Un développement durable, une croissance respectueuse de l’écosystème, des projets structurants pour préserver l’environnement : c’est ce qu’ambitionne une nation bienveillante de ses générations futures. La Tunisie ne fait pas l’exception…Il n’en reste pas moins que la tâche est plus ardue pour un pays en mal de moyens. Il faut convaincre les bailleurs de fonds et les pays développés de renforcer leur soutien pour la lutte contre le réchauffement climatique des pays du Sud. Une tâche à laquelle met un point d’honneur la délégation tunisienne qui sera présente à la COP25. Les enjeux sont d’une importance capitale. Habités par la cause, les représentants des ministères manient les arguments pour … convaincre. ODD, plan de développement, financements, autant de questions ont été abordées avec Belgacem Ayed, président du Comité général du développement sectoriel et régional au sein du MDCI, et par Adel Saïdane, directeur général au comité général de l’administration du budget de l’Etat au sein du ministère des Finances.
L’adhésion de la Tunisie aux ODD date de 2015. Le dernier plan de développement, souligne Belgacem Ayed a été conçu sur la base de l’agenda 2030 et les ODD, plus spécifiquement au niveau de la lutte contre les changements climatiques. A ce titre, trois grandes études ont été réalisées en vue de vérifier le degré d’intégration des ODD dans le plan de développement et au niveau de la réglementation tunisienne. Il s’agit de la DGA (Data Gap Analysis), de la RIA (Rapid Integrated Analysis) et de la RIA+ qui, pour sa part, a porté sur un prisme de droits humains entre autres en analysant la Constitution tunisienne.. La Tunisie a élaboré son Rapport national volontaire sur la mise en œuvre des ODD et l’a soumis officiellement à New York en juillet 2019. D’après le président du Comité général de développement sectoriel et régional, Belgacem Ayed, le développement durable doit englober les volets économique, social et environnemental, sans quoi il ne sera pas inclusif et durable. Or, en Tunisie, le développement a été réalisé, jusqu’aux années 80, au détriment de l’environnement. D’après le Rapport national volontaire, la Tunisie a intégré 80% des ODD à son plan de développement 2016-2020. Au niveau de l’analyse rapide intégrée fondée sur les Droits de l’Homme et se référant entre autres à la Constitution tunisienne, on parle d’une intégration de 64%. Ces chiffres ont permis à la Tunisie de se placer 2ème à l’échelle africaine en matière d’atteinte des ODD. Elle a été, d’un autre côté, classée 1ère en matière d’intégration, de planification et de processus ODD en Afrique. A titre de comparaison, notre pays était 8ème en 2018 à ces niveaux, selon Belgacem Ayed. Concernant le prochain plan de développement, il sera discuté fin octobre 2019, à l’occasion d’un atelier axé sur l’après-2020, une occasion pour élaborer une évaluation de fin de parcours. Celle-ci servira de base pour le prochain plan de développement. “C’est un atelier national à travers lequel nous allons débattre de l’agenda 2030. Dans ce cadre, nous allons harmoniser nos horizons de planification avec les horizons de l’agenda 2030. Notre vision sera déclinée en actions. Nous devons, également, intégrer les ODD avec leurs cibles et indicateurs de suivi”, a-t-il précisé.
Recyclage : des objectifs plutôt timides
Constat d’évidence : ce travail a déjà démarré il y a quelques années. Le MDCI a signé un accord avec des partenaires allemands en vue de créer une décharge à Jradou, non loin de Zaghouan. Il s’agit d’un projet de 21 millions d’euros (2008) qui permettra de traiter 90 000 tonnes de déchets par an. Le centre va traiter les déchets industriels dangereux. A vrai dire, les ordures ménagères constituent une autre problématique environnementale. Selon le président du Comité, 100 millions de dinars ont été débloqués pour traiter ces déchets. “Nous allons pouvoir atteindre un taux de traitement de 90%”, a-t-il précisé. Qu’en est-il du recyclage ? Belgacem Ayed a rappelé que le plan de développement 2016-2020 prévoit un objectif de 30% de déchets recyclés. “Les premiers impacts seront observés dans les 3 prochaines années. Des appels d’offres ont déjà été lancés”, a-t-il assuré.
Objectif 2020 : 25% de l’énergie à partir des énergies renouvelables
Concernant l’atténuation des gaz à effet de serre, la Tunisie a lancé le plan solaire depuis les années 2000. Celui-ci s’inscrit dans la stratégie globale de la Tunisie qui vise à favoriser le recours aux énergies renouvelables. Depuis ladite date, entre 60 000 et 100 000 mètres carrés de panneaux solaires ont été installés au niveau des bâtiments (62 MW de capacité installée). Plus encore : un programme d’optimisation de la production électrique – solaire et éolienne – a été appliqué. “La stratégie de 2016-2020 prévoit la production de plus de 1000 mégawatts d’électricité actualisé pour 1860 MW à l’horizon 2023”, a-t-il ajouté. D’ici 2023, notre pays devrait donc être capable d’assurer le quart de la production énergétique à partir de ces énergies.
D’ailleurs, en janvier 2019, le gouvernement tunisien a annoncé la nécessité de mobiliser 2,5 milliards de dinars pour la réalisation de ce projet ambitieux. Des mécanismes de soutien ont, d’un autre côté, été mis en place : tarifs d’achat garantis et incitatifs de l’électricité renouvelable, soutien à l’investissement à travers les subventions et les financements concessionnels, lancement de grands appels d’offres, l’implication des compagnies d’électricité dans la production de l’électricité renouvelable, pour n’en citer qu’eux. Néanmoins, avouons-le, la prise de conscience est tardive. “L’Etat doit intervenir car l’adoption des énergies renouvelables est très coûteuse pour un ménage”, a martelé pour sa part Adel Saidane, directeur général au comité général de l’administration du budget de l’Etat au sein du ministère des Finances. A ce titre, il explique qu’il conviendrait de restructurer le FTE (Fonds de transition énergétique) et de mieux cibler les subventions dans tous les domaines, y compris l’énergie durable. “Nous ne pouvons continuer à subventionner ceux qui sont assez aisés pour accéder aux énergies renouvelables. Une réforme s’impose. En effet, il existe des inégalités sociales concernant l’accès aux énergies renouvelables. De tels investissements ne sont pas à la portée de tout le monde. En plus des incitations fiscales mises en place, l’Etat doit encore intervenir”, a-t-il indiqué.
Traitement des eaux usées : un autre grand chantier à entamer
La préservation et la diversification des ressources hydrauliques ainsi que la lutte contre la pollution qui les affecte est un autre cheval de bataille. Belgacem Ayed a rappelé que 300 millions de mètres cubes d’eaux usées sont produits chaque année dans ce sens. Depuis 5 ans, un programme d’assainissement des zones industrielles a été mis en place. Financé dans le cadre d’une coopération internationale, il consiste à créer 10 stations d’épuration d’eau. Tout sera finalisé dans un délai de trois ans, sachant fort que certaines stations sont déjà opérationnelles. Le plan de développement 2016-2020 inclut une enveloppe de 1000 millions de dinars pour l’assainissement et l’extension des stations d’épuration. Dans ce même contexte, le milieu rural sera intégré.
L’ONAS (Office national de l’assainissement) a entamé un grand projet portant sur l’assainissement de 18 zones rurales auxquelles s’ajoutent 36 nouvelles zones d’ici 2020. Il inclut la prise en charge des zones rurales de moins de 3000 habitants par le ministère de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche. Malgré ces avancées, il y a encore du pain sur la planche selon le président du Comité, notamment en matière de collecte des eaux usées. “Dans cette optique, nous avons besoin d’émissaires en mer. Nous avons celui de Raoued à titre d’exemple, qui sera élaboré dans le cadre d’un financement de 25 millions de dollars, débloqué par la Banque mondiale”, a-t-il précisé. L’objectif, poursuit-il, est de parvenir à réutiliser 50% des eaux usées – 150 millions de mètres cubes -pour contrecarrer la pénurie de la ressource en eaux, contre une moyenne de 20% aujourd’hui. “Si nous y arrivons, nous aurons accompli un pas de géant”, a-t-il encore dit.
Un partenariat Sud-Sud pour lutter contre les changements climatiques
Qu’en est-il de la présence du MDCI à la COP25 ? L’institution, selon Belgacem Ayed, fait partie du comité de préparation de l’événement. Il sera notamment question de travailler sur les partenariats possibles en matière de lutte contre les changements climatiques. La mobilisation, conformément à l’objectif 17 des ODD, doit être menée au niveau du financement et de l’assistance technique. Or, après la COP21, cet objectif n’a pas été réellement atteint, étant donné que certains pays développés n’ont pas honoré les engagements pris. “C’est une question politique. Certains leaders mondiaux n’ont pas une vision portant sur la protection de l’environnement”, a déclaré le président du Comité général du développement régional et sectoriel.
Faut-il se tourner vers un partenariat Sud-Sud en matière de lutte contre les changements climatiques ? Selon Belgacem Ayed, toutes les pistes doivent être explorées. “Nous avons toujours plaidé pour une coopération entre les pays du Sud. Ces derniers doivent renforcer l’échange de leur savoir- faire. Dans ce même contexte, les États doivent intervenir là où le secteur privé est incapable d’opérer. A titre d’exemple, la construction de centres de traitement des déchets et des eaux usées dans les petites localités. Sur le plan économique, ces projets ne sont pas rentables. Ils doivent donc être menés par l’Etat. Nous allons, dans le cadre de la COP25, plaider pour [cette coopération entre l’Etat et le secteur privé]”, a encore expliqué le président du Comité.
Financement : le nerf de la guerre de l’action climat
Exclusivement entrepris par l’Etat ou en PPP, tous ces projets sont indéniablement tributaires de financement. De plus en plus, la Finance climat a le vent en poupe. Les pays développés doivent renforcer leurs engagements. L’ensemble du système financier doit se réformer pour soutenir la transition mondiale vers une économie bas carbone. Adel Saïdane, directeur général au comité général de l’administration du budget de l’Etat au sein du ministère des Finances, précise que les pays développés souhaitent, à présent, intégrer l’aide au développement au volet du changement climatique, ce qui a fait grincer des dents du côté des pays en développement. De fait, ces derniers appellent plutôt à mieux cibler les financements des changements climatiques. “Pas question [selon les pays en développement] d’élaborer des projets d’ordre général pour, ensuite, les inscrire dans le cadre du financement de la lutte contre le changement climatique”, a-t-il déclaré.
Toujours sur le plan du financement de l’action climatique, le directeur général a rappelé que les pays développés se sont engagés à verser, annuellement, 30 milliards de dollars au profit des pays en développement, et ce dans le cadre de l’accord de Copenhague (2009). Ce processus a pris fin en 2012 et il n’a pas été réellement concrétisé. Par la suite, les mêmes pays ont décidé d’augmenter le plafond de l’aide, pour qu’elle atteigne un graal de 100 milliards de dollars par an, via le Fonds vert pour le climat et ce jusqu’en 2020. Là encore, les objectifs escomptés n’ont pas été atteints. “On parle plutôt de 30 milliards de dollars qui ont été versés, voire moins”, a-t-il précisé.
La Tunisie, pour sa part, va mettre en place un plan national d’adaptation qui devrait être financé par la finance climat multilatérale et bilatérale. Selon Adel Saïdane, les besoins en financement pour atteindre l’objectif de la contribution déterminée au niveau national en Tunisie, appelée NDC, s’élève à près de 19 milliards de USD. Cette enveloppe conditionne l’action climat atténuation avec un besoin de 17 Milliards de USD et l’action climat adaptation moyennant 2 Milliards de USD.
Un organisme national accrédité au Fonds vert pour faciliter l’accès au financement
D’autre part, le directeur général au comité général de l’administration du budget de l’Etat au sein du ministère des Finances a souligné que l’accès aux financements destinés à la lutte contre le changement climatique est difficile. Cet accès requiert, poursuit-il, des procédures bien déterminées exigées par le Fonds vert pour le climat. Or, en Tunisie, un tel organisme national accrédité n’existe pas encore. Néanmoins, le processus pour l’accréditation de deux institutions nationales, qui sont la CDC (Caisse des dépôts consignations) et l’APIA (Agence de promotion des investissements agricoles) est en cours. Une fois chose faite, cela aidera à l’accès direct de la Tunisie à une des sources de la finance climat.
Faciliter l’accès aux financements, simplifier les procédures de leur obtention
Quel sera, par ailleurs, le rôle du ministère des Finances lors de la COP25 ? D’après Adel Saïdane, “La COP25 comprend plusieurs chantiers, d’où la nécessité de l’envoi d’une délégation pluridisciplinaire. La Tunisie fait partie de plusieurs groupes de négociation à la COP25, notamment celui de l’Afrique, du G77 + Chine et du groupe Arabe. Entre les COPs, des sessions intermédiaires sont organisées par le secrétariat de la Convention cadre des Nations Unies pour le changement climatique, où se rassemblent des experts. Les enjeux sont énormes, notamment sur le plan financier, et nous savons que l’argent est le nerf de la guerre”, a-t-il déclaré.
Il rappelle, dans ce même contexte, que généralement, ce sont les grands pays qui sont capables de faire valoir leurs positions et de les imposer. Pour des pays comme la Tunisie, il faut plutôt agir par le biais des groupes, à l’instar de celui de l’Afrique. Dans ce cas, quelles sont les questions qui seront soulevées par la Tunisie ? “Il est capital de rendre les financements plus accessibles. D’un autre côté, il faut assurer la transparence concernant la gestion et la mobilisation des fonds. Cela concerne, notamment, les fonds bilatéraux. L’accès aux fonds doit, ainsi, être simplifié, “dé-complexifié”, martèle Adel Saidane. D’ailleurs, cette revendication a été formulée par d’autres pays. Cette complexité, poursuit-il encore, a du bon à bien des égards. De fait, elle constitue un moyen de garantir la réussite des projets, au même titre que la bonne gouvernance, sachant fort bien que celle-ci laisse à désirer dans certains pays, selon Adel Saïdane. “La complexité est donc voulue. Afin de décrocher le financement, les projets doivent être prêts et adaptés aux normes en vigueur”, a-t-il encore expliqué.
La nécessité d’un fonds national unifié
Interrogé sur l’absence de mesures en faveur du climat dans le projet de loi de Finances 2020, Adel Saidane a reconnu qu’il existe, en effet, une lacune sur ce point. “La question doit être traitée horizontalement, étant donné que tous les départements ministériels sont impliqués. Dans chaque ministère, un point focal sur le changement climatique doit être mis en place”, a-t-il noté.
De ce fait, selon Adel Saïdane, il faut plutôt restructurer les mécanismes existants en vue de mettre en place un fonds unifié. De fait, plusieurs pays ont mis en place un tel fonds. Sa création enverra un signal positif aux bailleurs de fonds. “Nos fonds sont dispersés aujourd’hui, il faut donc les regrouper”, a-t-il encore affirmé.