« Je suis africain, non pas parce que je suis né en Afrique, mais parce que l’Afrique est née en moi », disait Kwame Nkrumah, le panafricaniste ghanéen convaincu qu’aucun État ne peut résister individuellement aux grandes puissances et qui prônait la formation d’une identité supranationale avec des « États-Unis d’Afrique » qui permettraient au continent de devenir l’une des plus grandes forces du monde.
De la littérature, disent les plus avertis qui connaissent tous les rendez-vous manqués au cours des décennies, à commencer par la Tunisie, qui a pourtant donné son nom au continent, lui a longtemps tourné le dos entre maladresses et hésitations ; à l’exception du secteur privé tunisien qui n’a jamais cessé de croire en l’Afrique et d’y investir dans toutes sortes de domaines.
Il était donc dans l’ordre des choses qu’une radio privée tunisienne (ShemsFM) dédie une émission spéciale au continent Africain en Tunisie : « Cap Sur l’Afrique » qui s’attache à l’actualité, bien sûr, mais aussi à montrer les atouts de la Tunisie et ses initiatives sur le continent.
La recette semble simple : de la franchise, et même de l’autocritique.
Tunisair alignera 15 avions en juillet
Khaled Chelly, PDG Tunisair, a été le premier des intervenants de l’émission à parler en toute franchise des difficultés à se déployer en Afrique tout en promettant un engagement dans les destinations lointaines avec plus de capacité de fret. « Nous nous engageons avec le ministère des Affaires étrangères à dynamiser toutes les lignes ‘intéressantes’ pour l’économie tunisienne. Le MAE entreprend de supprimer les visas vers certains pays africains, mais il va falloir demander à certains pays africains de supprimer les visas pour les expositions, et aussi l’assouplissement de certaines barrières douanières », ajoute Chelly qui rappelle que ce qui entrave le développement de Tunisair vers plus de destinations c’est le coût des charges aéroportuaires, taxes et redevances.
Il promet d’accompagner les entreprises tunisiennes pour leur développement en Afrique et de connecter les pays africains aux destinations européennes, d’Amérique du nord et du Moyen-Orient : « Nous avons réussi à rétablir 12 appareils qui vont spécialement desservir le continent africain et les pays européens, nous avons une campagne très importante en 2021 pour les ressortissants tunisiens à l’étranger et, d’ici le mois de juillet, nous aurons 15 avions. Mais ce n’est pas le nombre des avions qui est le plus important, car la qualité des services sera au centre de nos préoccupations, spécialement à propos de la régularité de nos vols. Trust us…Faites-nous confiance et d’ici 2022, vous allez retrouver la Tunisair que vous avez connue dans les années 2000. »
La francophonie et la TICAD 8 pour réunir les Africains
Jalel Snoussi, directeur général pour l’Afrique et les organisations régionales africaines au ministère des Affaires étrangères, assure que la dimension africaine est bien ancrée dans la politique tunisienne qui n’a pas cessé de la consolider et s’attarder sur la crise : « Cette journée est célébrée aujourd’hui dans un contexte sanitaire mondial où l’Afrique affronte la pandémie avec une marge de manœuvre limitée. Nous vivons la pire crise africaine depuis plus de 25 ans et la Tunisie s’associe aux appels internationaux pour rendre disponible le vaccin, convaincus que la logique du marché n’est pas censée prévaloir. Ceci alors que nous constatons l’aggravation des indicateurs sociaux, notamment le taux de chômage, en Afrique dont les économies font face au défi de se diversifier. »
Snoussi insiste sur la solidarité au sujet de la Covid-19 au moment où la Tunisie et la France ont appelé le Conseil de sécurité de l’ONU à un compromis sur un projet de résolution sur la pandémie de coronavirus ; la résolution 2532 exigeant la cessation des hostilités pour faire face à la pandémie de Covid-19, notamment pour faciliter l’accès aux médicaments.
« Le tableau n’est pas aussi sombre que l’on imagine si l’humanité tout entière tente de transformer le défi de la pandémie en des opportunités partagées pour inaugurer une nouvelle phase de coopération et de partenariat articulé autour d’un nouvel ordre économique mondial équilibré, un changement de paradigme, passer de la gestion de la pauvreté à la gestion du développement, à commencer par la question de la dette et la mobilisation des Africains pour se réapproprier leurs ressources. Le potentiel de notre continent est colossal mais il faut accélérer le processus d’intégration, lancer la zone de libre-échange. Nous aurons à en discuter de nouveau lors de deux sommets très importants qui vont être organisés en Tunisie : Le sommet de la francophonie que Djerba abritera les 20 et 21 novembre 2021, et la 8ème Conférence Internationale de Tokyo sur le Développement de l’Afrique (TICAD 8) que la Tunisie accueillera en 2022 », commente-t-il.
Créer une zone de libre-échange interafricaine
Lambert-Alexandre Ouedraogo, Ambassadeur du Burkina Faso en Tunisie, trouve tout à fait pertinent que, cette année, la Journée de l’Afrique soit célébrée autour de la thématique ‘Art, culture et patrimoine’ : « La culture nous réunit tous, si j’avais peur de vous rencontrer je ne serais pas là, si j’avais peur du jugement que vous pourriez porter sur moi je ne serais pas là, le regard de l’autre est ce qui fait que nous pouvons vivre ensemble. Pour son 58e anniversaire, l’Union africaine a ainsi choisi de magnifier la culture. Il se trouve que cette célébration coïncide également avec l’anniversaire de la promulgation de la charte culturelle africaine qui a été votée à Khartoum (Soudan) en 2006. C’est à partir de cette renaissance culturelle que l’Europe a connu son essor et l’Afrique est capable d’en faire autant. »
L’ambassadeur regrette que, pendant longtemps, les Tunisiens ont plutôt regardé un peu en haut et se félicite que, depuis les six dernières années qu’il est en poste à Tunis, ils sont désormais en train de regarder un peu en bas (rire de l’assistance) vers ce qu’ils sont en réalité : Africains !
« Le continent nous appartient à tous, du nord au sud et d’est en ouest, un même peuple. Le Sénégal produit du riz en abondance, alors pourquoi la Tunisie irait acheter du riz à Taïwan ? Sauf si les Sénégalais ne produisent pas assez pour les besoins tunisiens. La Tunisie est experte en beaucoup de domaines, notamment technologiques et le Burkina Faso a été invité d’honneur du Salon international de l’agriculture, machinerie et pêche –SIAMAP- et j’ai pu constater cette expertise en agriculture, vous pouvez nous aider, nous les Sahéliens, à améliorer notre culture du riz et du coton où le Burkina Faso est un petit champion. La décision de créer la zone de libre-échange interafricaine participe de cet esprit, et à voir les hommes d’affaires venus de toutes parts du continent, je les encourage à travailler ensemble », ajoute-t-il en soulignant que la Covid-19 nous a ouvert les yeux pour compter sur nos propres forces parce que, quand la pandémie s’est déclarée, chacun s’est mis à se préoccuper de sa propre population : « Le continent devrait se donner les moyens et l’infrastructure pour être en mesure de produire sur place tout ce qu’il nous faut. Le continent est capable de se nourrir lui-même, de se vêtir lui-même et de s’équiper lui-même ».
Un modèle de Sustainable Business
Mondher Essid, DG Oradist, met l’Afrique en facteurs : « Nous célébrons aujourd’hui l’Afrique, non seulement berceau de l’humanité mais aussi continent de l’avenir, car les dernières statistiques du cabinet de conseil McKinsey montrent qu’en 2030, l’Afrique aura une population de 1,7 milliard d’âmes (dont 60% au-dessous de 30 ans) et 6,7 trillions de dollars de consommation. De plus, vu la croissance de ces dernières années, 43% de la population de l’Afrique appartiendra à la classe moyenne et supérieure à l’horizon 2030. Nous croyons en l’Afrique, le sang africain circule dans nos veines et nous avons toutes les raisons de nous investir tous dans le co-développement du continent en TIC et en infrastructures. »
Il souligne que TMI, avec ses 35 ans d’expérience dans les solutions informatiques complexes, et Oradist, avec ses 25 ans d’expertise en solutions Oracle, conjointement forts de 200 collaborateurs en majorité consultants techniques et fonctionnels, ont fait le choix stratégique de l’Afrique et de la coopération Sud-Sud : « Acteurs majeurs dans les TIC qui seront le levier principal du développement économique de toute l’Afrique, TMI et Oradist ont réussi à créer un modèle de Sustainable Business que nous consolidons de plus en plus. Plus de 60% du chiffre d’affaires de TMI est à l’export et nous couvrons ensemble 39 pays africains, notamment l’Afrique francophone et je découvre, depuis 5 à 6 ans avec la nouvelle génération, que nous pouvons nous déployer sans complexes dans les pays africains anglophones. Notre conviction pour la coopération Sud-Sud est fondamentale, nous croyons au transfert du Know How entre nos pays, et si la Tunisie est un petit pays, avec les 54 pays africains, nous pourrions ensemble devenir une force énorme. »
Rappelons que la Journée mondiale de l’Afrique a été célébrée cette année le 25 mai 2021 autour de la thématique « Art, culture et patrimoine », une date qui fait référence à la naissance, le 25 mai 1963, de l’Organisation de l’Unité africaine, future Union africaine (UA). Cette année, la journée de l’Afrique marque également l’entrée en vigueur officielle de la Charte de la Renaissance culturelle africaine, qui promeut les valeurs culturelles africaines comme levier de développement.