C’est le fruit de quatre ans d’écriture, quinze ans de développement et trente-cinq ans de réflexion. « Des managers, des vrais! Pas des MBA » est plus qu’un livre que vous pouvez avoir entre les mains, c’est un chef-d’œuvre qui risque de vous ouvrir les yeux et de changer votre regard sur le monde du Marketing.
À l’image de son titre déconcertant, l’écrivain Henry Mintzberg chamboule les percepts de l’enseignement du Master of Business Administration (MBA), et propose un regard critique du management au spectre de la théorie et de la pratique. C’est au carrefour de la rencontre des cinq écoles les plus renommées mondialement en management que le projet du livre est né: Université McGill (Canada), INSEAD (France), Lancaster (Royaume-Uni), Indian Institute of Management (Inde), Hitotsubashi (Tokyo) qui inclut le corps enseignant de plusieurs écoles du Japon.
Rompre avec le MBA classique
« Les MBA classiques ne forment pas les bons candidats, n’emploient pas les bonnes méthodes, et cela entraîne des conséquences graves », voilà comment Henry Mintzberg décrit avec ces mots dans la première partie du livre sa thèse de travail. Dans une approche pragmatique qui conjugue la théorie et la pratique, l’universitaire canadien en sciences de gestion s’appuie sur ces observations comme point de départ. Ainsi, tout le travail fourni dans les cinq cents pages du livre sert à répondre à la question : « Comment former des dirigeants par le biais d’un processus éducatif sérieux ? ».
Explorant les fondements sous-jacents à l’apport théorique de la science managériale, Mintzberg propose pour commencer d’en finir avec les MBA. Il considère qu’il est essentiel de dresser un véritable état des lieux qui coupe court avec l’image d’une science en pleine expansion à l’époque (début des années quatre-vingt-dix).
Manager est avant tout un métier qui s’apprend
Partant du postulat que « les entreprises sont des phénomènes complexes », Mintzberg extirpe le management du stéréotype réducteur qui affirme qu’il est une science ou une profession.
Pour lui, tout dirigeant doit savoir faire appel à la science, dans la mesure où le décodage des connaissances permet d’élaborer une certaine perception de la vérité basée sur la classification des faits. Par contre, le management comme concept doit être présenté comme une notion qui relève davantage du domaine artistique. Qualifié tantôt de « clairvoyance », tantôt « de savoir-faire intuitif», le métier de manager appelle le pouvoir de l’action qui doit précéder celui de la réflexion.
C’est de la sorte que l’écrivain conçoit la consécration du management au spectre de la trinité suprême qui réunit à la fois la rencontre de l’art, du métier mais aussi de la science. Toutefois, l’enseignement du management tel que pratiqué dans le MBA produit selon lui des professionnels aux compétences déséquilibrées avec deux archétypes néfastes : le manager calculateur et le manageur héroïque.
« Des managers, des vrais ! Pas des MBA » explique qu’être manager c’est exercer avant tout une profession qui relève de l’acquis et d’un arsenal de connaissances codifiées. Ancré dans les pratiques de la vie quotidienne à l’image du médecin, ou de l’ingénieur, le manager à son tour doit renforcer au fil du temps sa capacité d’adaptation dans l’exercice de jugement, de prise de décision et de responsabilité.
L’innovation au carrefour de la réflexion
Pour l’écrivain, le MBA qui est né en 1900 à Dartmouth College (États-Unis) a été le premier à offrir une formation en maîtrise de gestion mais a connu, certes, un mauvais départ. Mintzberg affirme que le fossé entre la théorie enseignée par les universitaires et la pratique au sein des entreprises a fait grandir considérablement la crise mettant de côté toute une génération de dirigeants dépassés par les événements. Emprisonné dans son caractère binaire, le management orbite dans une sphère universitaire étanche qui gravite autour d’un astre unique celui de la dégradation au pluriel: celle du processus éducatif, de la pratique managériale, des institutions mais aussi des organisations.
C’est pour cela que Mintzberg exprime son désir de créer un point de rencontre inclusif qui laisse de la place à l’innovation. Dans ce sens, l’universitaire canadien souligne que le management vacille entre deux courants: un premier qui opte pour la spécialisation dans les fonctions du business et un deuxième qui vote pour l’administration, au sens du management. En conséquence, «Des managers, des vrais ! Pas des MBA» creuse le fossé qui sépare les deux courants de pensée et opte pour la conception d’un master international de pratique de la gestion qui se situe au carrefour des réflexions.
Former dans la pratique
La formation des dirigeants s’appuie souvent sur une réflexion intelligente, et l’enseignement du management aurait tout intérêt à s’en inspirer davantage.
Henry considère que pour apprendre à assumer les responsabilités de direction, il faut préparer le cadre supérieur adéquat qui va former les dirigeants de demain.
Contrairement aux autres professions, le manager est appelé à mettre la main à la pâte parce qu’il fait partie du processus d’apprentissage. Il doit savoir contribuer au contenu de sa propre formation, que ce soit en lisant un livre, en suivant un cours ou en passant un diplôme, c’est avant tout une affaire de responsabilité personnelle et d’implication.
Pour être un bon manager, il faut évoluer aussi bien sur le plan théorique que sur le plan pratique. Ce parallélisme inhérent à l’esprit de l’exercice managérial est passé par plusieurs phases: de la formation sur le tas à la formation dans l’université, l’apprentissage par l’action et la formation dans les universités d’entreprise est essentiel à la construction de tout leader. C’est d’ailleurs cette question de l’apprentissage qui divise incontestablement les spécialistes.
Quand Morgan W. McCall affirme que « les enseignements que l’on tire de l’expérience jouent un rôle crucial dans la formation des managers », Ohlott se penche du côté des recherches qui prouvent que les dirigeants « considèrent leur expérience professionnelle comme la première source à laquelle ils ont puisé pour apprendre leur métier ». C’est pour cela que Mintzberg se positionne du côté de la rencontre des deux afin d’ouvrir les perspectives du domaine managérial.
Le mentoring ou l’art de la transmission de maître à élève
Dans le livre « Des managers, des vrais ! Pas des MBA », Henry M. Boettinger, en 1975, dans la Harvard Business Review, s’attaque à la question dans un article qui s’intitule « Is Management Really an Art ? » pour prouver l’efficacité du mentoring comme méthode de transmission du savoir. Que vous l’appelez mentor, coach, ou modèle selon les recherches de Boettinger, le mentorat transforme l’apprentissage de tout individu en un processus social qui a tendance à accroître l’efficacité. Si le mentorat existe depuis longtemps de façon aussi bien informelle que formelle, Boettinger affirme le déclin croissant du mentorat en interne.
De ce fait, nous assistons souvent à une explosion du nombre de coachs et de mentors qui vendent leurs services, personnellement, aux managers. Pour prouver l’efficacité de sa théorie, Boettinger prouve l’importance de l’apprentissage sur le terrain comme il l’a observé au Japon où les meilleures entreprises apprennent à leurs managers l’importance de prendre des risques et de faire des erreurs. Au pays du soleil-levant, il s’avère que les managers sont formés « par l’observation, l’écoute et la pratique, sous la férule de collègues plus âgés et plus expérimentés ».
Contrairement à cette conception collective du métier de manager, les États-Unis qui sont connus pour être un pays individualiste opte pour l’autodidactisme. En général, c’est une question de mesure et d’approche où l’aspect cognitif s’emmêle à la perception culturelle de la pratique managériale.
La théorie du leadership
Pour Mintzberg, être leader est une notion multiple. Il considère que si on veut parler de leadership alors il est préférable avant tout d’investir dans le capital humain et cognitif du manager. C’est en créant les conditions favorables à l’épanouissement qu’un leader s’imprègne des convictions et des valeurs qui forgent son leadership. Nous notons en l’occurrence les défis que propose McCall ou encore les cours de développement des capacités managériales qui aident dans la création d’un carnet d’adresses efficace, ou la maîtrise de la lecture des bilans économiques.
La théorie de l’Action learning
De l’Europe à l’Angleterre, en passant par la Belgique pour finir avec l’Amérique, les grandes écoles de management font appel à la technique de l’apprentissage par l’action « Action Learning ». Celle-ci alterne l’apprentissage du travail individuel et collectif dans la réalisation des projets pour donner aux leaders de demain le goût des responsabilités. En se basant sur ses observations du terrain converties en données palpables grâce à la réflexion, Revans, le maître du processus d’apprentissage par l’action, définit l’action learning comme « une méthode pratique qui se préoccupe d’encourager des personnes réelles à traiter des problèmes réels en temps réel ».
Dans ce sens, l’universitaire critique sévèrement les moniteurs qui selon son expérience ne s’impliquent pas dans la formation des étudiants en MBA réduisant ainsi le management à son aspect analytique uniquement. Sur cette même longueur d’ondes, l’Institut suédois MIL (Management in Lund) opte pour «l’apprentissage par l’action et la réflexion», où grâce au soutien d’un coach et de tout un réseau d’entreprises, des groupes d’étudiants conduisent des projets impliquant un changement dans d’autres services de leur propre entreprise ou dans d’autres sociétés. En effet, en Suède, l’approche adoptée est exhaustive et flexible. Elle est basée sur « la solution de problèmes » qui se distingue de celle de Revans par un aspect philosophique qui pousse les managers à la réflexion.
« Des managers, des vrais ! Pas des MBA » offre un nouveau regard sur le management et la pratique du leadership. C’est pourquoi dans son livre, Henry Mintzberg ainsi que toute son équipe poussent les managers d’aujourd’hui dans leur retranchement à la rencontre de ce nouveau regard de la profession managériale. Porté par cette cause qui crée un parallélisme inhérent à la conception de la notion de leadership, entre le savoir théorique et pratique situé au carrefour de la mondialisation, l’universitaire souligne l’urgence de changer «les agents du changement» pour former les managers de demain.