Afrobarometer, l’organisme d’enquête citoyenne africain, a mené une enquête sur 12 pays en 2020 afin de mesurer l’évaluation de l’application des ODD par les citoyens
L’enquête d’Afrobarometer en Tunisie est sans appel : selon les citoyens tunisiens, 10 des 12 Objectifs de Développement Durable (ODD) des Nations Unies sont perçus comme étant moins appliqués qu’en 2018. Cependant, la Tunisie est classée première en 2020 en Afrique dans la réalisation des ODD. Les résultats tunisiens sont plutôt mitigés par rapport aux autres pays africains, ce qui révèle des avis peu tranchés et une indécision.
Les résultats de l’enquête ont été étudiés lors d’un webinaire qui s’est déroulé lundi sous la modération de Youssef Meddeb, instigateur national d’Afrobarometer en Tunisie, avec la présence de Dhane Zgoulli Mouna, conseillère à l’Institut des Statistiques de l’Union Africaine, Valérie Traore, fondatrice et directrice exécutive de Niyel et Richard Houssessou, chargé de projet Afrique francophone d’Afrobarometer.
Afrobaromètre est un projet d’enquête et de recherche, non partisan, dirigé en Afrique, qui mesure les attitudes des citoyens sur la démocratie et la gouvernance, l’économie, la société civile, et d’autres sujets. Sept rounds d’enquêtes ont été réalisés dans jusqu’à 39 pays entre 1999 et 2021. Le siège se trouve au Ghana. Les 12 pays étudiés lors de ce round sont : le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Gabon, la Guinée, le Mali, le Maroc, le Niger, le Sénégal, la Tunisie et le Togo.
Les résultats de la Tunisie et du Maroc
Youssef Meddeb remet en perspective les résultats : “Ces ODD sont faits pour améliorer la situation. Les résultats ne sont pas là pour contredire ce que disent les instances officielles. S’il y a du vert et du rouge, la couleur signifie une évolution positive ou négative d’un round d’enquête à l’autre. Cela ne signifie pas que la situation est meilleure dans un pays plutôt qu’ un autre.”
Pour l’ODD 1, pas de pauvreté, 31% des Tunisiens vivent la pauvreté en 2020 contre 28% en 2018. L’ODD 2, de faim “zéro” connaît une triste évolution : en 2018, 80% ne ressentent jamais la faim et 5% la ressentent plusieurs fois/toujours. En 2020, ils sont 5% de moins, soit 75% à ne jamais ressentir la faim, et 3% de plus, soit 8%, à la ressentir plusieurs fois/toujours.
Nos voisins marocains ressentent moins la pauvreté et la faim et la perception est meilleure en 2021 qu’en 2018. Ils sont 19% à ressentir la pauvreté et 2% seulement à ressentir la faim plusieurs fois/toujours, avec 85% à ne jamais la ressentir.
La Tunisie a une meilleure perception que le Maroc en ce qui concerne l’ODD 4, à savoir l’éducation de qualité, la parité dans l’éducation, l’ODD 5 pour l’égalité entre les sexes et particulièrement la prise de décision financière et l’ODD 16 où les Tunisiens ont versé moins de pots-de-vin pour obtenir des services publics que les Marocains avec 14% en 2020.
L’évolution des ODD entre 2018 et 2020/2021
Certains pays se sont généralement améliorés depuis 2018. Il s’agit du Maroc, du Togo et du Burkina Faso. Le Bénin, le Cameroun, le Niger et la Tunisie ont une perception moins bonne qu’en 2018. Le Mali est mitigé. La Côte d’Ivoire est majoritairement rouge, avec une tendance à la moitié-moitié. Le Gabon est l’un des rares pays à avoir atteint l’ODD d’égalité des sexes. La Guinée est mieux en matière de réduction de la faim. Pour l’ODD 16, la corruption est perçue plus basse, il y a une réduction du chômage et une réduction de l’écart entre les sexes.
La tendance générale des pays africains va vers le rouge. Les ODD étant lancés en 2015 pour être atteints en 2030, nous sommes presque à mi-chemin de leur réalisation.
La fiabilité des données et les consignes pour l’avenir
Dhane Zgoulli résume : “Le premier constat est que la dominance va vers le rouge. L’Afrobarometer mesure la perception du citoyen. Les ODD visent à faciliter la vie au citoyen et réduire les inégalités. Le citoyen n’est pas satisfait des politiques de développement du pays. Il faut faire une comparaison entre la perception des citoyens et les chiffres officiels pour voir la différence.” Elle conseille de mettre en place une politique de développement avec une “coordination de l’ensemble des acteurs : exécutifs, parlementaires, gouvernements, société civile et secteur privé”. Elle insiste sur l’importance du suivi de ces politiques, pour assurer leur bonne mise en place
Traore remet en cause la fiabilité des données officielles : “La plupart des données que nous avons sur les conditions de vie de la population ne touchent pas au ressenti des gens puisque ce sont des données officielles. Pour percevoir le ressenti, il faut rencontrer les informations là où la population se trouve. Même les gouvernements, avec de la bonne volonté, font des estimations.” Comment passer des politiques au vécu ? “Il y a l’investissement participatif, budgétaire. Il y a tellement d’éléments liés à cela que c’est difficile à appliquer”
Richard Houssessou rejoint les autres panélistes sur les consignes pour l’avenir : “Cette rencontre devrait aider à toucher les citoyens par les résultats qu’elle montre. Il est important de mettre en place des stratégies gouvernementales efficaces pour améliorer la situation”