L’industrie textile est encore prospère en Tunisie. C’est un important pilier de l’économie tunisienne qui contribue avec près de 2,6 milliards de dollars, employant 160 000 personnes et compte environ pour le quart des exportations totales du pays, selon les estimations d’Oxford Business Group. Néanmoins, en dépit de sa forte contribution à l’activité économique, à l’échelle mondiale, l’impact environnemental de cette industrie est parfois pointé du doigt. Avec plus de 100 milliards de vêtements produits chaque année dans le monde pour 7 milliards de personnes, elle est considérée comme une industrie polluante. De surcroît, il faut environ 7 500 litres d’eau pour produire une paire de jeans. Ajouté à cela la quantité de déchets. En effet, environ 20% de la production mondiale totale est invendue. Sans oublier que plus de 8 000 produits chimiques sont nécessaires dans les différents processus de la chaîne de valeur textile, par exemple 90% du coton est génétiquement modifié. Mehdi Abdelmoula, CEO du groupe maille Club et Président de la Chambre nationale des chaînes de magasins, infirme cette idée d’industrie polluante. Il explique que pour minimiser les déchets de tissu, les industriels optimisent la chaîne de valeur. Et de préciser : “Quand le tissu est coupé pour être transformé en produit, par exemple en prêt-à-porter, l’industriel a intérêt à optimiser l’utilisation des matériaux, surtout pendant cette période de coupe budgétaire. Il y a des logiciels qui optimisent aujourd’hui le placement du patron sur le tissu pour réduire le gaspillage. Il y avait également quelques initiatives pour transformer les déchets de tissu en tapis et moquettes”. Il nuance pour dire que c’est plutôt la phase de la teinture qui peut être plus polluante car il y a une consommation plus importante de l’eau et des colorants polluants. Et à ce titre, il indique que les industriels qui ont recours à la teinture sont obligés systématiquement d’avoir une station d’épuration des eaux pour que les déchets, une fois rejetés, ne soient pas polluants.
Donner du sens à l’achat… pour un secteur plus eco-friendly
Clairement, une prise de conscience plus générale s’est manifestée chez les consommateurs et les producteurs de textile. Des mesures plus durables et plus rentables se sont avérées alors nécessaires. Des initiatives ont été lancées, comme le programme SwitchMed, mis en œuvre par l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI) et financé par l’Union européenne, et ce pour répondre à la question des ressources plus efficaces et une production plus propre et l’importance d’y investir pour les entreprises et l’environnement. Cette année, SwitchMed a lancé l’initiative MED TEST III pour “Promouvoir des chaînes de valeur circulaires pour une industrie textile plus verte et plus compétitive” en Tunisie et dans d’autres pays du Sud de la méditerranée comme l’Égypte et le Maroc. L’objectif de cette initiative est de sensibiliser les parties prenantes et les industriels à investir dans des chaînes de valeur circulaires écologiques mais rentables. Celles-ci valorisent le recyclage des déchets textiles, font recours à des pratiques de gestion des produits chimiques qui protègent tous les intervenants.
Un secteur qui se reconstruit
L’impact de la crise de Covid-19 était plus sévère pour les petites entreprises et les marques de prêt-à-porter. “Pendant près de deux mois, il n’y a pas eu du tout de vente, ni dans les boutiques ni même sur notre plateforme e-commerce”, nous a révélé Anissa Meddeb, propriétaire de la jeune marque Anissa Aida, inspirée de la culture méditerranéenne et japonaise et connue pour son style minimaliste et épuré. Sofiane Ben Chaabane, co-fondateur et CEO de la marque de prêt-à-porter LYOUM, explique qu’avec le confinement puis le couvre-feu, les gens sortent moins. Par conséquent, il y a moins d’occasions pour changer d’habits. Ce qui freine l’acte d’achat, bien qu’il y ait eu une croissance des achats en ligne. Anissa Meddeb affirme, de son côté, ce changement de comportement des consommateurs et des investisseurs qui sont plus portés par des valeurs. Ceux-ci exigent de plus en plus que les marques soient respectueuses de l’environnement. “Ils demandent un grand changement, on a tous pris conscience que la planète allait mal et qu’il fallait trouver de nouvelles solutions”, a-t-elle confirmé. Pour sa part, elle a fait face à une demande de plus de transparence dans la production. Un aspect qui ne lui déplait pas car il lui donne la possibilité de transmettre de plus en plus ses inspirations et de valoriser le travail des ateliers. De plus en plus de designers tunisiens sont éco-conscients. Ils utilisent des techniques de recyclage et d’upcycling pour participer à la transition écologique. Il s’agit de prendre des matériaux anciens ou indésirables et de les transformer en une pièce nouvelle et moderne en incorporant des tissus de haute qualité. Anissa Meddeb en a vu une opportunité pour ce qui est des masques. Ainsi, elle a utilisé l’upcycling et elle a créé des masques avec toute la chute et le reste des rouleaux de tissus. Ce qui lui a permis de relancer le business. Elle vise aussi à produire moins dorénavant pour minimiser les invendus. Pour des marques indépendantes, telles que LYOUM, la taille de leur entreprise était un atout. Ils étaient plus agiles et ils prenaient des décisions pour minimiser les dégâts. “On a pu annuler notre collection d’été vu qu’on est sur des chaînes de décision assez rapides. Cette collection n’était pas encore partie en production, ce qui a facilité la prise de décision. On s’est organisés avec nos partenaires de production qui sont proches de nous pour être plus réactifs et agiles, la collection passe à la production vers la dernière minute”, a indiqué Sofiane Ben Chaabane. LYOUM fabrique leur production sur des ateliers et des unités de production locaux en Tunisie. Cette marque tunisienne a su créer son offre et achalande régulièrement à l’étranger et en Tunisie. “Tout repose sur notre capacité de créer un produit et de raconter notre histoire à nous”, a-t-il indiqué avec fierté. Il estime, par ailleurs, qu’il va falloir continuer à optimiser les dépenses parce que la crise continuera pendant les prochains mois. Et d’ajouter: “Les gens qui viennent vers nous savent que malgré la crise, le produit reste stable avec la même qualité. C’est pourquoi on a vu une augmentation de vente depuis mai. Que se soit dans les boutiques en Tunisie, en ligne, à l’étranger en Europe, au Moyen-Orient ou aux États-Unis, car on vend beaucoup à l’étranger”. Se considérant comme une entreprise éthique, ils sont très à cheval sur toutes les règles et les déclarations sociales et éthiques nationales et internationales. Les matières bio et recyclées sont plus disponibles aujourd’hui en Tunisie, “ce qui minimise les coûts et facilite leur incorporation croissante dans la production”, a déclaré Ben Chaabane. Clairement donc, le fast fashion est loin de s’éteindre mais le consommateur va être plus conscient et acheter moins. De son côté, Mehdi Abdelmoula estime que le principal moteur d’achat du consommateur demeure le rapport qualité/prix. Ceci est encore plus vrai aujourd’hui avec toute la pression sur le pouvoir d’achat.
Des opportunités dans le nearshoring
La relocalisation d’une partie de la production des marques internationales dans le bassin méditerranéen au détriment du sud-est asiatique pourrait être une bonne nouvelle pour la Tunisie affirme Abdelmoula. Ces marques vont trouver en Tunisie un terrain propice grâce à la proximité géographique, culturelle et la sécurité sanitaire. Comme la majorité d’industries en Tunisie, il y a eu une accélération dans la digitalisation de l’industrie textile dans l’échange et la collaboration avec des moyens numériques, même les commandes sont passées par vidéoconférence par exemple. Les propriétaires n’ont plus besoin de se déplacer physiquement pour réunir les clients et les investisseurs. Des perspectives prometteuses ? Oui, si l’initiative du plan de relance du secteur textile se concrétise. Celle-ci a pour objet de mobiliser et de coordonner les actions du secteur public, représenté par le gouvernement et les ministères en question, et du secteur privé, représenté par la Fédération Tunisienne du Textile et Habillement (FTTH), autour d’un programme établi en vue de restructurer le secteur et d’accélérer son rythme de développement en termes d’exportations, d’emploi et de valeur ajoutée à l’horizon 2023. Le but est de développer l’exportation de l’industrie textile tunisienne et de rapprocher les représentants des franchises en Tunisie et les industriels. C’est dire qu’aujourd’hui, les principaux clients de l’industrie textile tunisienne sont des marques internationales. Leur présence est une opportunité. Nous devons faire en sorte qu’elle augmente leur part de fabrication et qu’elles incitent d’autres à venir.