Cercle des financiers tunisiens
Le projet de loi sur le déplafonnement du taux d’intérêt est le sujet percutant qui a été débattu par le Cercle des financiers tunisiens. Des banquiers, des représentants du Conseil du marché financier (CMF) et des membres du Centre de formation technologique (CFT) sont venus en discuter les enjeux. Nul ne peut prétendre ne pas en être concerné!
Le projet de loi soumis à l’ARP le 23 mars vise à déplafonner le taux d’intérêt excessif. D’emblée, disons que le taux d’intérêt excessif est un taux de prêt annuel, qui excède au moment où il est consenti, plus du tiers le taux moyen pratiqué au cours du semestre précédent par les banques et les établissements financiers pour les opérations de même nature. Le projet assimilé à la doctrine de la Banque mondiale vise élever la marge du taux d’intérêt de 20% à 33% pour les particuliers en deux fois d’ici 36 mois et en deux ans pour les professionnels et les TPE(Très petites entreprises). Le taux sera complètement déplafonné pour les grandes, moyennes et petites entreprises.
Déplafonner : quel est l’enjeu ?
Nabil Chahdoura de UGFS défend la liberté de marché et estime qu’il faut laisser faire le jeu du marché qui mènera vers une sélection naturelle. « Le déplafonnement est d’abord une question de justice avant d’être une question financière pure », a-t-il avancé. Il a mis l’accent sur l’importance de catégoriser les clients sur la base de leurs qualités et de leurs profils. Les mauvais payeurs auront moins d’accès aux crédits et iront chercher l’investissement en capital. Il s’agit d’orienter les catégories vers la source de financement qui correspond à leur profil et d’intégrer la prime de risque dans les taux. Zied Masmoudi, chief risk officer à la BIAT confirme et s’interroge pourquoi libéraliser les ressources et non pas l’emploi . Revenant sur son expérience, il a signifié que s’il fallait prendre en compte le risque de défaillance des PME durant les premières années, il faudrait les marger à TMM+10, ce qui est impossible parce que le marché n’est pas profond.
Walid Jaafar responsable à la BIAT a réfuté partiellement cette liberté absolue du marché signalant en premier lieu un problème de priorité et de timing, rappelant que le pouvoir d’achat des citoyens est à bout de souffle. Revenant sur les deux grands modèles dans le monde, il a mentionné que le régulateur tunisien pourrait s’inspirer du modèle français et du modèle italien qui protègent une catégorie de clients, notamment les particuliers qui ne détiennent pas un réel pouvoir de négociation. L’autre modèle, allemand, est basé sur la jurisprudence : c’est aux tribunaux de juger si le taux est excessif ou pas. Jaafar signifie qu’au jour d’aujourd’hui notre système judiciaire n’est pas prêt à ce type de mission. D’un autre côté, il a soulevé le problème de certaines banques qui considèrent que leur part de marché n’est pas conforme à leur potentiel, ce qui peut gonfler les crédits non performants.
Abdelkader Boudriga s’inscrivant totalement dans la logique d’intégrer le risque client a soulevé la question de l’hétérogénéité du système bancaire : « entre banques privées et banques publiques, la réalité des systèmes d’informations et de la structure du portefeuille n’est pas du tout la même », a-t-il précisé.
Quels prérequis ?
Pour maximiser les chances de succès de l’intégration du risque dans les taux, Nabil Chahdoura a insisté sur l’importance du rating et du scoring afin de pouvoir catégoriser les différents clients. Walid Jaafar est allé même plus loin soulignant qu’il faudrait d’abord commencer par adopter un système de notation interne, ensuite penser à déplafonner le taux d’intérêt et à intégrer une prime de risque qui couvrirait les pertes attendues. Et d’insister: « Autrement des PME de bonne qualité pourraient être sanctionnées ». Mohamed Fehri responsable reporting &taxes à l’UIB a insisté sur la nécessité de discipliner le marché pour éviter les abus. Quand bien même le législateur a prévu une sanction qui va de 3000DT à 6000DT et/ou six mois d’emprisonnement, il a suggéré que les banques en dépassement devraient faire l’objet de publications dans le rapport de supervision pour le marché.
Banque islamique, banque conventionnelle est-ce le même traitement ?
Le texte ayant évoqué le gain excessif, la question s’est automatiquement posée si la marge était la même pour le système conventionnel et le système islamique. Serait-il question de créer deux compartiments ou bien deux produits dans un même marché sachant fort bien que ce dernier manque de profondeur. Abdelkader Boudriga a précisé que dans le premier cas, il faudrait un cadre réglementaire dédié à la finance islamique. Nabil Chahdoura a mentionné que l’équilibre se fera par une fenêtre islamique dans les banques conventionnelles. La question de la pertinence du calcul du taux moyen a été évoquée sachant que le marché contient trois banques, dont une détient 80% de part de marché.
Et la TPE dans tout cela ?
Les intervenants ont salué le caractère progressif du déplafonnement, il n’en reste pas moins qu’ils se sont accordés sur le fait que le texte n’a pas du tout contribué à faciliter le financement des TPE, pour ne pas dire qu’il y a eu pour elles un effet d’éviction . Ils ont proposé de commencer le déplafonnement avec les grandes entreprises pour protéger les PME et les TPE. « Si la grande entreprise ne trouve pas de financement ou qu’elle le trouve onéreux, qu’elle se dirige vers le marché obligataire et qu’elle le dynamise», a convenu Nabil Chahdoura. Et pour conclure, les membres du CFT ont proposé de permettre une flexibilité pour l’échéance de calcul et que cette dernière soit fixée par décret.