L’année 2020 a été une année difficile pour le secteur des dattes. L’impact de la pandémie et l’introduction de nouveaux acteurs sur le marché ont touché au cœur du secteur. Certains agriculteurs et exploitants ont connu de grandes difficultés financières, qu’ils espèrent résoudre avec cette nouvelle saison qui s’ouvre.
Ala Belaifa, Directeur Exécutif de la société de conditionnement et d’export de dattes Rose de Sable, s’exprime sur ce sujet et bien d’autres, lors de l’interview avec le magazine Le Manager sur le secteur des dattes.
Ala Belaifa est expert-comptable de formation. Il a travaillé pendant plus de 10 ans à PwC, un cabinet d’audit dans les Big Four mondiaux. Il a ensuite repris en main la société familiale depuis 2012. L’entreprise Rose de Sable a été fondée en 2007 par la famille Belaifa, originaire de Nefta. Elle a été créée par motivation sociale, puis s’est agrandie pour devenir une grande entreprise exportatrice. L’unité de production a été construite selon les plus grands standards internationaux, ce qui a facilité le processus de certification.
Elle produit des dattes conventionnelles, bio et commerce équitable. Rose de Sable cumule les certifications : BRC, IFS, ISO 9001, JAS, GAP, Fair Trade, FDA, INC 2021, ISO 22000, Kosher, Fair TSA, USDA, TN BIO.
Le prix des dattes a connu une baisse de 13% entre 2020 et 2021. Les causes sont multifactorielles. Ala Belaifa les classe en trois catégories : le changement du rôle de l’agriculteur dans la récolte de dattes, l’arrêt de circulation des marchandises lié à la pandémie et l’introduction de l’Algérie sur le marché des dattes.
L’achat de dattes sur pied
Ala Belaifa détaille le procédé d’achat des dattes par l’exploitant : “Le cycle normal dans toute forme d’agriculture se résume au fait que l’agriculteur attend que le produit mûrisse, le récolte et le vend. Dans le secteur des dattes, ce processus est différent. Le stade de la collecte commence entre la mi-octobre et la première semaine de novembre. Le problème majeur des dattes est l’infestation par des insectes et la fermentation. Pour lutter contre ce phénomène, Pour lutter contre ce phénomène, les régimes de dattes sont protégés par des moustiquaires. Cette opération n’est pas menée par l’agriculteur, mais par l’exploitant qui prend en main les travaux culturaux bien avant la récolte. La mise en place des moustiquaires se fait prématurément, à partir du 1er juillet. Les opérateurs et industriels vont chez l’agriculteur à partir de fin juin-début juillet et font des estimations sur la production pour avoir un droit d’accès qui leur permet de protéger les régimes de dattes. L’exploitant estime la récolte de dattes et les achète sur pied. De ce fait, l’agriculteur s’est trouvé face à une pratique qui lui permet de vendre trois à quatre mois plus tôt sa récolte à des prix élevés atteints suite à une concurrence rude entre opérateurs pour la réservation du plus grand nombre d’opérateurs. De leur côté les opérateurs se financent auprès des banques pour lancer les achats sur pieds. Il y avait une concurrence continue entre les opérateurs, avec un prix à l’achat très élevé.”
Malheureusement, ces dernières années, l’agriculteur a démissionné de certaines fonctions. “L’agriculteur ne nettoie plus les palmiers pour bien dégager les régimes de dattes, il ne pose plus les moustiquaires, il ne fait qu’irriguer”
Arrivée de l’Algérie et pandémie
Puis un phénomène a bouleversé le marché : “La deglet nour est présente en Tunisie et en Algérie. Il y a eu en 2019 une introduction sur le marché d’opérateurs algériens spécialisés jusque dans les dattes naturelles. Ils ont acquis un savoir-faire et se sont rapidement développés dans les dattes conditionnées. Ils ont baissé les prix de vente sur le marché international. Donc les Tunisiens ont dû s’aligner sur les prix pour rester compétitifs.”
Par ailleurs, la pandémie a ralenti voire arrêté le transit des marchandises. “Le premier confinement a eu lieu le 18 mars 2020. Il a eu lieu à un mois du ramadan, alors que le ramadan à lui seul prend 50 à 60% de la production annuelle. Les destinations les plus en vue pour l’export sont le Maroc, la Malaisie, l’Indonésie et la France.”
Cela a entraîné trois phénomènes, dit-il. “Des exportateurs ont envoyé des conteneurs de produits finis et en cours de transit, il y a eu un arrêt total mondial de l’écoulement des produits. Quand les marchandises sont restées deux semaines enfermées dans des conteneurs, les clients se sont désistés. ” Le deuxième phénomène est l’annulation de commandes à la dernière minute, alors même que la récolte et le conditionnement des produits étaient finis, comme avec des emballages customisés. Le troisième phénomène est un manque d’écoulement des stocks durant l’année. Les stocks de 2019-2020 se sont cumulés à ceux de 2020-2021 et les dattes ont été vendues à très bas prix.
La chaîne de financement est brisée
L’exportation suit une chaîne de financement avec un ordre précis. L’exploitant achète les dattes récoltées à crédit, il les vend. Une fois la marchandise reçue, il reçoit le paiement. Il utilise l’argent du paiement pour rembourser son crédit et en contracter un nouveau pour acheter la prochaine récolte. Etant donné que des marchandises ont été refusées à l’export et que des clients se sont désistés ou ont annulé les commandes, les exploitants de dattes se sont retrouvés avec de lourdes dettes.
Les conséquences sont énormes. “Certains se sont ruinés, ils ont perdu beaucoup d’argent. Ils n’ont plus de moyens pour mobiliser des fonds pour acheter les dattes de façon prématurée. Maintenant, ils achètent après récolte et à crédit auprès de l’agriculteur. Les exportateurs ont moins de revenus, ils sont obligés d’acheter moins cher. Ils ont des moyens réduits à cause du COVID-19. Le statut de l’agriculteur a chuté. Avant, il vendait sa récolte à prix élevé et prématuré. Maintenant, il vend à prix réduit de 20 ou 30% en novembre à crédit.”