L’offre traditionnelle de financement par crédit bancaire ne suffit pas à répondre aux besoins du secteur des énergies renouvelables, notamment en matière de gestion des risques, d’horizon et de volume. Face à ce constat, la Caisse des dépôts et consignations (CDC) a recommandé le développement de mécanismes et d’instruments de financement spécifiques. Parmi ces instruments, l’émission de green bonds (obligations vertes) pourrait être une alternative pertinente. Les green bonds sont des emprunts émis sur les marchés financiers par un émetteur, dont les fonds sont exclusivement destinés à financer ou à refinancer, en totalité ou en partie, des projets verts nouveaux ou existants, contribuant ainsi positivement à la transition écologique.
Dans ce contexte, un atelier de restitution des résultats de l’étude de prospection pour une émission d’obligations vertes en Tunisie a été organisé le lundi 4 mars 2024, au siège de la Bourse des valeurs mobilières de Tunis (BVMT). Cet événement a réuni plusieurs représentants des parties prenantes publiques et privées, ainsi que des partenaires bilatéraux et multilatéraux intéressés par l’investissement vert.
En effet, la CDC, dans son rôle d’investisseur public au service des priorités nationales et dans le cadre de sa stratégie de contribution à la transition énergétique et écologique, a initié ce projet en collaboration avec le ministère des Finances et la BVMT, et avec le soutien de la Banque mondiale. Ce soutien a été renforcé par un financement du Royaume-Uni, qui s’est fortement engagé à soutenir la Tunisie dans sa politique de verdissement de son économie.
La nécessité d’innover en matière de financement de projets alignés avec les objectifs climatiques est d’autant plus justifiée par les engagements de la Tunisie pour décarboner et verdir son économie. Ces engagements se traduisent à plusieurs niveaux, à travers le plan de développement et les stratégies sectorielles, ainsi que par des engagements pris dans le cadre de l’Accord de Paris, formalisés dans sa Contribution déterminée au niveau national (CDN) actualisée. Cette dernière vise à réduire de 45% l’intensité carbone à l’horizon 2030 par rapport à 2010, grâce à des mesures d’atténuation dans les principaux secteurs émetteurs.
Comme présenté par Olfa Chamari de la CDC, Safia Hachicha de la Banque mondiale et Sana Attig de Deloitte Tunisie, l’étude a permis d’évaluer la maturité du marché d’investissement vert dans le pays et d’identifier les prérequis nécessaires pour une éventuelle émission d’obligations vertes. Cette étude a également servi de base pour l’élaboration d’un référentiel pour la préparation de la CDC à une éventuelle émission d’obligations vertes, à savoir le «Green Bond Framework».
Directives européennes: menace ou opportunité pour la Tunisie?
Par ailleurs, Bilel Sahnoun, directeur général de la BVMT, a souligné que malgré l’aspiration de la Tunisie à atteindre 35% d’énergie renouvelable d’ici 2030, cet objectif reste hors de portée non pas en raison de la rareté de cette énergie, mais plutôt en raison des investissements massifs nécessaires.
Il a ajouté avec conviction: «Aujourd’hui, la transition vers une économie verte n’est plus une simple option, mais une obligation». Il a mis en lumière une expérience exemplaire en Tunisie, le projet Sunref, d’une valeur de 60 millions d’euros, initié par l’AFD en faveur de quatre banques tunisiennes. L’objectif était de financer des projets de transformation énergétique. Plus que le montant des financements, c’est l’expertise acquise dans le financement de ces projets qui se révèle particulièrement intéressante.
Sahnoun a souligné: «J’encourage donc vivement les institutions de financement, notamment les banques, à capitaliser sur les enseignements tirés du projet Sunref. L’idée serait de lever des emprunts verts pour financer leurs clients, qui pourraient ensuite être convertis en investissements responsables, en particulier dans des projets à vocation environnementale».
Il a également mentionné les récentes directives européennes contraignant les entreprises à divulguer des informations claires et complètes sur leurs impacts environnementaux et sociétaux. Si cela représente une menace, Sahnoun y voit également une opportunité. Il souligne que tous les fournisseurs de l’UE seront soumis aux mêmes contraintes. En mettant en avant les produits tunisiens, il est convaincu que la proximité géographique et le faible niveau d’émissions de carbone associés à la logistique entre la Tunisie et l’UE seront des atouts favorables.
Lors de cet événement, Alexandre Arrobbio, représentant résident de la Banque mondiale, a mis en évidence l’importance de cette initiative pour bâtir un avenir durable pour l’économie tunisienne. Il a fait référence à un récent rapport sur le climat et le développement en Tunisie, élaboré en collaboration avec le gouvernement, qui identifie les priorités pour les années à venir pour plusieurs domaines clés, notamment la gestion de l’eau, la résilience face aux inondations et à l’élévation du niveau de la mer, ainsi que la transition énergétique, notamment dans le domaine financier et des obligations vertes.
De plus, il a insisté sur la nécessité de mobiliser des fonds significatifs pour atteindre les objectifs de développement durable et relever les défis climatiques. Il a souligné l’importance de mettre en place un cadre incitatif pour les obligations vertes.
De son côté, l’ambassadrice du Royaume-Uni en Tunisie, Helen Winterton, a insisté sur la nécessité d’aligner les flux financiers sur les objectifs de lutte contre le changement climatique.
Elle a rappelé que la Bourse de Londres a été classée première pour la troisième fois consécutive en termes de levée de fonds verts et que le gouvernement britannique est fortement engagé pour dupliquer cette expérience réussie, notamment en accompagnant la Tunisie pour verdir son économie.