Les environs sont d’un vert profond, l’horizon court à perte de vue, le soleil luit dans un ciel d’azur. Nous errons dans les ruines découvertes d’une cité impériale romaine, quasiment intacte. Les avenues sont toujours pavées, les allées, les rues, tout est là. Les bains, les temples et puis, les villas souterraines romaines, avec leurs mosaïques. Ce sont les seuls vestiges connus à ce jour de ce type de construction qui préservent leurs habitants de la chaleur de l’été et de la froideur de l’hiver. Les seules villas souterraines romaines découvertes et visitables de l’ensemble du pourtour méditerranéen. Nous sommes à Bulla Regia, au Nord-Ouest de la Tunisie, à seulement trois heures de la capitale.
Et il n’y a pas un seul café, pas un seul restaurant, pas un seul hôtel, pas une seule offre d’hospitalité qui serait capable d’accueillir, d’une manière convenable et digne, des touristes qui vivent en 2021. Sans même aller jusqu’à une offre qui cible un marché de niche et haut de gamme. Les villages environnants transpirent la misère. Les enfants vont en haillons et pieds nus, été comme hiver. Notre territoire détient là, juste là, un trésor unique pour lequel il existe plusieurs marchés, sans même commencer à parler de tous les autres endroits similaires que notre pays recèle. Des gens riches, dans les pays développés et aux économies fortes, sont à la recherche d’expériences comme celles que les villas souterraines et nos autres ressources pourraient offrir.
Ces marchés pourraient permettre de développer et d’enrichir cette région et d’autres. Et pourrait offrir aux habitants de ces zones déshéritées et oubliées par le développement national une vie digne et du travail dans leurs localités et en valorisant leurs ressources culturelles. Pour rappel, en 2015, l’agence publique de promotion du tourisme aux Pays-Bas évaluait que les dépenses journalières moyennes d’un touriste « culturel » surpassaient de plus de 80% celles des autres visiteurs. Pour arriver à atteindre ces objectifs, il suffirait d’un peu d’imagination, d’ingénierie culturelle, d’encouragement à l’investissement et, prioritairement, de redonner à ces habitants un récit positif dont ils pourraient se saisir et de l’espoir qu’avec de l’effort et du travail, ils pourraient créer de la valeur à partir de leur patrimoine.
Une destination: un cachet, un brand
Récemment, la Fondation Rambourg a soutenu et accompagné un porteur de projet qui cherchait à revaloriser le patrimoine et les ressources culturelles de la montagne de Jbel Semmama, dans la région de Kasserine. Cela a représenté trois ans d’accompagnement, un budget d’environ 1,2 million de dinars et la construction d’un centre culturel de plus de 1000 m2 qui draine régulièrement des visiteurs attirés par l’offre culturelle de cet espace unique et ce, en dépit de la situation sécuritaire difficile de la région. Ce projet a été accompagné par JTI et la STB. Cette expérience a permis de développer un prototype pour ce type d’intervention et d’accompagnement ainsi que des leçons pour ne pas répliquer les erreurs dues au prototypage et un blueprint de ce à quoi pourrait ressembler une tentative d’accompagnement et de développement de projets similaires qui pourrait être adapté à l’ensemble du territoire en incluant, à chaque fois, les spécificités des ressources culturelles locales. L’expertise que nous avons développée est au service du pays et des institutions qui souhaiteraient l’utiliser pour répliquer cette expérience.
La pandémie de laquelle le monde commence doucement à sortir a rebattu les cartes. Et c’est peut-être l’occasion pour se décider à redéfinir ce que pourrait être la destination Tunisie. Le patrimoine culturel matériel et immatériel de notre pays, de nos territoires, de nos régions est immense. Les différentes strates historiques qui ont traversé notre pays lui ont donné un cachet unique. Et il nous serait facile de développer une image de marque nationale visant à attirer des touristes de qualité recherchant une expérience culturelle unique et multiple qui produirait des richesses en respectant nos ressources patrimoniales. Pour cela, il est nécessaire de mobiliser des énergies et des financements publics et privés derrière un projet commun, collectif, vital qui donnera un dynamisme entrepreneurial à celles et ceux qui n’ont plus d’espoir et qui sont dans l’attente. Alors que nous avons épuisé l’ensemble des options, il serait temps de considérer celles qui pourraient redonner aux localités et à leurs habitants un contrôle de leur destinée et leur redonner le sens de l’accomplissement et du travail par le biais de leur patrimoine et de leurs ressources culturelles locales.