Aujourd’hui, l’économie sociale et solidaire constitue une alternative pour développer autrement. Il est donc difficile de promouvoir ce modèle économique sans pour autant engager les entrepreneurs sociaux. Rachid Abidi, Directeur du Laboratoire de l’Économie Sociale et Solidaire (Lab’ess) nous parle du rôle de l’ESS dans le développement local, les enjeux de l’implantation de l’ESS en Tunisie et les défis et stratégies de Lab’ess post-COVID-19.
Le Lab’ess est un incubateur tunisien de projets à impact social et environnemental. Pourriez-vous nous en dire plus sur votre domaine d’activité ?
Le Laboratoire de l’Économie Sociale et Solidaire (Lab’ess) est un espace d’innovation sociale dédié à la création et au développement des acteurs-rices de l’ESS en Tunisie. La mission du Lab’ess est double. D’une part, il forme, met en avant et accompagne les entrepreneur-es sociaux-ales et les organisations de la société civile tunisienne. D’autre part, de par son statut, il a un rôle de facilitateur puisqu’il fait en sorte de connecter les différent-es acteurs-rices (société civile, État et secteur privé) afin de créer des synergies favorables au développement des projets et à la reconnaissance de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) en Tunisie.
À l’échelle internationale, le Lab’ess est également rattaché au réseau d’incubateurs du Groupe SOS Pulse, le programme d’appui à l’entrepreneuriat du Groupe SOS, première entreprise sociale en France et en Europe. Ce réseau est composé d’incubateurs et d’accélérateurs à fort impact social et environnemental présents sur tous les continents. Des incubateurs comme Bidaya au Maroc, Le Comptoir à Paris ou encore Oribi en Afrique du Sud participent à la capitalisation de bonnes pratiques et d’expériences et la réalisation de projets en commun pour développer davantage l’entrepreneuriat social et les initiatives à impact positif.
L’ESS est considérée comme un modèle économique alternatif pour faire progresser le développement local. Quelles sont les opportunités qui en découlent pour les acteurs de l’ESS?
L’Économie Sociale et Solidaire représente une dynamique qui permet l’innovation sociale conduisant à un développement économique plus inclusif et plus durable. Elle constitue un levier pour la promotion du développement local et de l’emploi. L’ESS étant un modèle économique qui met l’humain au centre, elle permet donc d’équilibrer les inégalités économiques et sociales en offrant de nombreuses opportunités pour monter des projets d’utilité sociale et environnementale en faveur des territoires et donc pour les communautés locales.
En touchant des domaines très divers et transverses (l’agroalimentaire, la santé, l’éco-tourisme, l’éducation, le transport, la consommation responsable, etc), l’ESS offre une chance de travailler autrement en œuvrant pour l’intérêt général selon des valeurs telles que la solidarité et l’égalité.
Qu’en est-il des enjeux de l’implantation de l’ESS en Tunisie ?
Suite à l’adoption de la loi n° 2020-30 du 30 juin 2020 relative à l’Économie Sociale et Solidaire, nous avons aujourd’hui en Tunisie une définition du cadre de référence de l’ESS qui est présentée comme un modèle économique à part entière.
Cela constitue une avancée importante dans le secteur qui fait de la Tunisie le seul pays du Maghreb et du monde arabe à disposer d’une telle loi.
Il faut savoir aussi que l’ESS existe en Tunisie bien avant l’adoption de la loi. En effet, les premières coopératives et Sociétés Mutuelles de Services Agricoles (SMSA) ont été créées il y a 50 ans mais n’étaient pas identifiées ou considérées comme structures appartenant à l’ESS. Aujourd’hui, il s’agit de passer à la mise en œuvre de la loi afin que l’ESS se développe d’une manière structurée et pour que les structures existantes prennent conscience de leur rôle dans le développement économique et social de la Tunisie. La nomination d’un nouveau ministre de l’emploi (Youssef Fennira) sensible à la question de l’ESS peut laisser entrevoir — s’il est validé — des avancées significatives pour le secteur dans les prochains mois.
Dans la situation actuelle de crise sanitaire, quels sont les principaux enjeux pour garder le lien et soutenir les entrepreneurs sociaux ?
La vocation d’un entrepreneur social est d’apporter des solutions innovantes ou pas aux difficultés sociales et environnementales que rencontrent le pays. Toutefois, cette période, encore plus qu’avant, nécessite de maintenir le contact virtuel ou physique avec eux pour faciliter leur développement stratégique et opérationnel. Comme les autres entrepreneurs, ils sont seuls face à la charge de travail, aux décisions à prendre et à l’incertitude permanente. Avec les équipes du Lab’ess et un pool d’experts, nous avons accentué le suivi et l’accompagnement à distance pour répondre au mieux à leurs besoins techniques tout en facilitant les échanges entre pairs et l’écosystème. Malgré un mental solide, une grande envie d’avancer et d’avoir de l’impact, nous constatons aussi au quotidien qu’un soutien psychologique est pertinent. L’accès au financement reste un frein et, grâce à nos partenaires (UBCI, l’Ambassade de Finlande, Expertise France), nous avons pu mettre en place plusieurs dispositifs de financement adaptés à la phase d’amorçage des projets.
Quel est votre plan d’actions pour préparer les temps post-Covid ?
L’objectif, dans les mois à venir, sera de renforcer nos différents programmes d’incubation (accompagnement, formation, mise en réseau, financement) en faveur des étudiants, des entrepreneurs sociaux et des initiatives portées par la société civile dans de multiples secteurs d’activité grâce notamment aux moyens digitaux ainsi que des partenariats innovants pour optimiser notre impact au niveau national et dans la région MENA. L’année 2021 s’annonce comme un défi, en raison du contexte mais aussi parce que notre ambition est plus grande de vouloir redynamiser les territoires urbains et ruraux, améliorer les conditions socio-économiques des communautés locales, faciliter la transition écologique et contribuer à la structuration du secteur de l’ESS en Tunisie.