À la suite d’une analyse approfondie du premier podcast du CJD Talks 2024, mettant en vedette Imen Maouene sur le thème crucial de la compétitivité des entreprises face à la lenteur de la transformation digitale de l’administration tunisienne, CJD Talks élargit la discussion avec Adel Ben Youssef, maître de conférences à l’université Côte d’Azur et expert en numérique. L’objectif dans le deuxième épisode du podcast du CJD est de comprendre les défis et d’envisager des scénarios pour l’avenir.
Selon Ben Youssef, l’échec relatif de la transformation digitale en Tunisie n’est pas dû à une simple approximation, mais plutôt à la nécessité d’une rupture totale avec les pratiques existantes. Cette transition majeure tarde à se concrétiser en Tunisie, et divers obstacles se dressent sur son chemin.
Résistance humaine et habitudes
La première barrière est d’ordre humain, avec une population tunisienne réticente au changement. La dynamique des relations citoyennes avec des environnements non numériques entrave également la progression. La résistance des utilisateurs peut s’expliquer par un manque de compétences ou une adhérence aux habitudes établies. Par exemple, la préférence persistante pour la version papier d’un certificat de propriété illustre cette réticence.
Héritage historique et complexité administrative
Le contexte historique colonial et l’héritage d’une administration conservatrice complexe rendent la situation encore plus difficile. Une remise en question profonde, voire un désapprentissage, semble nécessaire avant de plonger dans un processus d’apprentissage potentiellement coûteux, avec le risque d’inefficacité. La peur et la mauvaise compréhension de la digitalisation par l’administration compliquent davantage les choses.
Obstacles juridiques
Même lorsque des agents de l’Etat cherchent à promouvoir le changement, les obstacles juridiques entravent souvent la mise en œuvre effective. L’écriture de lois ambiguës et incompréhensibles par manque de clarté crée des interprétations multiples, bloquant ainsi l’application précise des réglementations.
La transformation digitale en tant que projet social
La digitalisation va au-delà d’une simple spécialité ministérielle. Elle nécessite une approche transversale qui dépasse les intérêts individuels pour offrir un service optimal aux citoyens. c’est avant tout un projet de transformation sociale qui, pour réussir, nécessite un fort soutien politique et un leadership engagé.
Quatre scénarios possibles
Ben Youssef propose 4 scénarios pour l’avenir de la Tunisie en matière de transformation digitale:
1. Scénario noir: une rupture négative conduisant à un blocage factuel et à un échec de la transformation digitale, avec des conséquences graves telles que la fuite des jeunes talents et des multinationales, renforçant potentiellement l’économie parallèle.
2. Transformation lente: une évolution graduelle avec un bricolage digital et un manque de synergie entre les projets, entraînant des millions d’heures perdues et un gaspillage d’argent public.
3. Simplification et libéralisation: un scénario optimiste visant une simplification et une libéralisation de l’écosystème, nécessitant des investissements dans de nouvelles infrastructures via le secteur privé et les télécommunications. cela pourrait conduire à une transformation significative dans l’approche client-citoyen, favorisant une attractivité des compétences à l’échelle nationale et internationale.
4. Prise de conscience totale: un rêve permis, où la société tunisienne prend pleinement conscience du pouvoir transformateur du numérique. cela pourrait entraîner une multiplication significative du PIB, avec une croissance estimée entre 6% et 7% sur 30 ans.
Perspectives d’avenir
Pour concrétiser les scénarios optimistes, la préparation des futures compétences est essentielle. En orientant ces compétences vers des niches avec des avantages comparatifs puissants, la Tunisie peut exploiter un vivier humain existant, notamment dans les filières scientifiques. la création d’un hub de l’intelligence artificielle est envisageable, capitalisant sur un potentiel considérable dans des domaines où la Tunisie se positionne parmi les premiers mondiaux. Cependant, des défis subsistent, tels que le chômage dans ces filières, en particulier parmi les femmes.
En conclusion, la transformation digitale en Tunisie est un défi complexe mais potentiellement porteur. Des choix stratégiques, une volonté politique et une sensibilisation accrue pourraient façonner un avenir numérique plus prometteur pour le pays.