Pérennisant la tradition d’un grand rêveur qui pensait que des citoyens politiquement avertis étaient indispensables au bon fonctionnement d’une démocratie, la Fondation Friedrich Naumann pour la Liberté vient de tenir son plus grand Forum de l’innovation politique de la Tunisie 2021, les 11 et 12 décembre ; une sorte d’espace non conventionnel où se côtoient des laborantins portant des blouses d’académiciens, politiciens, consultants et spécialistes politiques, activistes et experts médias.
Lequel est votre préféré ? Platon, Marc-Aurèle, Alfarâbi, Machiavel… Réfléchissez encore, car tous ces penseurs, chacun à sa manière, avaient professé une sorte de « gouvernance » propre à leur époque où la seule ambition de la politique était de tout attirer à soi ! Pour ceux qui croient plutôt à une « politique 2.0 » où des citoyens civiquement éduqués et politiquement informés sont indispensables au bon fonctionnement d’une démocratie, leur préféré pourrait être Friedrich Naumann, ce libéral allemand pour lequel la politique obéirait à la souveraineté de l’intelligence.
C’est la fondation du même nom qui vient d’organiser, à Tunis, la 3e édition du Forum de l’innovation en politique (après Beyrouth et Amman) sous le signe d’un libéralisme organisé singulièrement, friand de dialogue politique. Un forum qui vise très haut avec des travaux politiques révolutionnaires animés par des esprits brillants dont l’expérience embrasse des approches innovantes de la politique via des thèmes qui mettent l’innovation en facteur des Données, Médias, Mouvements de transition, Migration, Développement local.
« Il ne s’agit pas d’une conférence conventionnelle mais d’un voyage expérimental méticuleusement conçu pour un public d’académiciens, politiciens, activistes, médias… et nous n’aurions pas pu choisir meilleur pays que la Tunisie pour lancer cette réflexion ; discuter des concepts innovants », soutient Alexandre Rieper, directeur de projet, Fondation Friedrich Naumann pour la Liberté-Tunisie et Libye.
Le rêve de Kunze : un espace pour les penseurs arabes, en arabe !
Rien d’étonnant pour une fondation basée sur un rêve de symbiose universelle que son directeur MENA, Dirk Kunze, emprunte à l’onirique un ton inspiré, presque lyrique (à la manière de M-L. King), pour solliciter l’imagination des participants tout en leur prouvant que ce qu’il décrit est réel : « Vous pouvez inventer seul, mais pas innover ; c’est un effort d’équipe. C’est pour cela que nous avons un institut de formation, il véhicule la manière de travailler avec nos partenaires, sur nos sujets et les idées pour lesquelles nous combattons. Les deux dernières années étaient incroyables. Quand la Covid a frappé, il y eut un bond d’énergie, nous avons fait de l’espace pour de nouveaux sujets, de nouvelles idées ; AlhurriaLiberalNetwork, Thinkers, Ibn Khaldoun sont parmi ces plates-formes ».
Dirk Kunze nous parle ainsi d’un espace pour les penseurs arabes, en arabe, de son immense fierté d’avoir mis MENA sur la carte ! Sur les 20 dernières années, ce n’est rien de moins qu’un parapluie pour tant de développements dans la région. Des innovateurs extraordinaires ont émergé, des expériences fantastiques, des connexions sur les sujets sociaux et les partenaires politiques, partout où il s’agit de travailler ensemble dans toute la région.
Le ton devient encore plus inspiré quand Kunze ajoute, en prenant l’expérience de Amman (en Jordanie) pour exemple : « Ce que nous avons réellement créé à downtown Amman, c’est beaucoup plus qu’un bureau, c’est plutôt un point de coordination entre l’Allemagne et la région, un espace pour un engagement à long terme, être là où les gens sont là, un réseau pour nos idées. Rien n’existe par coïncidence, ce bâtiment est devenu un lieu où travailler, vivre une expérience fantastique. C’est un design nouveau, un plafond ouvert pour dégager des espaces et de la lumière, de la vie, des lignes, des croisements, gauche, droite, bas, haut ; ce sont les valeurs en lesquelles nous croyons, des gens qui travaillent pour la société, c’est exactement là que nous sommes supposés être : un incubateur pour nous tous, et tout cela a été fait au cours des deux dernières années, avec l’ambition de mobiliser nos équipes partout pour placer la MENA de nouveau sur la carte ».
L’innovation, mise en facteur de la Data
Des idées audacieuses pour sauver nos démocraties ; voilà ce dont il est question au cours de ce forum, et Yara Asmar, gestionnaire Stratégie régionale pour la fondation, enfonce le clou : « De nouvelles voies dans une économie ouverte, une société ouverte ; une nouvelle vague de mouvements sociaux, des challenges qui étaient invisibles et qui tendaient à ralentir la cadence : tel est le process que nous devons accepter, dix années après le printemps arabe, alors que les règles ont changé, nous devons essayer constamment d’améliorer les anciennes voies, aller vers le digital, promouvoir de nouvelles plates-formes, prouver que nous sommes capables de nous développer, professer des idées Bold ».
Selon elle, nous devons écouter les voix populaires comme les médias, expérimenter des prototypes et innover pour aller vers une dynamique collective, une patience active, une démocratie de contenu.
Nous voici au centre du débat où cette « démocratie de contenu » met tout de suite sur le devant de la scène la sacro-sainte Data dont l’analyse affecte immanquablement nos économies et change nos paradigmes quand elle entraîne dans son sillage A.I et Open Democracy. Un vif débat que Bachar Halabi, analyste géopolitique MENA, chez ClipperData Analytics, entame en traçant le cadre régional : « La région MENA est à la croisée de routes-flux majeurs, et tous les sujets nous mèneront dans ce sens. L’innovation est critiquement importante dans l’économie actuelle et l’investissement ainsi que la recherche sont un pari sur l’avenir, pour un développement économique à long terme ; là où l’innovation se concentre de plus en plus sur le rôle de la Data et la manière dont elle influe sur nos démocraties ».
Noomane Fehri, ancien ministre TIC, attire l’attention sur la signification de l’intérêt massif actuel de la Chine pour la Data en tant que 5e jambe à toute production : « La Data est devenue une source de vie, elle a transformé la manière dont nous faisons les choses, c’est un tsunami qui crée aussi le dilemme d’un savoir qui crée un autre gap entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas. En Tunisie, nous avons vu tout cela arriver, mais le gouvernement laisse les startups toutes seules. Il faut pourtant reconnaître que l’exercice du pouvoir sera de plus en plus difficile. A l’avenir, les gens ne vont plus avoir confiance dans le niveau politique mais dans le niveau local, ceux qu’ils connaissent ! ».
Transition, migration, développement local…
Teresa Widlok, responsable Droits civils et Etat de droit chez The Liberal Institute, expose le sujet de la Data selon une perspective européenne : « Il y a quelques années nous avons essayé d’introduire une régulation sur le chapitre digital (la Data Economy, estimée en Europe à 300 milliards d’euros). Quand on observe de l’extérieur la régulation sur la protection de la Data, côté First Movers et AI, nous avons obligation de réguler ; au moins parce que le caractère privé des personnes est un espace souverain et personne, y compris l’Etat, n’a le droit d’y aller. C’est une grande bataille où les grands joueurs vont rester les grands joueurs (les GAFAM) qui ont une énorme Data, plus que les gouvernements ».
David Carroll, Pr associé Design média chez The New School, évoque l’omniprésence et la dissémination de la Data : « Nous utilisons désormais les Social Medias de manière normale ; c’est l’un des impacts importants de la Covid. Au 21e siècle, les gens manipulent et génèrent la Data et la dynamique aux USA a été viciée par des relents de destruction système à cause des « lanceurs d’alerte » qui ont amené la Data « cachée » à la surface. Les super-Etats combattent pour garder leur suprématie en matière de Data, mais l’UE reste convaincue qu’il est aussi question de défendre les droits fondamentaux ».
Ana Perez Garcia, PDG et cofondatrice de ForestChain, met chacun face à ses responsabilités : « Nous sommes très ambitieux et nous voulons aller très vite en matière de Big Data comme en AI, mais la transformation a des règles. L’analyse de la Data est la part fondamentale, et aussi pour collecter, économiser, être plus compétitif. Le choc économique de la Covid a montré que la Data peut aider à faire des économies, notamment par les solutions sécurité où il y a des opportunités pour les entreprises locales dans leur développement ».
Le forum compte d’autres chapitres où le deuxième, sur les médias, explore les effets de l’innovation sur cette industrie, avec un plongeon dans le nouveau modèle commercial des startups de médias dans la région MENA et au-delà. Un 3e chapitre sur les Mouvements de transition explore le rôle de la technologie dans l’autonomisation des citoyens libres qui aspirent à un avenir meilleur où les valeurs des droits de l’homme sont la base de tous les types d’interactions – qu’elles soient sociales, politiques ou économiques. Un 4e chapitre sur la Migration étudie les facteurs qui facilitent le développement de l’innovation et le rôle de la migration dans le transfert de connaissances et l’infusion de la diversité culturelle.
Et un 5e chapitre sur le Développement local explore l’effet de la transformation numérique et de la gouvernance électronique sur le processus de développement durable, en plus de l’effet de l’innovation sur les zones rurales et les villes du futur.