Avec la crise COVID est arrivée une vague de numérisation généralisée. Le monde est passé à la version numérique : télétravail, cours à distance, procédures administratives en ligne et explosion des outils de communication en ligne. Pourtant, la Tunisie accuse un retard par rapport au reste du monde à ce niveau-là. Les Tunisiens, pour de nombreuses raisons, vivent encore beaucoup avec le papier et le présentiel.
L’Institut Tunisien des Études Stratégiques a publié mercredi la deuxième partie de son rapport “La Tunisie face à la Covid-19 à l’horizon 2025” avec pour thème “Le numérique pour renforcer les services administratifs et assurer le sauvetage de l’économie nationale”. Dans ce rapport, une partie est consacrée au facteurs de blocage à la numérisation.
Quelles sont les raisons ?
Le blocage que connaît la Tunisie sur le plan de la digitalisation ne peut être attribué à une seule raison. En effet, ce retard est le fruit de plusieurs facteurs que les auteurs de l’étude ont tenté d’identifier. À leur tête, on trouve le cadre légal et réglementaire de la commande publique qui ne favorise pas l’adoption du numérique comme pilier de la réforme administrative.
Vient ensuite la résistance au changement et le rejet de l’innovation. Également, le manque de conscience des apports du numérique par certains décideurs, le déficit de gouvernance du numérique dans le secteur public et la lourdeur de la mise en adéquation des cadres légal et procédural avec les nouveaux services numériques sont parmi les facteurs identifiés par l’ITES.
L’institut n’a pas également manqué de citer le manque de ressources humaines spécialisées actives dans les organismes publics, l’absence d’une politique nationale d’inclusion numérique permettant l’accès de toutes les catégories et classes sociales aux outils du numérique et, surtout, l’instabilité politique et organisationnelle des acteurs publics.
La faible motivation des organismes publics envers l’innovation et le numérique est un autre facteur clé de ce phénomène.
Des lois rétrogrades, une méfiance envers la nouveauté et un manque de compétences
Les lois touchant à l’administration mentionnent des expressions telles que “écrit à l’encre” ou “signature manuscrite”. Cela invalide les documents numériques et les signatures électroniques et obligent la personne effectuant la procédure d’utiliser des documents papier. Il faut changer les textes de lois dans ce sens, ce qui a été fait partiellement en 2020 en permettant aux pharmacies de délivrer des médicaments grâce à une ordonnance avec signature électronique du médecin.
De plus, la nouveauté est source de méfiance. La numérisation est présentée comme un outil de lutte contre la corruption, ce qui rend certaines personnes méfiantes devant la traçabilité de leurs actes. Les projets numériques nécessitent des investissements importants, sans forcément garantir de résultats au bout, ce qui est contraire à la politique d’obligation de résultats des entreprises publiques.
Certains projets, comme le paiement mobile, ont été utilisés lors du pic de la crise COVID en 2020 pour être ensuite abandonnés et pour revenir aux méthodes traditionnelles de paiement en présentiel.
Sans compter la fuite des cerveaux et le manque de recrutement dans les entreprises publiques lié à la crise économique actuelle. En effet, les jeunes préfèrent partir à l’étranger, et n’ont pas l’occasion de travailler dans le secteur public. Ce dernier se trouve privé de digital natives, qui sont à l’aise avec les nouvelles technologies et qui souhaitent aller vers la numérisation.
Concernant les marchés publics, les procédures sont lentes par rapport à la célérité des procédures numériques. Il est dit dans le rapport que “La rigidité des procédures et la difficulté de leur mise en adéquation avec les spécificités du secteur du numérique caractérisé, en particulier, par la rapidité de l’évolution technologique” est l’un des problèmes constatés. Cela entraîne une quasi-absence de projets numériques publics et des retards de paiement.
Qui est responsable ?
Il n’y a pas proprement de responsable à désigner. La tâche de la transition digitale échoit à une pléthore d’acteurs sans coordination entre eux : “L’un des principaux obstacles pour le développement du numérique dans le secteur public est certainement la multitude des organes concernés par le numérique à l’échelle nationale avec des missions similaires, voire redondantes”.
Tout le monde ne peut pas non plus avoir accès au numérique, par manque d’accessibilité ou de moyens. Lors du confinement et de la période des cours à distance, il a été choisi de ne pas donner de cours dans les écoles publiques plutôt que de donner des cours à certains et pas à d’autres. Il y a un important décalage entre les Tunisiens n’ayant pas accès à l’eau et à l’électricité dans les campagnes, et certains hyperconnectés des grandes villes. L’accès à un smartphone est, lui, l’outil qui a permis de fédérer en ligne la communauté tunisienne.