Le tourisme est certes l’un des principaux secteurs à avoir été touché de plein fouet par le Covid-19 tant au niveau national qu’international. Face à l’annulation des séjours, des congrès, des séminaires et autres événements, les établissements hôteliers souffrent gravement de la situation sanitaire qui a ravagé tous les baromètres du secteur. Leurs activités qui sont à l’arrêt presque total a fait naître des craintes quant à la continuité des activités estivales qui risquent d’être suspendues pour des mois. Anis Meghirbi, Corporate DOSM Seabel Tunisia Hotels, n’a pas caché, dans cette interview accordée au Manager, ses craintes quant à la capacité des établissements hôteliers à s’adapter à cette situation inédite. Sauver le secteur nécessite, selon lui, des décisions fermes et claires.
Les salaires du mois d’avril des employés du groupe versés, les dirigeants ne sont pas au bout de leur peine. « La question qui se pose à l’heure actuelle est : est-ce que les hôteliers ont assez de poumons pour résister encore pour les deux ou les trois mois à venir ? », s’interroge Anis Meghirbi.
Face à une situation inédite notamment à l’échelle internationale, la date de la reprise des activités touristiques demeure encore indéterminée. Avec le déconfinement général progressif mentionné, il y a quelques jours par le Premier ministre, Elyes Fakhfakh, la relance des activités économiques dans le pays passera par plusieurs étapes, encore faut-il savoir si les hôtels tunisiens y prendront part. « Il nous faut beaucoup de temps avant de revenir à la période avant Covid. Il ne s’agit pas d’une machine à brancher et qui sera opérationnelle dans 24 heures mais plutôt de tout un processus à suivre minutieusement et dans le moindre détail afin de gagner l’étape de la reprise », a fait remarquer Meghirbi.
Ayant déjà vécu deux crises, la première qui datait de la Révolution de 2011 et la deuxième lors de l’attentat terroriste qui a eu lieu dans un hôtel à Sousse en 2015, la crise sanitaire due au Covid-19, est la plus grave pour le tourisme en Tunisie, selon Meghirbi. Cette situation inédite aura certes des conséquences dures sur les activités des établissements touristiques dans le pays. La date de la relance du secteur sera, quant à elle, incertaine. « Le seul point positif dans cette situation par rapport aux deux crises précédentes, c’est que tous les établissements hôteliers dans le monde seront au même pied d’égalité lors de la relance des activités touristiques dans le pays», a expliqué le Corporate DOSM de Seabel Tunisia Hotels. Une situation pour le moins réconfortante, encore faut-il que ces établissements élaborent un plan de relance efficace et solide.
Des mesures sanitaires exceptionnelles pour la reprise des activités
Face à la baisse vertigineuse des réservations dans les hôtels, les questions qui demeurent jusqu’à nos jours sans réponse claire sont: les Tunisiens pourront-ils partir en vacances cet été et vont-ils pouvoir re-fréquenter les hôtels comme avant ? En effet, assurer une reprise réussie et ramener de la clientèle qui sera essentiellement regardante sur les nouvelles procédures sanitaires adoptées lors de l’après-Covid serait un vrai défi pour les établissements hôteliers dans le monde et notamment en Tunisie. Selon Anis Meghirbi, aujourd’hui, stimuler l’activité dans son hôtel est tributaire de trois éléments majeurs : la situation sanitaire en Tunisie, la situation dans les principaux marchés émetteurs de la Tunisie, essentiellement le marché européen et la capacité des hôtels en Tunisie pour une réouverture dans deux ou trois mois ?
Le Corporate DOSM de Seabel Tunisia Hotels relève, ainsi, l’importance de mettre en place des mesures sanitaires exceptionnelles afin de regagner la confiance de sa clientèle et de gagner le processus de la relance des activités en toute souplesse et efficience. « C’est tout un système qu’il faut établir et qui comprend la formation des employés, le port des masques, l’interdiction des queues… », a-t-il expliqué. Et d’ajouter que « avec des hôtels balnéaires à grande capacité qui optent généralement pour la formule All-Inclusive, il est important de repenser d’autres formules ou de réviser d’autres formes pour le All-Inclusive permettant de respecter la distanciation, comme pour la mise en place des tables, la diminution de la capacité des couverts, multiplier le nombre de personnels au niveau du buffet pour servir les clients, interdire aux clients de se servir seul et opter pour la formule à la carte ».
Préserver le personnel, une priorité
Prendre des mesures sanitaires exceptionnelles pour satisfaire sa clientèle ne semble qu’être une paire de manches pour réussir une reprise des activités sans risques. Préserver le personnel et les employés de son établissement demeure également un défi à remporter sans défaillance notamment en cette période de basse saison, comme la surnomme les spécialistes du secteur. Selon eux, c’est « la pire période de la trésorerie», que dire si elle se joint à une crise sanitaire mondiale. Dans ce sens, Meghirbi propose d’héberger ses équipes, au moins pendant une quinzaine de jours, lors de la reprise des activités de ses hôtels. « Il est important de penser à la santé de ses équipes qui, en rentrant chez eux, risquent d’attraper la maladie en fréquentant les gens ou en empruntant le transport public », a-t-il expliqué. Et d’ajouter «Nous avons, jusqu’à aujourd’hui, assuré le bien-être de nos employés sur tous les plans. Nous n’avons pas encore fait recours au chômage technique mais il est possible que nous allons opter pour cette alternative notamment si l’arrêt des activités va encore perdurer».
Un label pour rassurer nos clients et nos partenaires
Faire face, seul, à cette situation critique ne semble pas être suffisant. L’Etat a également son rôle à jouer pour prendre des mesures particulières aidant le secteur à réorganiser son mode de fonctionnement. « Il nous sera difficile de penser à augmenter nos tarifs dans un contexte économique pareil, ainsi l’Etat doit agir », a exprimé Meghirbi. Et de préciser que «Singapour, par exemple, a déterminé sept critères pour les hôtels pour qu’ils aient le label qualité et hygiène.
C’est une décision qui doit être prise et contrôlée par l’Etat afin de s’assurer de son application. Il est important de mettre en place un label national qui émane du ministère du Tourisme qui prendra la charge de contrôler toutes les institutions concernées ». Il explique que le label ne peut pas être fait au niveau du groupe hôtelier, car son étendue doit dépasser l’hôtellerie pour inclure l’accueil à l’aéroport mais aussi le transport. « Nous avons besoin pour une fois d’une décision claire, franche et directe de la part des preneurs de décisions. Camoufler la vérité et tourner le dos au modèle de travail actuel ne sera que contraignant pour la relance du secteur», a ajouté Meghirbi. Il se dit confiant car pour une fois, le chef du Gouvernement, ancien dirigeant d’entreprise, fût déjà confronté aux réalités du secteur lorsqu’il a été à la tête du ministère du Tourisme par gros temps post révolution et que l’actuel ministre fût un excellent professionnel.
Les grandes transformations se font en temps de crise. Repenser le secteur, mettre l’accent, les standards et les exigences d’hygiène et de relations clients sont autant d’éléments pour repositionner la Tunisie dans l’échiquier des pays touristiques de haut de gamme. Le secteur aligne des professionnels au fait de leur métier, qui plus est ont fait preuve d’un fort engagement citoyen. Un nombre d’hôtels tunisiens se sont rendus utiles en ouvrant leurs portes aux malades Covid ou aux confinés de retour de l’étranger, prêtant ainsi main forte dans la lutte nationale de cette pandémie.