À travers le CJD Talks 2024, le Centre des Jeunes Dirigeants de Tunisie (CJD) offre un espace d’échange entre acteurs économiques sur les problèmes fondamentaux auxquels font face les entrepreneurs et investisseurs tunisiens, dans une perspective visant à mettre l’économie au service de l’homme.
Au cours du 8e podcast, Abdelaziz Darghouth, donne la parole à Mbarek Khamassi, Consultant en Restructuration et Redressement des entreprises, afin de réfléchir sur la thématique du mois de février: “La restructuration des entreprises: solutions financières et cadre réglementaire inadapté”.
Panorama historique: inadéquation du cadre juridique pour sauver les PME en difficulté
Dans la première partie, Mbarek Khamassi dresse un panorama historique pour décrire le contexte législatif dans lequel s’est développé le cadre du soutien des PME en difficulté. Afin de connaître les origines et les caractéristiques de l’entreprise tunisienne, il remonte d’abord à la période allant de l’indépendance jusqu’au milieu des années soixante, durant laquelle Ahmed Ben Salah s’est employé à restaurer la souveraineté de l’État en menant une politique économique basée sur l’implantation de pôles industriels dans diverses régions: C’est l’État-providence créant des projets, parce que le secteur privé n’était pas en mesure de le faire. À cette politique, se substituait la politique d’économie fermée menée par Hédi Nouira dans les années soixante-dix, période de la création de la PME. Mais selon les experts, on ne peut pas parler d’entreprise tunisienne à cette période car tout était déterminé par l’État.
Ensuite, Mbarek Khamassi évoque les premières difficultés rencontrées par la PME face à la concurrence étrangère suite au plan d’ajustement structurel de 1986, qui reposait sur trois points: réduction des droits de douane, encouragement de l’initiative privée et privatisation. En juin 1987, un conseil ministériel s’est tenu pour étudier le cas des entreprises en difficulté. Le Comité permanent d’aide aux entreprises en difficulté (CPAED) a été créé dans le cadre de la loi de finances pour 1989. Ainsi, afin d’aider les 873 entreprises en difficulté identifiées en 1988, des mécanismes tels que le rééchelonnement de la dette, les allégements fiscaux et les facilités bancaires ont été créés.
Après les premières difficultés, l’État a donc déployé des efforts en raison de l’insuffisance et de l’inadéquation du cadre juridique pour sauver les PME. De fait, jusqu’à la promulgation de loi de 1995 relative au redressement des entreprises en difficultés économiques, la législation n’incluait pas la notion d’entreprise, mais plutôt une loi sur les actions collectives, dont la loi sur la faillite (inspirée du Code Napoléon de 1807) et la loi sur le règlement préventif (tirée de la législation libanaise), relative aux commerçants.
Loi de 1995: une révolution en faveur des PME
Enfin, Mbarek Khamassi revient à 1995, rappelant l’accord d’association entre la Tunisie et l’Union européenne qui plaçait l’économie tunisienne dans une position libérale et qui faisait des PME son socle. En fait, il ne s’agit plus d’un État-providence, mais plutôt d’un État limité à son rôle régalien en matière de législation et d’arbitrage. Un double processus politico- économique a été alors mise en œuvre : la mise à niveau des entreprises saines et capables de rivaliser avec la concurrence internationale et la loi de redressement des entreprises en difficultés.
Pour Khamassi, la loi de redressement des entreprises en difficultés économiques est une révolution en faveur des PME. De fait, contrairement au règlement préventif qui vise uniquement à recouvrer les dettes, elle se soucie du sort de l’entreprise tunisienne et vise à la promouvoir. Mais, la loi de 1995 manque d’efficacité, car le tribunal, qui donne deux mois au chef d’entreprise pour résoudre les problèmes de son entreprise et recourt en fin de délai à un règlement consensuel ou judiciaire, n’a apporté aucune solution.
Loi de 1999: pour changer les mentalités
La loi de redressement des entreprises en difficultés économiques a été révisée en 1999 pour changer les mentalités. D’une part, habitué à statuer sur la faillite de l’entreprise, le juge n’a pas encore acquis la vision de sauvetage. D’autre part, les chefs d’entreprise qui n’avaient pas l’habitude de comparaître devant un juge hésitaient, par peur, à se prévaloir de la loi. Afin de résoudre ce double problème, la loi de 1999 a prévu que le dossier de règlement consensuel soit soumis à la commission de suivi des entreprises économiques qui examine la notification et évalue sa gravité dans le but de trouver des solutions.
Loi de 2003: virage à 180°
La loi a ensuite été révisée en 2003, sous la pression du secteur bancaire, qui a annoncé des pertes dues à la loi de sauvetage qui a entraîné une augmentation des créances carbonisées. De ce fait, le recours à la loi a été restreint, excluant par exemple les entreprises qui tardaient à payer leurs dettes ou qui ont perdu leurs fonds internes. À cet égard, Mbarek Khamassi parle d’un virage à 180°, notamment avec l’ajout d’un article permettant au créancier de faire valoir ses droits auprès du garant, ce qui a porté préjudice aux chefs d’entreprise.
Loi de 2016: retour au point de départ
Abdelaziz Darghouth souligne le retard pris dans la 3ème révision de la loi, surtout après la Révolution qui menace les intérêts des PME. À ce propos, l’invité explique que la loi de sauvetage, qui met en jeu des intérêts contradictoires, est sensible et doit parvenir à un équilibre, ajoutant que la révision de 2016 était en gestation depuis 2007. En réponse à la question de Darghouth sur les raisons pour lesquelles la vision du sauvetage des PME n’est pas inscrite dans la loi, Mbarek Khamassi répond que le problème est culturel : dans l’imaginaire collectif, les chefs d’entreprise ont une image négative, associée à la fraude, et pour le législateur, ils recourent à la loi pour se soustraire au paiement de leurs dettes. En conséquence, la loi de sauvetage a été vidée de son sens lors de la révision de 2016 et le nom de « Loi sur les actions collectives » datant de 1959 a été adopté. Selon Mbarek Khamassi, le cadre juridique du sauvetage des entreprises n’aide plus les entreprises, soulignant que les chefs d’entreprise ne recourent pas à la loi de 2016.
Solutions: combler le manque d’écoute des PME en difficulté
Selon Mbarek Khamassi, les solutions consistent à combler le manque d’écoute des PME qui souffrent de difficultés économiques et à aller au-delà des solutions inefficaces telles que le Fonds d’appui et de relance, qui n’a fait l’objet d’aucune évaluation. À cet effet, il propose de:
- Créer des groupements professionnels agréés (comme c’est le cas en France) qui écoutent le chef d’entreprise dès l’origine des difficultés et lui donnent le bon diagnostic en vue de trouver des solutions.
- Créer des chambres au sein des tribunaux pour les entreprises en difficulté (comme c’est le cas en Belgique).
- Créer des tribunaux de commerce.
- Bénéficier de l’expertise de juges expérimentés en droit du sauvetage des entreprises.
Restructurer signifie se focaliser sur les aspects multidimensionnels des PME
En conclusion, Mbarek Khamassi adresse un message aux parties prenantes: pour que “l’économie soit au service de l’homme”, il est nécessaire de se focaliser sur les aspects multidimensionnels des PME, qui constituent le socle de l’économie et le vecteur du confort social.