Trois secteurs critiques de l’économie tunisienne sont particulièrement vulnérables au changement climatique : l’agriculture, la pêche et le tourisme. Pour l’instant, il existe peu de données sur les impacts économiques du changement climatique dans ces secteurs. Avec de meilleures données et une sensibilisation accrue à ces risques et opportunités potentiels, la Tunisie peut prendre des décisions éclairées sur l’action climatique.
En vue de combler cette lacune, le ministère tunisien de l’Environnement, en collaboration avec l’ambassade britannique à Tunis, a commandé le rapport Getting Ahead of Climate Change : Risques et opportunités économiques pour la Tunisie. Principalement basé sur la recherche documentaire, le développement du rapport a également inclus des discussions de groupe ciblées avec des représentants impliqués dans cette section. Le rapport vise à rassembler les travaux existants afin de mettre en évidence les types de changements auxquels on peut s’attendre dans les trois secteurs dans les années à venir.
En termes de conclusions de haut niveau, le rapport présente trois éléments : la Tunisie est très exposée au changement climatique, son climat sera plus chaud et plus sec, avec des changements dans les principales précipitations saisonnières et le pays sera également exposé à l’élévation du niveau de la mer et à l’augmentation de la salinité et de l’acidification.
Cette exposition crée un ensemble de risques pour l’agriculture, la pêche et le tourisme.
Agriculture : sécheresse et baisse de la production
La production d’olives et d’huile d’olive sera affectée par la disponibilité de l’eau et l’augmentation du nombre de jours chauds. Ce sera l’une des principales façons dont le climat sera ressenti par les agriculteurs et pourrait entraîner des pertes d’exportation annuelles de l’ordre de 228 millions de dollars US d’ici 2100.
Les dattes sont moins impactées mais le changement climatique pourrait augmenter le nombre de parasites et entraîner des changements dans les périodes critiques de floraison et de pollinisation. Il n’existe pas d’analyse spécifique à la Tunisie, mais sur la base des estimations des impacts dans des pays similaires, 20 à 26 millions de dollars d’exportations pourraient être menacés en 2050 et 72 à 85 millions de dollars en 2100.
La production céréalière sera sévèrement affectée avec des réductions estimées à 30-50% de la contribution au PIB agricole d’ici 2100 et 30 % de pertes d’emplois d’ici 2050. Cela va encore nuire à l’autosuffisance et augmenter la dépendance aux importations.
Le secteur agricole (y compris la pêche) constitue 10% du PIB de la Tunisie. Les pertes économiques en raison du changement climatique dans ce secteur sont substantielles, 5 à 10 % du PIB sectoriel d’ici 2030. Ces pertes sont le résultat des impacts combinés de la dégradation des ressources en eau et des nappes phréatiques, de la baisse des rendements, de la diminution de la surface adaptée aux cultures arboricoles et céréalières, et d’un risque accru d’incendies.
S’il est difficile de chiffrer exactement le coût des dommages attendus en raison de l’augmentation des inondations et des sécheresses, il ne fait aucun doute qu’il sera considérable. Les estimations économiques suggèrent que l’impact pourrait s’élever à 11,52 millions de dollars par an dans le seul secteur forestier d’ici 2030, tandis que les estimations des pertes d’emplois dans le secteur varient entre 8 250 et 16 000 emplois, pouvant atteindre 37 000 emplois en cas de sécheresse majeure.
Pêche : perte d’espèces sauvages et augmentation des espèces toxiques
L’industrie de la pêche va changer de manière spectaculaire et dynamique, avec des pertes d’espèces existantes et une augmentation des espèces non indigènes. Les espèces non indigènes présenteront à la fois des risques et des opportunités – avec une transition adéquate, les rendements des pêcheries marines pourraient en fait augmenter.
L’aquaculture restera importante, mais les principales espèces de poissons d’élevage seront confrontées à un risque accru de maladies.
L’impact sur la pêche sera spécifique à chaque région, avec des impacts critiques pour les populations particulièrement vulnérables, notamment le charfia dans les îles Kerkennah et la pêche aux palourdes dans le Sud, qui est principalement pratiquée par les femmes.
Le secteur de la pêche est susceptible d’être confronté à des tempêtes et des vagues de chaleur plus fréquentes, à l’élévation du niveau des mers et à des températures plus élevées. Ces phénomènes auront un impact sur la mortalité des populations de poissons et influenceront la production et la prolifération d’algues toxiques et d’espèces nuisibles. Ils entraîneront également une perte de surface pour les zones de pêche et de collecte.
Néanmoins, les projections de changement climatique pour le secteur indiquent que les ressources halieutiques pourraient connaître une tendance inverse, avec une augmentation de la productivité des zones de pêche en mer permettant une augmentation des ressources de 85% d’ici 2050 et de 175% d’ici 2100 (soit entre 80 000 et 150 000 tonnes de produits de la pêche supplémentaires).
D’autre part, la pêche artisanale côtière, la pêche au charfia et la pêche côtière à la palourde pourraient connaître une diminution très importante avec des impacts socioéconomiques négatifs au niveau local.
Dans ce contexte, les impacts économiques pourraient être positifs au niveau national, mais négatifs au niveau local. Selon des études nationales et d’autres recherches et données disponibles, au niveau local, l’impact économique négatif le plus important est la perte potentielle d’au moins 20% des emplois dans le secteur et une diminution du revenu des travailleurs de 30 à 50 %.
Cependant, avec la valeur associée de nouvelles espèces et l’augmentation des rendements dans les pêcheries marines, l’impact économique au niveau national pourrait être positif, avec une augmentation du nombre d’emploisi allant jusqu’à 29% d’ici 2030 et jusqu’à 56% d’ici 2050. En 2010, le secteur de la pêche représentait environ 1,9% du PIB ; dans les années à venir, ce chiffre pourrait augmenter sous l’impact du changement climatique.
Tourisme : réduction des zones de plage et risques pour les propriétés côtières
Le tourisme en Tunisie est particulièrement exposé au changement climatique, étant donné la prédominance des destinations touristiques balnéaires. L’élévation du niveau de la mer réduira les zones de plage et augmentera le risque pour les propriétés côtières – une élévation de 50 cm du niveau de la mer pourrait entraîner une perte de capital productif d’environ 3,6 milliards de dinars tunisiens (environ 1,5 milliard de dollars US).
Le changement climatique modifiera les saisons touristiques, rendant les périodes de pointe estivales moins attrayantes en raison de la chaleur, mais augmentant le potentiel d’attraction des touristes au printemps et à l’automne.
Les risques indirects sont également importants pour le tourisme. Le stress hydrique, en particulier, est un problème majeur pour le tourisme, notamment pendant les périodes de pointe estivales, et peut constituer un risque plus important que l’augmentation de la température.