, la rentrée scolaire, non sans mentionner la période de la fin d’année. De ce fait, nous avons généralement un deuxième semestre qui est plus riche et plus animé que le premier.
Il est généralement reproché aux acteurs de la grande distribution d’être agressifs au niveau commercial avec leurs fournisseurs. Est-ce vrai ?
Aujourd’hui, les clients sont de plus en plus sensibles au prix eu égard à l’affaiblissement de leur pouvoir d’achat et à la tentation que suscite le secteur informel qui est moins cher. Pour arriver à vendre à des prix compétitifs, il faut bien maîtriser le prix d’achat. Nous devons garantir une marge qui permette à l’entreprise de fonctionner correctement. Il est vrai que nous œuvrons à négocier les meilleurs prix. Et c’est une vérité : il s’agit bien d’une relation client-fournisseur. Vu le volume des achats, nous avons une forte capacité à négocier.
Je reviens maintenant au Groupe Monoprix : pendant les deux dernières années (2015–2016), il y a eu un léger repli au niveau de l’activité. Serait-ce dû à votre volonté de maintenir élevées vos marges ?
En fait, sur les trois dernières années (de 2013 à 2015), il y avait une amélioration au niveau du chiffre d’affaires mais globalement, la rentabilité battait légèrement de l’aile. Et pour cause, les charges augmentaient à un rythme plus élevé que les ventes. Fait d’évidence, la masse salariale a beaucoup crû depuis 2011. Aujourd’hui, elle représente environ la moitié des charges. Le léger repli au niveau de l’activité a fait que le groupe ne s’est pas développé durant cette période, mise à part la participation dans la société Rayen Distribution et la prise en charge de l’exploitation de ses trois magasins MERCURE situés à Tunis , Sousse et Sfax. Entre-temps, nos concurrents étaient plus agressifs au niveau du développement. C’est ce qui explique la perte de parts de marché.
N’est-ce pas aussi parce que vous avez la réputation d’avoir des prix un peu plus élevés que ceux de vos concurrents ?
On a effectivement cette réputation. C’est une perception, sans doute en rapport avec les séquelles d’une certaine communication qu’on observe dans le secteur depuis quelques années …. Je peux vous assurer qu’aujourd’hui ce n’est pas vrai : nous sommes moins chers sur un nombre important de produits. Depuis 2015, les choses commencent à converger vers des prix globalement cohérents et comparables. Nous avons une politique tarifaire qui n’est pas uniquement basée sur le prix permanent mais aussi sur les promotions. Nous avons de vraies promotions qui sont très agressives. Vous constaterez que nous sommes les premiers à nous positionner sur ce créneau-là.
Quelle est la densité du réseau aujourd’hui ?
On est à 89 points de vente à fin juin. Pour rattraper le retard des dernières années, nous avons ouvert 12 magasins en moins de deux ans. Six magasins ont été ouverts au premier semestre de 2017. Nous allons continuer à ce rythme-là, selon cette même vision, qui consiste à ouvrir entre 5 et 7 magasins par an jusqu’à 2020–2021.
Où on est le projet du second hypermarché sur Tunis ?
En effet, il s’agit du projet Azur City qui est géré au niveau de notre groupe Mabrouk Retail Group. Vous avez certainement observé les travaux au niveau de la sortie de Tunis, sur l’autoroute vers Hammamet. C’est un projet dont les travaux ont commencé au début de cette année et qui avancent bien. Il s’agit de tout un complexe commercial qui comportera un Hypermarché Géant et qui ouvrira courant 2019. Ce sera le plus grand centre commercial en Tunisie.
Pour le développement à l’international, quelle est votre stratégie?
C’est vrai qu’il y avait une ambition du Groupe d’aller vers l’international. Nous avons déjà tenté avec deux unités en Libye. Le projet avait bien démarré mais a été vite rattrapé par les événements et la question sécuritaire. Nous avons alors fermé les magasins et rapatrié tout notre personnel depuis fin 2014. Il faut dire qu’aujourd’hui la situation en Libye n’a pas évolué et on est en train d’essayer de trouver des solutions pour préserver les intérêts du Groupe.
Il y avait aussi, à un certain moment, l’idée d’un projet au Maroc ?
Il y avait des idées de projets effectivement pour le Maroc. Aujourd’hui, nous avons convenu au conseil d’administration de nous fixer comme priorité le redressement de l’entreprise. Nous avons mis en place un plan de transformation validé par le conseil d’administration et que nous nous attelons à exécuter afin que Monoprix Tunisie reprenne son niveau de performance habituel. Au plus tard, au début de 2018, nous mettrons en place notre stratégie de développement à l’international. Nous avons un savoir-faire indéniable que nous voudrions partager ailleurs. Il ne faut pas oublier que Monoprix est la première enseigne en Tunisie. Le premier magasin fondé en 1933 avait pignon sur la rue Charles de Gaulle.
Le secteur étant très concurrentiel, ne serait-il pas préférable d’y aller en premier ?
Certainement. Toutefois, je suis fort convaincu qu’il faut être un champion national avant de s’exporter. En tant que marque, bien qu’on soit passé par des moments difficiles, Monoprix a une notoriété des plus importantes sur le marché. La priorité est donc de bien se positionner sur le marché local vu l’énorme potentiel qui existe. Mais ça n’empêche que nous gardons toujours l’œil sur l’évolution de l’environnement international de la région et ses opportunités.
Revenant sur ce plan de transformation, quels sont ses grands axes ?
Il s’agit d’un plan stratégique qui s’articule autour de plusieurs initiatives. En premier, on est appelé à renforcer la confiance de nos clients. Monoprix se doit de se distinguer par la qualité de ses produits, par le positionnement de ses prix, par de nouveaux services structurés autour d’un concept moderne et innovant. Le deuxième axe est la communication. On a défini depuis l’année dernière une nouvelle plateforme de communication pour mettre plus avant la marque Monoprix et les services proposés à nos clients, c’est par exemple le cas de notre programme de fidélisation Monoprix Smiles. L’objectif étant de bien se différencier dans la communication du moment où toutes les enseignes proposent pratiquement les mêmes produits.
Pour parler d’une autre priorité qui est réellement la pierre angulaire de tout ce plan de transformation, je citerais le développement des ressources humaines. C’est un chantier multidimensionnel : il y a le volet restructuration pour simplifier l’organisation et fluidifier la communication interne. Plusieurs projets de développement du personnel ont été mis en place.
Ils sont essentiellement focalisés sur la formation ciblée et la mobilité interne. Finalement, la transformation digitale a permis de renouveler le département RH avec comme idée maîtresse que le digital soit au service des employés, notamment pour partager les informations et mobiliser le personnel autour des valeurs de la marque. Un département « Com interne et marque employeur » a été mis en place. Nous allons renforcer l’image d’une entreprise citoyenne, proche des préoccupations des Tunisiens. C’est pourquoi Monoprix a créé, en décembre dernier, une fondation qui s’appelle « La fondation Monoprix » qui agit sur quatre axes: l’environnement, l’éducation, le social et la santé/bien-être.
Le dernier volet de notre plan de transformation est la refonte de notre système d’information de gestion des magasins, ce que nous venons de finaliser. Des améliorations ont été apportées au niveau de la logistique, notamment à travers un nouvel entrepôt de 7000 m2 à Radès que nous avons ouvert il y a quelques mois. Il nous permet d’avoir 70% de capacité supplémentaire pour une meilleure fluidité de la gestion de nos flux logistiques.
Escomptez-vous ainsi réduire vos coûts moyens ?
Cela nous permet surtout d’avoir une meilleure présence de nos produits dans nos magasins et d’alléger les coûts de transport et de logistique. Mais nous nous attelons à maîtriser les coûts à travers tout un programme d’économie d’énergie en essayant d’utiliser les technologies moins énergivores en matière de froid industriel. En effet, dans un premier temps nous sommes arrivés à réduire la consommation de nos équipements de 30 à 40%. Des efforts ont également été consentis quant à l’amélioration du monitoring et du comportement de notre personnel dans les magasins : fermer les portes des chambres froides, éteindre la climatisation le soir, …
Nous avons également refait tout l’éclairage pour passer à la technologie LED. Et dans ce cadre, 80% du chemin ont été accomplis et les résultats commencent à se faire sentir. Dans certains magasins, nous avons pu faire des économies de l’ordre de 40%, c’est bien le cas des magasins qui ont été complètement rénovés.
Avez-vous des projets d’investissements dans les énergies renouvelables, tel le solaire ?
L’idée que le groupe investisse prochainement dans le solaire n’est pas à écarter. Il faut avouer que la grande distribution est un secteur énergivore. La réflexion est en cours et j’espère qu’elle va pouvoir aboutir.
Nous sommes au lendemain de la Fête de la femme, quelle est la place de la femme chez Monoprix ?
Il faut savoir qu’environ 70% de nos clients sont des femmes, que plus de 55% de nos employés sont des femmes : la femme est complètement au cœur de notre activité et nos préoccupations quotidiennes.
Une des réalisations dont je suis particulièrement fier, c’est le recrutement de quatre responsables femmes au sein de l’équipe de direction. Elles sont très percutantes et d’une indéniable valeur ajoutée. Lorsque nous avons lancé les recrutements pour renforcer les services centraux, j’ai vu passer beaucoup de candidates femmes remarquables, sur les vingt recrutements effectués il y a eu à peu près 80% de femmes, et j’en suis très content.
J’ajouterais que dans ce type de projet de transformation et de mobilisation, les femmes peuvent avoir un rôle assez fin à jouer, et aujourd’hui elles le font très bien et j’en suis très satisfait.
Quel est votre mot de la fin ?
Je suis arrivé chez Monoprix en février 2016, aujourd’hui on voit Monoprix changer et évoluer. Notre chiffre d’affaires renoue avec la croissance, on est en train de voir notre performance s’améliorer petit à petit. Ceci est le fruit de la mobilisation des 4000 salariés du Groupe Monoprix et de ses filiales. On est un groupe qui a cru en le plan de transformation à tous les niveaux, management, partenaires sociaux, employés, et qui a pu créer une dynamique positive pour aller de l’avant.
Je ne peux également que féliciter mes équipes qui y ont adhéré et qui ont montré une forte mobilisation sur ces grands chantiers. Je vois qu’il y a un grand potentiel qui doit être exploité à fond. L’avenir de la grande distribution est radieux. A nous d’être les premiers à en profiter.