Dès l’apparition du Coronavirus en Chine, le débat sur la “diversification” des chaînes d’approvisionnement a été déclenché. Pour plusieurs pays, notamment la Tunisie, il s’agit d’une opportunité en or pour re-capter une partie des marchés accaparés par la Chine.
Un rêve sans fondements ? Pas vraiment. À en croire une étude réalisée par EY fin mai auprès de chefs d’entreprise européens, un mouvement de relocalisation massive des chaînes de valeur est en préparation. La destination préférée des chefs d’entreprise européens ? Pour 83% d’entre eux, il s’agit de destinations de nearshoring “en dehors de l’UE” d’après l’étude présentée lors d’un webinar organisé par EY Tunisie. “Les entreprises européennes veulent généralement éviter d’installer leurs centres de production dans des marchés complexes tels que l’Europe de l’Ouest”, a signalé Marc Lhermitte, partner EY Paris. “Cette complexité a un impact sur le coût et, donc, sur la compétitivité des entreprises”, a-t-il expliqué.
Relocaliser, mais comment ?
Pour Mounir Ghazali, cette régionalisation pressentie des supply chains industrielles “est un gisement de croissance potentielle à moyen et à long termes” non seulement pour la Tunisie, mais aussi pour tous les pays de la rive sud de la Méditerranée. L’expert s’attend à la relocalisation de l’équivalent de 10% des exportations chinoises vers les pays de la région. “Cela représente 50 milliards de dollars, soit un marché adressable additionnel de 28% pour les pays du sud de la méditerranée”, a-t-il souligné.
Mais la tâche est loin d’être facile, prévient l’expert. D’abord, la concurrence parmi les pays de la région sera acharnée et tous les pays déploieraient tous les outils à leur disposition pour pouvoir attirer le plus d’investissements possible. Toutefois, face à la crise, les critères de choix de localisation pour les investisseurs ont, eux aussi, changé. C’est ce qu’a dévoilé au fait l’étude EY.
Ainsi, pour 80% des investisseurs sondés par EY, le premier critère de sélection des investisseurs est le poids des mesures de relance déployées par les gouvernements et leur impact sur l’économie. Le second critère de sélection, cité par 71% des sondés, est le niveau d’adaptation des nouvelles technologies parmi les citoyens mais aussi les administrations du pays. La compétitivité du pays en termes des coûts n’arrive qu’à la dernière position avec … 13% des réponses.
Pour améliorer les chances de la Tunisie à attirer ces investissements, le gouvernement peut user d’une arme secrète : les investisseurs étrangers déjà installés en Tunisie. Au fait, la majorité des investissements étrangers directs en Tunisie concerne des extensions, a souligné Slim Azzabi, ministre du Développement, de l’Investissement et de la Coopération Internationale. “La bonne nouvelle : les investisseurs étrangers installés en Tunisie sont confiants en la capacité du pays”, a indiqué le ministre. “La mauvaise nouvelle : nous ne sommes pas capables de ramener de nouveaux investisseurs dans le pays”. Pour combler ce gap, il prévoit donc de faire participer ces investisseurs satisfaits dans les prochains roadshows qu’organisera la Tunisie afin qu’ils puissent convaincre leurs concitoyens de la viabilité du site Tunisie.
Pragmatique, Slim Azzabi, ministre du Développement, de l’Investissement et de la Coopération Internationale, a mis l’accent sur l’importance de mettre en place “un deal gagnant-gagnant”. Pour le ministre, la Tunisie doit focaliser sur une coopération basée sur la coproduction “qui peut être vue comme moins hostile et plus simple à vendre”, a-t-il indiqué. Aussi, le ministre prévient que le travail est loin d’être simple comme le pensent certains. “Pour chaque pays, il faut recenser les entreprises qui souhaitent relocaliser leurs activités et dresser le tableau des avantages compétitifs dont jouit la Tunisie”, a-t-il expliqué. Mais cela n’est qu’un premier pas : “Les ministres doivent faire du porte-à-porte pour convaincre les entreprises à s’installer en Tunisie”, a-t-il indiqué.
La saison du shopping
Une autre opportunité se présente aux entreprises tunisiennes grâce à la crise, note encore Ghazali. Avec la crise, note l’expert, un grand nombre d’entreprises européennes sont en difficulté : au UK, plus de 33% des firmes sont en défaut de paiement. Ce taux est de 11% en Allemagne. “Les entreprises tunisiennes peuvent aller faire du shopping en Europe”, a-t-il dit. Cette situation permettrait aux entreprises tunisiennes d’établir des bases avancées au niveau des marchés cibles. “C’est l’étape manquante dans l’optique de la montée en gamme de l’industrie tunisienne”, a souligné Ghazali. Au fait, cette étape permettrait aux industriels tunisiens une meilleure intégration, aussi bien en amont (R&D, conception, … ) qu’en aval (logistique, SAV, …).
C’est le cas par exemple de Misfat : “Nous avons acquis en 2009 une entreprise française à 6 millions d’euros et nous y avons investi plus de 10 millions d’euros”, a indiqué Amine Ben Ayed, directeur général de Misfat Tunisie. “À l’époque, tout le monde avait prédit la disparition du secteur”, s’est-il rappelé. Non seulement ces prédictions n’étaient pas véridiques mais en plus, d’après Ben Ayed, cette acquisition a permis au spécialiste des filtres de quadrupler son chiffre d’affaires en France. Le secret de cette réussite ? “Un rééquilibrage des fonctions qui nous a permis d’être plus compétitifs que les asiatiques et les turcs”, a indiqué Ben Ayed. “Nous avons transféré les fonctions de back office en Tunisie, alors que la fabrication se faisait en France”, a-t-il expliqué.
Amine Ben Ayed a appelé également à faire valoir les avantages de la Tunisie en termes de compétences. “En Tunisie, il existe des entreprises spécialisées dans la maintenance des imprimantes 3D et même dans la programmation des robots que nous utilisons dans notre chaîne de production”, a-t-il souligné. “Ceci est loin d’être le cas pour plusieurs autres marchés dans lesquels nous sommes présents”.