Une enquête nationale intitulée «L’impact de la pandémie du Covid-19 sur les activités économiques des femmes cheffes d’entreprises tunisiennes » a été présentée le 6 août à l’UTICA. Réalisée en collaboration avec l’Organisation internationale du travail (OIT), cette étude a été élaborée sous forme d’un questionnaire en ligne, envoyé au réseau des adhérentes de la Chambre Nationale des Femmes Chefs d’Entreprises, les fédérations professionnelles de l’Union Tunisienne de l’Industrie du Commerce et de l’Artisanat (UTICA), le réseau des chambres régionales des FCE et au réseau professionnel et associatif. Leila Belkhiria Jaber, Présidente de la CNFCE, est revenue sur les principaux résultats de cette enquête et sur les défis à relever pour les femmes cheffes d’entreprises, suite à la crise du Coronavirus.
Quels sont les principaux résultats révélés par cette enquête ?
Nous avons réalisé cette enquête auprès de 170 femmes cheffes d’entreprises, tous secteurs et dimensions confondus : des PME jusqu’aux entreprises les plus grandes. Nous avons essayé d’identifier l’impact de la Covid-19 sur ces entreprises. Cette étude a révélé des résultats forts intéressants. On peut citer, par exemple, le fait que 40 femmes cheffes d’entreprise constituent la seule source de revenus de leur famille, 82% des FCE ne sont pas satisfaites des mesures exceptionnelles prises par le Chef du gouvernement ; 77% des entreprises sondées ont déclaré une perte de revenus ; 32,9 % des entreprises sondées comptent modifier leurs méthodes de gestion. Les chiffres parlent d’eux même, la Covid-19 a considérablement impacté le tissu économique tunisien. Et pour preuve, des entreprises sont menacées de fermeture et d’autres ont déjà fermé.
Quels sont les principaux secteurs d’activités touchés ? Pourquoi ?
Tous les secteurs ont été touchés, mais à des degrés différents. Pour le secteur des services, c’est essentiellement l’événementiel et le consulting qui ont été le plus menacés. Contrairement au secteur de l’artisanat où les femmes pouvaient vendre leurs produits à n’importe quel moment, celui des services, limité par les bannières du confinement, a fait en sorte que certaines femmes n’ont eu aucun revenu durant cette pandémie.
Quels ont été les principaux défis auxquels ont été confrontées ces femmes durant la crise ?
Le principal défi est tout d’abord, de pouvoir garder leurs employés, les rémunérer, assurer leurs charges fixes et minimiser leurs pertes. Certaines FCE sont arrivées à changer leurs modèles économiques en bouleversant leurs canaux de distribution et en s’orientant vers le digital. D’autres, par contre, n’ont pu ni payer les frais de CNSS, ni payer leurs impôts, encore moins assurer les salaires de leurs employés, ni vendre quoi que ce soit. Il s’agit donc de posséder une trésorerie qui offre à ces entreprises les moyens de survivre !
Parlez-nous des mesures envisagées par les entreprises après la crise de la Covid-19, notamment pour le 1/3 des femmes cheffes d’entreprises interrogées et qui représentent le seul soutien de famille ?
Lors de la présentation de cette enquête au niveau de la CNFCE, l’objectif n’était pas uniquement de donner des statistiques, mais de présenter des solutions concrètes. La première solution était la mise en contact durant cette journée organisée le 6 août, avec tous les intervenants pouvant aider les femmes pour face à cette crise. Au niveau du gouvernement, on a invité le ministère des Industries et des PME car il possède la plateforme permettant aux entreprises de déclarer qu’elles sont en difficulté. De plus, on a invité le ministère des Affaires Sociales, garant de la CNSS et le ministère des Finances à qui revient la charge de trouver des solutions relatives à la fiscalité. On a également invité une représentante des banques qui a mis en place des produits financiers « spécial Covid-19 » pour venir en aide aux entreprises impactées par cette pandémie.
En tant que CNFCE, notre rôle a été de faire ressortir la composante «femmes cheffes d’entreprises » afin de l’adapter à ces solutions globales. On a aussi mis en place une cellule d’écoute. Elle aura comme principales fonctions de venir en aide aux entreprises en difficulté aussi bien au niveau social que technique. Cela a été possible grâce à l’appui de l’organisation internationale du travail qui nous a donné des outils pour être à l’écoute de ces femmes cheffes d’entreprises et leur trouver des solutions. On a décidé que nous allons commencer par l’échantillon des 40 entreprises considérées comme seule source de revenus pour leurs familles. Ceci dit, la cellule d’écoute est permanente et sera proposée ultérieurement aux autres entreprises. La deuxième mesure a été d’aller vers les différents intervenants cités auparavant et de négocier avec eux des solutions qui répondent aux besoins des CFE. La troisième mesure a été de créer une convention avec une entreprise de logistique qui permettra des opérations d’exportation regroupées. En effet, nous avons constaté que certaines entreprises ont arrêté d’exporter leurs produits vu le coût très élevé qui leur incombe.
Dans quelle mesure cette crise a constitué une opportunité pour les femmes cheffes d’entreprises suite à cette pandémie ?
Si l’entreprise est déjà digitalisée, elle aura de nouvelles opportunités en pouvant utiliser les réseaux sociaux et autres canaux de distribution numériques. Dans le cas contraire, la situation pandémique a été une opportunité pour ces femmes, afin de se former et commencer à élaborer une stratégie de transformation digitale. La crise a été également l’occasion pour nous d’échanger les expériences entre les différentes FCE. Grâce à l’encadrement de la CNFCE, des solutions communes ont été trouvées. En tant que chambre, on est en train d’engager une réflexion en profondeur concernant notre modèle économique actuel. Cela va nous permettre de prendre des décisions pour changer, nous adapter et pouvoir nous introduire dans de nouveaux marchés aussi bien locaux qu’internationaux.
Quelles sont les principales recommandations du CNFCE suite à cette enquête ?
Le problème qu’on a rencontré, c’est que les conditions exigées par le gouvernement pour bénéficier des avantages et privilèges décidés dans les mesures exceptionnelles, sociales et fiscales étaient irréalistes et ne correspondent pas à la réalité des femmes cheffes d’entreprises. Comme recommandations, nous souhaitons un assouplissement des impôts et différentes charges sociales et fiscales : prolongations de délais et des délais de grâce pour le paiement de la CNSS, répartition de ces charges selon un nombre réaliste qui aident les PME à sortir de cette crise etc. Concernant les organismes financiers privés, nous souhaitons qu’ils donnent la possibilité à ces femmes de renflouer leur trésorerie en leur octroyant des délais de grâce par rapport au remboursement et en leur faisant bénéficier de taux d’intérêts avantageux. Dans ce sens, nous avons signé une convention avec le ministère de la Femme, afin qu’il y ait une garantie spéciale femmes cheffes d’entreprises auprès des banques. Ceci va également nous permettre d’adhérer au nouveau programme du ministère de la Femme qui concerne les entreprises en développement. Il s’agit d’une forme de garantie fournie par la SOTUCAV qui permet un quota de crédits destiné au FCE dans les organismes financiers.
Comme dernière recommandation, nous souhaitons voir dans la stratégie des politiques nationales et des entreprises, un processus de digitalisation pour faciliter l’accès aux moyens de paiement numériques et un renforcement des compétences.
Quelles sont les pratiques à suivre par les entreprises dans les prochains mois si la crise se poursuit ?
L’enquête n’a fait que renforcer notre vision que la pandémie allait se poursuivre et qu’il fallait prendre des mesures spécifiques. Il faut savoir que cette crise existait depuis 2011 d’un point de vue économique et social. Cela dit, la Covid-19 n’a fait que rendre plus fragile les entreprises. L’impact de cette crise est prévu pour au moins une ou deux années. Face à ce constat et pour la sauvegarde de ce tissu entrepreneurial féminin, nous avons prévu un programme qui s’étale sur trois, voire cinq ans !