Avec 742 800 chômeurs, la Tunisie est à un pic inquiétant. Même lors de la première crise sanitaire du second trimestre 2020, ce chiffre était à 746 400. Nous sommes donc quasiment au même niveau du mois de juin dernier. Si nous conjuguons ces statistiques avec l’ensemble des indicateurs, nous trouvons qu’il s’agit bien d’une évolution logique. L’économie n’est pas en train de croître, elle est même en train de détruire de la valeur.
La succession des périodes de couvre-feu et de restriction de circulation a apporté un coup dur à toutes les activités sans exception. La forte liaison entre les maillons de l’économie formelle et souterraine en Tunisie a fait qu’échapper aux conséquences de la crise n’a épargné personne, exception faite des fonctionnaires de l’État.
Plus d’un million de femmes en activité
Juste avant la pandémie, 2 581 600 hommes occupaient un poste d’emploi. Aujourd’hui, ce chiffre est passé à 2 418 000. En d’autres termes, 197 200 personnes de sexe masculin ont perdu leurs emplois sur une année. Ce sont les pires statistiques sur le quinquennat. Vous pouvez imaginer le nombre de foyers qui n’ont plus de ressources pour survivre. Cette chute provient de l’arrêt de l’activité touristique, de restauration et de plusieurs petits métiers qui ne trouvent plus de clientèles. L’activité du BTP souffre elle aussi.
En contrepartie, et pour la première fois dans l’histoire de la Tunisie, le nombre de femmes en activité a dépassé le seuil symbolique d’un million à 1 010 800. Ces dernières ont gagné 60 500 postes sur la période. Pourtant, les industries qui emploient la gent féminine sont en difficulté, à l’instar du Textile. Une explication plausible à ce phénomène serait la stratégie suivie par les entreprises. Après la crise, ces dernières sont en train de remplacer la main d’œuvre masculine par celle féminine. Bien que nous soyons dans un pays qui prône l’égalité des salaires, ce n’est pas toujours le cas dans le secteur privé.
Le resserrement des conditions économiques a poussé les PME à réduire leurs masses salariales à travers une proportion plus importante de la main d’œuvre féminine. Les femmes acceptent une rémunération moins importante pour plusieurs raisons, essentiellement la recherche d’un minimum d’indépendance financière. Cela peut également découler de la structure des nouveaux diplômes, largement féminisée. Ce n’est donc pas nécessairement mauvais car cela implique un taux d’encadrement plus élevé, et une réallocation des rémunérations vers un effectif réduit contre des investissements en outils de production. Cette évolution ne permet toujours pas d’équilibrer entre les hommes et les femmes en matière de taux de chômage.
Les femmes sont toujours à 23,8% contre 15% seulement pour les hommes. Elles rencontrent plus de difficultés pour décrocher un poste. Les femmes, qui ont un niveau d’études moyen largement supérieur à celui des hommes, ne peuvent pas accepter des emplois qui ne correspondent pas à leurs niveaux intellectuels. Cependant, les hommes disposent d’une plus grande flexibilité car l’économie tunisienne offre essentiellement des emplois nécessitant une qualification moyenne et qui correspondent plus à des profils masculins.
La croissance ne crée plus d’emplois
Sur les dernières années, il est difficile de suivre la tendance de création d’emplois générés par 1% de croissance économique. La meilleure performance est à mettre à l’actif de 2019, où chaque point de pourcentage de croissance a généré 65 333 postes. Pour rappel, cette année correspondait à la meilleure saison touristique dans l’histoire de la Tunisie et la meilleure récolte d’olives, créant ainsi un nombre élevé d’emplois saisonniers.
En 2018, c’était plutôt 9 517 postes. En 2020, chaque 1% de décroissance correspond à 15 125 postes perdus. En 2021, la situation est encore pire car chaque 1% de décroissance nous a coûté 45 567 postes. Cela montre que c’est très difficile de remonter la pente à court terme. Les moteurs de croissance capables de résorber le chômage sont le tourisme et l’agriculture, ce qui ne sera malheureusement pas le cas cette année. Même le second trimestre, qui serait nécessairement positif grâce à un effet de base favorable, ne permettrait pas de créer autant d’emplois détruits.
Nous sommes dans une situation où la croissance ne crée plus d’emplois, la pire des situations. La clé est la productivité. En fait, la croissance économique n’a jamais été à elle seule le moteur de création de postes d’emploi productifs, mais cela dépend aussi de la productivité de travail, qui génère plus de revenus, donc d’investissements et de nouveaux postes. La recette est claire : si nous voulons donc créer plus d’opportunités de travail, il faut que nous œuvrions plus.