Lors de la 23e édition du Forum de l’Economiste Maghrébin, le premier panel porte sur la concrétisation de la transition énergétique. Intitulé “Transition énergétique, de l’ambition à l’action”, quatre panélistes traitent de la question, modérés par Habib Karaouli, PDG de Cap Bank. Des mesures telles que l’autoproduction, la taxe carbone et l’hydrogène vert sont évoquées de nombreuses fois comme solutions à la transition énergétique.
Belhassen Chiboub, ministère de l’Industrie: un projet de taille en énergies renouvelables
Belhassen Chiboub, DG des énergies renouvelables au ministère de l’Industrie, de l’Energie et des Mines, détaille les plans du ministère concernant la transition énergétique. “Nous n’en sommes qu’à 52% de déficit aujourd’hui, et qui était à 59% en 2019. L’ouverture de Halk El Menzel a notamment amélioré la situation. Nous nous sommes fixé un objectif à 30% d’énergies renouvelables en 2030. Le premier régime de transformation de la production d’énergie passe par l’autoproduction. Après un contrat avec la STEG, les installateurs mettent en place des dispositifs. Le programme Prosol-Elec crée un tissu industriel d’installateurs. Nous en sommes à 75 000 installations dans les maisons. Un autre volet s’ajoutant à cela, c’est la taxe carbone. Nous voulons avoir un système qui permette à nos industriels d’être toujours compétitifs sur les marchés européens. Nous avons fait trois projets en éolienne et photovoltaïque. Ensuite vient le régime de la substitution par excellence.”
Le continent africain est le continent des nouvelles opportunités pour les énergies renouvelables. “Après avoir lancé un appel d’offres, les meilleurs tarifs sont venus des pays d’Afrique subsaharienne. Nous avons dû discuter avec les bailleurs de fonds pour définir la bancabilité de ces projets. Nous sommes arrivés à une structuration des accords bancables et faisables”, déclare Chiboub.
Il réalise une annonce publique d’un projet de grande envergure du ministère: “Nous lancerons 2 000 mégawatts en concession en ayant recours aux promoteurs et aux startups. Ces projets sont répartis sur trois appels d’offres.”
Comment stocker les énergies renouvelables? Il y répond avec trois nouvelles technologies. “Les batteries sont développées à l’échelle internationale, avec 4h de stockage batterie. Il y a également le CSP, au coût de production élevé (CSP pour centrale solaire thermodynamique). Puis il y a les STEP (stations de transfert d’énergie par pompage) qui utilisent l’énergie hydroélectrique.”
En supprimant les frais de douane sur les voitures électriques, et en mettant en place l’hydrogène vert, la consommation et la production d’énergie changeront.
Serge Degallaix, Fondation Prospective et Innovation: à l’horizon de la COP27, un bilan sur les énergies renouvelables en Afrique
Serge Degallaix, directeur général de la Fondation Prospective et Innovation, analyse la situation en Tunisie à la lumière de la prochaine COP27 à Sharm El-Sheikh (Egypte): “Nous sommes à cinq mois de la COP27 à Sharm El-Sheikh. L’Egypte a déjà soumis plusieurs propositions concernant les énergies renouvelables. A Glasgow, lors de la COP26, le succès a été mitigé. Il y a eu le cas sud-africain avec l’annonce d’un effort très important pour aller du charbon vers des énergies moins polluantes.”
Il prend du recul concernant les débuts de la transition climatique et l’état actuel: “Depuis 30 ans, c’est-à-dire les années ’90, l’objectif fixé de diminution de -1.5°C n’a pas été tenu, ni la limite du réchauffement à moins de 2°C. Depuis 30 ans, l’Europe est pratiquement le seul continent à avoir baissé ses émissions de carbone. Les USA sont au même niveau en 2020 qu’en 1990. En Chine, les émissions de carbone ont été multipliées par 3.”
Alors que les objectifs de diminution n’ont pas été réalisés, ils risquent d’être rendus encore plus difficiles à l’avenir. “Les émissions ne vont cesser de croître, avec l’électrification élargie. Nous constatons par exemple dans les véhicules automobiles l’augmentation des prix des voitures Tesla de 7000€ pour leur modèle de base. Les travaux d’isolation thermique en France ont augmenté de 30%.”
Concernant le financement, les accords de 2015 consacrent 100 milliards de dollars par an à la transition énergétique. Ces engagements n’ont pas été tenus, tant au niveau du montant que de l’investissement des financements. Même ce budget de 100 milliards est insuffisant, selon Serge Degallaix.
Serge Degallaix explique la structure nécessaire à la transition énergétique: “Toutes ces énergies nouvelles ont besoin de technologies, d’un personnel formé et d’appareils fonctionnant avec cette nouvelle énergie. Les véhicules électriques notamment changent le travail des fournisseurs.”
L’autre sujet discuté à Sharm El-Sheikh, évoqué de nombreuses fois par Macky Sall, est la place des énergies fossiles dans les pays émergents. Serge Degallaix détaille le paradoxe du continent africain: alors que ⅖ des ressources de gaz dans le monde sont en Afrique, au moment où l’Afrique accède à cette énergie, les financements internationaux sont devenus réduits.
Un rapport de la Banque mondiale évoque la taxe carbone, rapporte Degallaix: il y a 36 taxes carbone, avec 32 marchés du carbone. La taxe carbone s’applique à seulement 4% des émissions de carbone dans le monde à un prix assez dissuasif pour convaincre à la transition.
Stéphane Aver, Aaqius : l’hydrogène est l’avenir de l’énergie, aboutissement de 10 ans de recherches confidentielles
Stéphane Aver, chairman de Aaqius, présente l’entreprise: “Nous sommes spécialisés dans la chaîne de valeur hydrogène. Cela comprend le stockage et la production d’électricité notamment. Nous avons également la branche d‘activité restée longtemps confidentielle. Elle concerne une découverte extraordinaire dont la Terre nous a caché l’existence. Il s’agit d’hydrogène naturel, présent dans le sol. Le vecteur énergétique de l’hydrogène est disponible sous forme de ressources naturelles, il a été découvert en 2008 en Russie.”
Cette ressource est exceptionnelle, car elle a beaucoup de qualités. Il évoque l’absence de nécessité de forage pour y accéder. Au Maroc, en Afrique centrale et au sud du continent africain, il existe des puits d’hydrogène naturel.
Concernant la Tunisie, elle a un potentiel important pour cette ressource. “Cette nouvelle ressource naturelle avec de nouvelles perspectives de production d’hydrogène propre à faible profondeur est l’avenir. C’est la ressource que nous identifions dans nos modélisations scientifiques dans les 10 à 20 ans à venir. Après dix ans de recherches dans le plus grand secret, nous souhaitons rendre l’information publique. L’Afrique a une position centrale pour cette ressource.”
Le prix de l’hydrogène naturel défie toute concurrence, selon Stéphane Aver: “Le défi majeur de la transition énergétique est de répondre aux besoins dans un horizon très proche avec un minimum d’émissions. En sortie de puits aujourd’hui, le coût de l’hydrogène naturel au Mali est de 0,50 centime le kilo. Ce coût est très compétitif par rapport à d’autres modes de production.”
Aymar de Germay, Tilia France : les autorités locales ont un fort pouvoir d’action pour les énergies renouvelables
Aymar de Germay, DG de Tilia France (conseil en transition énergétique et écologique), a également occupé la fonction de directeur d’un syndicat départemental énergie en France. Grâce à cette double fonction, il connaît à la fois le terrain entrepreneurial et des autorités locales. “Après la Seconde Guerre mondiale, la France a fait le choix d’une approche centralisée pour reconstruire son réseau énergétique grâce à EDF. Avec ces enjeux climatiques, nous revenons aux sources. Les régies communales ont mis en place des réseaux pour l’énergie. Le réseau national de transport et de distribution, ainsi que l’utilisation du nucléaire suffisent à la consommation.”
Pour Aymar de Germay, les acteurs tels que les collectivités territoriales et même le bloc communal deviennent l’acteur pivot de la transition énergétique communale: “Comme le disait Chirac: “Notre maison brûle et nous regardons ailleurs”. Aujourd’hui, en France, 27% de la consommation finale d’électricité est couverte par les énergies renouvelables. Nous pourrons atteindre les 30% d’ici 2030, comme défini dans l’objectif. “
Les locavores de l’alimentation sont une notion connue. Il y a également les locavores de l’électricité, selon Aymar de Germay. “Il y a aussi l’enjeu sociétal des circuits courts: produire local et consommer local. Cela permet de faire participer tous les acteurs pour organiser la vie énergétique. Cette transition se construit sur les territoires en utilisant les ressources d’une commune à l’autre, chacune avec ses propres ressources. Depuis quelques mois, il y a 30 à 40% de hausse de la facture d’électricité pour les collectivités.”
La transition énergétique s’appuie sur deux piliers: baisser la consommation d’énergie et produire des énergies renouvelables. L’enjeu de la mobilité propre, électrique ou à hydrogène, se traite au niveau des territoires, selon De Germay. “Le phénomène d’autoconsommation se développe beaucoup en France. Des usines installent des panneaux photovoltaïques sur leur toit et fournissent l’électricité aux alentours. D’autres réseaux distribuent de la chaleur en hiver et de la fraîcheur en été grâce à la géothermie. Des logiciels pilotent ces réseaux. Ils arrivent au smart grid multi-énergie.”
Il insiste à nouveau sur les dynamiques locales: “Il faut une stratégie territoriale adossée aux dynamiques locales et nationales. Egalement, il est nécessaire de responsabiliser et faire confiance aux collectivités: mettre en place des tarifs d’achat et une visibilité, sans oublier la démultiplication des petits projets. En France, par exemple, les collectivités peuvent être actionnaires des projets grâce à une simple décision du conseil d’administration.”
En impliquant les structures industrielles, de recherche et locales, la transition énergétique est non seulement possible mais aussi réalisable. Les objectifs du passé sont atteignables.
Article sur le mot d’ouverture
Forum de l’Economiste Maghrébin : la question de la transition énergétique au coeur du débat