Selon une récente enquête, 59% des Tunisiens vivant à l’étranger ne prévoient pas de revenir s’installer en Tunisie. En revanche, 20% affichent une volonté nette de rentrer, tandis que 21% restent indécis, envisageant le retour sans projet précis. Parmi ceux qui souhaitent revenir, 24% ambitionnent de créer leur propre entreprise, 21% envisagent d’y passer leur retraite et 34% invoquent principalement des raisons familiales.
Ces résultats proviennent d’une étude réalisée dans le cadre du projet THAMM-OFII, financé par l’Union européenne et coordonné par l’Office français de l’immigration et de l’intégration. Ils ont été présentés le 23 décembre 2025 lors d’un atelier organisé par l’Atuge. L’enquête repose sur un échantillon représentatif de 1 041 Tunisiens résidant à l’étranger, recueilli à l’aide d’une méthodologie mixte combinant entretiens en face à face assistés par ordinateur, questionnaires en ligne et relances téléphoniques. Une phase qualitative préalable a également été menée à travers des groupes de discussion. Nabil Belaam, directeur du cabinet Emrhod Consulting, a exposé les résultats, mettant en lumière les opportunités et les freins au retour des compétences tunisiennes expatriées.
Les raisons familiales constituent le premier moteur du retour et concernent 3 générations. Les expatriés évoquent le rapprochement avec leurs parents vieillissants, le maintien de la cohésion du couple et surtout la connexion culturelle de leurs enfants aux traditions tunisiennes, au-delà des cultures d’accueil européennes. Cette dimension familiale structure 34% des projets de retour, selon l’enquête.
Le projet de retraite représente le deuxième facteur déterminant et révèle une évolution majeure par rapport aux générations précédentes. Les Tunisiens atteignant l’âge de la retraite entre 60 et 67 ans demeurent dynamiques et n’envisagent plus un retour passif. Cette motivation se trouve désormais fréquemment associée au désir d’entreprendre et d’investir, constituant ainsi le troisième pilier des motivations. Cette connexion entre retraite et entrepreneuriat représente une spécificité contemporaine absente des vagues migratoires antérieures.
Cinq catégories d’obstacles majeurs freinent concrètement la réalisation des projets de retour. La rigidité du marché du travail tunisien constitue le premier frein identifié. Les actifs expatriés, habitués à des parcours salariaux structurés, peinent à retrouver des emplois stables permettant de poursuivre une trajectoire professionnelle similaire à celle connue à l’étranger. Le manque d’opportunités clairement identifiées et d’idées de projets viables représente un second obstacle pour ceux qui envisagent l’entrepreneuriat. La lourdeur administrative s’impose comme un frein omniprésent, avec une masse importante de démarches bureaucratiques pour créer une entreprise, obtenir les certifications nécessaires et monter les projets. L’environnement fiscal perçu comme caractérisé par une taxation excessive constitue le quatrième obstacle décourageant la création d’entreprise et le développement d’initiatives commerciales. Les conditions de vie générales en Tunisie représentent le cinquième frein majeur. Les expatriés habitués aux infrastructures développées des pays d’accueil, notamment en matière de systèmes éducatifs, sanitaires et de transport, perçoivent un écart de qualité important.
Les projets d’investissement envisagés couvrent l’ensemble du spectre économique, sans concentration sectorielle particulière. Les compétences et motivations entrepreneuriales s’étendent de l’agriculture à la technologie, en passant par l’agro-industrie et les énergies, témoignant d’un potentiel de développement multisectoriel significatif.
Cinq axes de recommandations
L’enquête formule 5 axes de recommandations stratégiques.
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Renforcer l’attractivité économique
Il s’agit de faciliter l’accès à des marchés porteurs, de dynamiser l’écosystème entrepreneurial et de simplifier l’accès au financement, notamment via des crédits à taux préférentiels, tout en améliorant l’environnement fiscal et réglementaire. -
Améliorer les conditions de vie
Ce levier nécessite des investissements importants dans les infrastructures sanitaires, éducatives, de transport et de sécurité, ainsi que le développement de services adaptés en santé et protection sociale. Il inclut également un assouplissement du marché du travail pour favoriser l’insertion professionnelle des Tunisiens du monde. -
Moderniser le climat administratif et financier
Les expatriés, habitués à des services digitalisés, attendent une administration entièrement numérisée, des procédures simplifiées et des règles bancaires et de change assouplies pour faciliter les transferts de capitaux et la gestion de leurs attaches financières à l’étranger. -
Renforcer la protection sociale
Cela passe par la négociation d’accords bilatéraux permettant le transfert des pensions de retraite, la mise en place de mécanismes souples entre pays d’accueil et d’origine, et l’instauration d’un système de sécurité sociale transférable pour les Tunisiens du monde. -
Assurer la stabilité du cadre institutionnel
Les répondants soulignent l’importance de renforcer la transparence des institutions et de garantir la stabilité des politiques économiques afin de restaurer la confiance des expatriés dans le développement du pays.
Osons le rêve…
Walid Haj Amor, membre du conseil d’administration de l’Atuge, a souligné que plus de 85% de la diaspora réside à moins de trois heures de vol de Tunis. Les propositions incluent des avantages fiscaux pour les retraités équivalents à ceux des étrangers, une flat taxe libératoire sur les primes d’intéressement des cadres supérieurs et le versement de primes en devises par les entreprises totalement exportatrices. L’association propose également un statut de salarié non résident permettant aux Tunisiens de travailler pour des sociétés européennes tout en résidant au pays, avec un cadre juridique hybride et des visas facilités.
Pour sa part, Amine Aloulou, président de l’Atuge, insiste sur la nécessité de faire de la Tunisie un pays attractif par ses opportunités plutôt que par le seul devoir moral, soulignant que ces talents sont capitaux pour la compétitivité internationale du pays et pour répondre aux attentes d’une jeunesse aspirant à une économie moderne et connectée au monde.


