L’accélération de l’histoire qui s’est soudainement déclenchée en 2020 est sans précédent. La pandémie a montré que le modèle de fonctionnement actuel des économies, même celui des pays les plus avancés, n’est pas nécessairement le meilleur. Il y a des défaillances partout et dont le traitement n’était pas une urgence. La prise de conscience mondiale d’un inévitable effort collectif pour évoluer a donné un nouvel élan à une digitalisation globale déjà en place.
Bitcoinmania
En finance, digitaliser est synonyme de cryptomonnaie. Ainsi, le Bitcoin s’est envolé en ce début d’année, dépassant le cap des 40 000 dollars pour l’unité, un sommet depuis son lancement en 2009. Cette monnaie virtuelle est créée par un certain Satoshi Nakamoto, que personne n’a réussi à identifier à ce jour. Elle est née au lendemain de la crise financière de 2008, en réaction aux excès des banques. En fait, et contrairement aux monnaies traditionnelles, le Bitcoin échappe totalement au contrôle et aux régulations des banques centrales. La gestion des transactions et la création monétaire est assurée collectivement à travers la toile. Investir dans le Bitcoin est risqué car son cours est extrêmement volatil. Avant de s’engager dans cette tendance haussière, il a traversé le désert en 2018. Mais apparemment, ce passage à vide a permis aux investisseurs de référence de s’en offrir discrètement de grandes quantités. À la surprise générale, Mutual Life, PayPal Holdings, Ruffer Investment Management et d’autres ont annoncé fin 2020 qu’ils détiennent des centaines de millions de dollars sous forme de Bitcoin. Cela a renforcé la confiance en ce dernier et il n’est plus vu du même œil que quelques mois auparavant.
Facebook entre en scène
Bitcoin n’est pas seul. Il y a un nombre indéterminable de cryptomonnaies, mais très peu sont des stars. Et pourtant, Facebook compte bien en créer une. Il s’agit de Libra, monnaie virtuelle qui peut être envoyée instantanément et gratuitement, gérée par la société Novi. Des dizaines d’entités de renommée sont associées à ce projet, telles que Uber, Booking, Mastercard et Temasek. Chacune apportera une partie de la réserve initiale de la monnaie, qui sera investie dans des comptes bancaires en dollars, euros, yen et livres sterling. Facebook vise clairement les pays en voie de développement, offrant une alternative aux banques traditionnelles. Libra mérite donc d’être suivie en 2021. Il y a bien d’autres qui peuvent encore décoller. Nous pouvons citer Ethereum (ETH), la deuxième cryptomonnaie en termes de valorisation, BINANCE COIN, Ripple, Litecoin, Cardano ou encore CHSB. Les investisseurs ont l’embarras du choix.
De l’escroquerie, ça existe
Mais il y a aussi de l’arnaque, comme c’est le cas du One Coin, une affaire qui semble coûter à des centaines de milliers d’investisseurs leurs fortunes. Cette monnaie virtuelle, au vrai sens du terme, a vu le jour en Belgique en 2016 et a rapidement gagné en taille. Le One Coin a toutes les caractéristiques d’une cryptomonnaie sauf une : être échangée sur une bourse, le rendant un pseudo-produit financier qui ne rapporte rien. Ce genre d’opérations ne font que consolider la confiance autour de quelques devises et 2021 connaîtrait une nouvelle percée de ces monnaies, non seulement en termes de prix, mais surtout au niveau de l’afflux de capitaux qu’elles vont attirer. Il y a une chute de l’aversion au risque, une forte injection de liquidités dans les principales économies mondiales et surtout de faibles taux d’intérêt. Bref, tout ce que les cryptomonnaies ont besoin pour grimper davantage.
Un cocktail explosif pour les régulateurs
Si ces monnaies n’étaient pas regardées avec beaucoup de sérieux lors de leur lancement, la donne a bien changé aujourd’hui. Et c’est Libra qui a réveillé les inquiétudes. Avec son mécanisme, Facebook peut se transformer en une puissance mondiale. Il suffit de penser à ce que va devenir ce géant dans quinze ou vingt ans, avec un nombre d’utilisateurs d’une monnaie qui dépasserait celui de n’importe quelle monnaie réelle. Sa réserve serait tellement importante que la simple décision de réduire le poids du dollar ou de l’euro dans son panier fera trembler les marchés. L’étalon des places financières ne sera plus le dollar mais plutôt Libra. Les banques centrales se sont donc penchées sérieusement sur la question. Il est maintenant certain que le moindre vide qu’elles laisseront sera immédiatement exploité par les opérateurs privés. La majorité d’entre elles étudient le lancement de leurs propres cryptomonnaies, en utilisant la technologie de la blockchain. Ces monnaies peuvent servir pour les transactions entre les banques centrales ou destinées aux particuliers. Il s’agira alors de l’équivalent numérique des billets émis directement par chaque établissement.
Les Chinois sèment le doute
Vraisemblablement, c’est le lancement du Yuan Digital par la Banque Populaire de Chine qui accentue les inquiétudes des américains et des européens. Actuellement en phase de test, les chinois ont une opportunité en or pour le faire fonctionner à grande échelle lors des Jeux Olympiques d’hiver de 2022. Au lieu d’utiliser les cartes de paiement classiques, les visiteurs et les participants pourraient échanger leurs argents contre des Yuan digitaux et les utiliser via une application sur leurs smartphones. Et comme pour la COVID-19, la Chine pratique les tests massifs. À Shenzen et à Suzhou, les autorités ont offert, à des millions d’habitants, des Yuan digitaux pour jouer dans une loterie électronique et effectuer leurs courses dans plus de 3 000 magasins habilités. Cette opération, qui a commencé en novembre 2020, a permis de réaliser des dizaines de milliers de transactions et de mieux détecter les possibles défaillances du système.
Dimension stratégique
Pour défendre leur entrée sur ce marché, les autorités chinoises avancent l’argument de lutte contre les opérations de blanchiment d’argent. Mais l’enjeu est beaucoup plus stratégique. En proposant une cryptomonnaie sans frais à sa population, Pékin devrait doper sa part de marché locale qui ne dépasse pas actuellement 6%. Le marché est totalement dominé par Chat Pay et Alipay qui ne sont pas coopératifs en matière de partage des données de leurs utilisateurs. De plus, la Chine pourrait briser l’un des principes fondamentaux des monnaies virtuelles : la déconnexion totale avec les banques centrales. On bascule maintenant à une dépendance totale, avec derrière le contrôle de flux d’informations. D’ailleurs, ce détail est l’un des points faibles de Libra. Le scandale de Cambridge Analytica, que Facebook a soldé à l’amiable en acceptant une amende de 5 milliards de dollars, a montré qu’une possible fuite des données personnelles est possible. À l’échelle internationale, ce Yuan Digital pourrait, à terme, permettre à des pays sanctionnés par la communauté internationale de réaliser des transactions sans aucune traçabilité. Ce n’est donc que le début d’une longue bataille entre les chinois et les américains. Bienvenue dans la bataille Huawei II.