Un consensus puissant s’est dégagé entre experts du secteur privé, représentants institutionnels et universitaires: la Tunisie doit accélérer ses réformes pour libérer son potentiel économique. Entre un plaidoyer pour une libéralisation quasi totale de l’investissement, la nécessité d’une refonte de la logistique et l’urgence d’une stabilité réglementaire, les intervenants ont esquissé les contours d’une nouvelle ambition pour le pays, soulignant que les blocages persistants freinent une croissance qui pourrait être bien plus élevée.
À Tunis, ce 18 septembre 2025, lors d’un panel sur le cadre institutionnel et réglementaire tenu au cours de l’événement «Tunisie 2.0», les discussions ont mis en lumière une tension palpable entre l’impatience des opérateurs économiques et le rythme des réformes gouvernementales. Si tous s’accordent sur le diagnostic et les atouts indéniables du pays, les avis divergent sur la profondeur et la vitesse des changements à opérer pour réinventer l’attractivité économique tunisienne.
Tarak Cherif, président de ANIMA Investment Network, a livré un plaidoyer passionné et sans concession pour un changement radical. Affirmant que la Tunisie manque cruellement d’ambition et pourrait viser une croissance bien supérieure à l’objectif de 3,2%, il a dénoncé la persistance de blocages structurels qui freinent le développement. Pour lui, la clé réside dans l’investissement privé, qui est l’unique moteur de la croissance. Sa proposition phare est la libération totale de l’investissement, à l’exception des secteurs liés à la sécurité nationale et aux activités illicites, s’interrogeant sur les raisons de la lenteur à supprimer les autorisations promises. Il a également identifié la logistique comme le “meilleur investissement” possible pour le pays, arguant qu’une infrastructure portuaire et aéroportuaire défaillante anéantit toute compétitivité des entreprises. Citant l’exemple des Émirats arabes unis, il a insisté sur l’urgence d’agir après des décennies de discussions. Enfin, il a appelé à l’instauration d’une politique de l’Open Skies pour stimuler le tourisme et, surtout, faciliter les visites de la diaspora tunisienne, une source de devises fondamentale pour le pays.
Adoptant une approche d’économiste, Moez Soussi, professeur universitaire en économie, a analysé les freins structurels à l’investissement privé. Il a rappelé que si le capital humain et financier reste important, les facteurs institutionnels et le climat géopolitique sont devenus déterminants dans la décision d’investir. Il a pointé du doigt l’impact négatif de la politique monétaire restrictive des dix dernières années, citant une étude qui démontre qu’une hausse de 100 points de base du taux d’intérêt directeur entraîne une baisse de 16% de l’investissement privé. Un autre facteur majeur d’érosion de la confiance est, selon lui, l’écart systématique entre les taux de croissance annoncés dans les lois de finances et les résultats réels, ce qui nuit à la prévisibilité pour les investisseurs. Malgré ces constats critiques, il a réaffirmé que la Tunisie ne manque de rien pour réussir, possédant l’ingéniosité et les talents nécessaires, mais qu’elle a un besoin urgent d’un arsenal législatif mieux adapté pour accélérer sa croissance.
Ghali Mannoubi, chef de pôle des politiques d’investissement et de réforme à la TIA, a apporté une perspective internationale en se basant sur les meilleures pratiques mondiales. L’intervenant a souligné une tendance globale favorisant les investissements via des joint-ventures et des fusions-acquisitions plutôt que par des projets Greenfield. Face à une concurrence internationale féroce pour attirer les capitaux, menée par l’Asie et l’Afrique, il a formulé des recommandations concrètes. Il a proposé l’adoption d’une “autorisation unique” pour les investisseurs, un concept qui a fait ses preuves en Égypte et aux Émirats arabes unis. Le responsable a également préconisé de rendre la politique d’incitations plus ciblée, en passant des 20 secteurs prioritaires actuels à des niches et métiers d’avenir plus précis, à l’image du Maroc ou de la Turquie. Enfin, il a suggéré d’unifier les différents régimes de zones (franches, technologiques) sous un concept unique de “zones économiques spéciales” pour plus de clarté et d’efficacité.
En réponse à ces analyses, Mohamed Ben Abid, directeur général du suivi et de l’évaluation des réformes du climat des affaires, a exposé la démarche du gouvernement. Il a reconnu un rythme lent dans la mise en œuvre des réformes, avec seulement 50% de réalisation des 185 mesures de la stratégie du climat des affaires 2023-2025. Il a toutefois assuré que le travail se poursuit, notamment à travers le décret 417 visant à supprimer les autorisations, avec une troisième vague en préparation. Il a justifié la complexité du processus par la nécessité de consulter une cinquantaine de ministères et d’éviter la déstabilisation de filières entières, tout en luttant contre l’économie de rente. Tirant les leçons du passé, il a annoncé que la nouvelle stratégie de développement se concentrera sur quatre axes prioritaires: la logistique, la digitalisation (avec une plateforme unique de l’investisseur prévue pour le premier trimestre 2026), l’accès au financement pour les PME et l’amélioration de l’offre foncière.
Néjia Gharbi, DG de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), a insisté sur le besoin impératif de stabilité réglementaire. Pour elle, “trop de textes, trop de lois” est un mauvais signal envoyé aux investisseurs. Elle a plaidé pour un cadre simple basé sur le principe que “l’investissement est libre sauf liste négative”.
Elle a critiqué une tendance à la sur-réglementation, citant les lois sur les partenariats public-privé (PPP) et le crowdfunding qui, en voulant trop contrôler, ont finalement bloqué leur propre essor. Elle a positionné la CDC comme un partenaire de confiance et un catalyseur d’investissement à long terme, cherchant non seulement la rentabilité mais aussi l’impact. Rappelant les atouts majeurs du pays, comme son classement dans le top 20 mondial pour la qualité de ses talents et sa position de porte d’entrée en Afrique, elle a confirmé que la CDC est activement engagée dans le financement des priorités nationales, notamment les projets d’infrastructure logistique et le soutien aux PME et aux jeunes entrepreneurs, en mobilisant des financements auprès des grands bailleurs de fonds internationaux.